Phénomène du Nouvel An chinois de 2025, Ne Zha 2 est l’histoire d’un film d’animation chinois devenu l’un des plus grands succès du cinéma à l’échelle mondiale, talonnant ou dépassant des James Cameron, des Star Wars, des Pixar et des Marvel à partir du seul marché national chinois. Mais derrière la folie de ces chiffres du box-office qui ne devrait intéresser que les actionnaires, se cache un blockbuster fou furieux, d’une extrême générosité, capable de faire rire et passionner autant les plus jeunes que les adultes en quête d’un spectacle grandiose sur grand écran. Et c’est bien cela le principal.
Après un premier épisode dans lequel Ne Zha et son ami et rival le Prince Dragon Ao Bing voient leurs corps désintégrés, l’immortel Taiyi parvient à re-sculpter le corps de Ne Zha et intègre leurs deux esprits à l’intérieur. C’est là que le Roi Dragon, père d’Ao Bing et croyant son fils mort, ouvre une brèche vers le village de Ne Zha et menace de le faire engloutir par la lave… Voyant l’esprit de son fils vivant mais prisonnier du corps de Ne Zha, il laisse à l’équipe des héros sept jours pour accomplir les épreuves de l’immortel Wuliang des monts Kunlun et ainsi faire accéder Ne Zha et Ao Bing à l’immortalité.
Ne Zha est une divinité de la mythologie chinoise, dont la légende raconte qu’il est le fils d’un général de la Dynastie des Shang et dont la mère mortelle l’a porté pendant 3 ans, avant de naître placé sous le patronage de l’immortel Taiyi Zhenren, qui lui prédit un avenir transgressif de tueur. Adolescent, il provoque le courroux du Roi Dragon des Mers de l’Est en tuant son fils, le Prince Dragon, et ainsi attire le danger auprès de son village et de ses parents mortels. Il utilise comme artefacts deux roues de feu aux pieds qui lui permettent de voler dans les airs. Cette figure mythique est citée dans de nombreux écrits classiques, à commencer par L’Investiture des Dieux et Les Pérégrinations vers l’Ouest. Son histoire a été déclinée en de nombreux médias : citons le film Nezha Conquers the Dragon King, sublime long-métrage d’animation culte de Shanghai Animation Film Studio sorti en 1979 ; plus récemment, il est un personnage secondaire du remarquable blockbuster Creation of the Gods ; et chez nous, un manga un peu oublié à présent mais ayant rencontré un noyau dur de fans dans les années 2000, Hoshin de Fujisaki Ryu, adaptation baroque de L’Investiture des Dieux, fait apparaître le personnage comme l’un des protagonistes principaux, accompagné de sa légende liée au Prince Dragon et de ses roues de feu. Le premier film de la franchise qui nous intéresse ici, sorti en 2019 et inédit en France, était déjà mis en scène par Yu Yang – réalisateur également sur le projet d’un 3e opus. Ne Zha premier du nom était un blockbuster solide, doté d’une animation éblouissante, particulièrement dans les scènes d’action virevoltantes.
Ne Zha 2 fait partie de ces seconds épisodes meilleurs que leurs prédécesseurs, car ils en reprennent les attributs tout en poussant le spectacle à son paroxysme. Si l’on n’a pas vu le premier film, il est en effet possible d’être perdu à l’amorce de l’intrigue, mais d’une manière générale, ce Ne Zha s’inspire de la mythologie chinoise, la déforme largement et crée un format quasi-sériel au sein d’un même film. En effet, dans ce Ne Zha 2, long de près de 2h30, on décèle plusieurs arcs scénaristiques où chaque enchaînement bouscule ce qui a été énoncé auparavant. Pas réellement un problème, ce scénario fragmenté et mouvant s’accepte tel qu’il est, car il sert surtout à faire vivre l’ensemble des qualités du film. En premier lieu, ce Ne Zha 2 est donc un spectacle de cinéma monumental, à voir de préférence sur grand écran, car les spectateurs peuvent ainsi admirer la direction artistique opérée sur les immenses décors, de la Chine ancienne et rurale sur le plan terrestre tout comme les incroyables monts Kunlun, la demeure des immortels, blanche et immaculée à en rappeler l’imagerie du mont Olympe et ses dieux grecs. Au milieu de ce travail redoutable sur l’aspect graphique de cette œuvre d’animation, la présence de combats d’anthologie, avec des effets d’éléments tels que le feu, l’eau, la glace, le vent, secouent le spectateur sur son siège de cinéma. Toutes les séquences d’action, plus ou moins dramatiques, plus ou moins impactantes dans le sort réservés aux personnages, offrent leur lot de grâce et d’originalité, comme cette joute sous une cascade et sur des bambous qui survient au premier tiers du film. Enfin, le film ne manque pas d’humour, et même s’il peut se révéler régressif (n’oublions pas que le réalisateur a pensé aux enfants du public dans l’équation), il fait mouche à chaque coup. Par ailleurs, cette veine comique s’alterne parfaitement avec des séquences dramatiques dans le développement des personnages.
Tout comme le premier film, Ne Zha 2 affirme une certaine identité de la nouvelle animation chinoise. La qualité de l’animation est totale, mais c’est surtout sur ses influences que l’on peut être amené à réfléchir. Le legs des animés japonais est inévitable, comme il l’est en dehors de l’Asie, en Europe, aux États-Unis et ailleurs. Ici, il se retrouve dans le chara-design des personnages « sérieux », pas sans rappeler les éphèbes de Saint Seiya, ainsi que dans une part de la stylisation de l’action, à travers des effusions de lumières de toutes les couleurs. Ce qui entoure les personnages comiques, Ne Zha enfant et l’immortel Taiyi, ainsi que des protagonistes plus terre-à-terre comme les parents de Ne Zha, semble chercher son inspiration plutôt du côté de l’animation jeunesse américaine, comme d’autres films d’animation chinois récents (Goodbye Monster à titre d’exemple). Ce qui se révèle assez original en revanche, c’est l’articulation de ces deux facettes, qui s’alternent parfaitement et rythment le film de manière singulière. L’univers du réalisateur Yu Yang en devient ainsi riche et contient plusieurs saveurs, à base de rires, de larmes, de passion, et même, de plastique graphique. À travers ces composantes, Ne Zha 2 a le mérite d’offrir un scénario complètement universel, basé sur l’accomplissement de soi et le respect de valeurs morales, filiales et humanistes, alors même que la capacité de son héros à se trouver du côté de la bienveillance est mise en doute dès l’introduction du premier film. Cet aspect est encore plus marqué dans le développement du personnage de l’immortel Shen Gongbao ; présenté comme un sous-fifre manipulateur des antagonistes dans le premier épisode, il connaît une histoire personnelle aux rebondissements spectaculaires dans cette suite.
Dans une période où les blockbusters américains ont peut-être terminé de réellement submerger les salles des multiplexes mondiaux à force de qualité toujours déclinante et de répétition éternelle du même genre de recette éculée, le public a la droit à une alternative. La Chine produit des superproductions de taille équivalente seulement depuis les années 2010, et elle fait face à d’autres concurrents – l’Inde, la Corée, le Japon revenu sur le devant de la scène avec le retour en fanfare de Godzilla. Ne Zha 2 débarque en même temps que Legend of the Condor Heroes de Tsui Hark et la saga Creation of the Gods, qui tend à confirmer une tendance qualitative après quelques tentatives disparates en une décennie. Une chose est cependant sûre : Ne Zha 2 est un modèle de superproduction de divertissement, tout comme il l’est en termes de cinéma d’animation.
Maxime Bauer.
Ne Zha 2 de Yu Yang. Chine. 2025. En salles le 23/04/2025.