Premier film de sa cuvée 2015 visible chez nous, Gokudô Daisensô (Yakuza apocalypse), marque un retour aux sources bienfaiteur du cinéaste stakhanoviste le plus frappé du Japon : Miike Takashi. Présenté en avant-première en Compétition internationale de L’Étrange Festival 2015, ce nouveau cru laisse espérer qu’après quelques égarements artistiques, le réalisateur des DOA et autre Visitor Q est toujours présent.
Kamiura, oyabun réputé invincible d’un clan yakuza, veille au bien-être des habitants de son quartier. Il se prend d’affection pour Akira, jeune recrue loyale, qui prend à cœur son rôle de défenseur des opprimés. Malgré ses qualités martiales, le jeune gangster ne parviendra pas à empêcher l’assassinat de son chef de clan, victime d’un groupe de mystérieux tueurs sanguinaires. Dans son dernier souffle, son mentor lui insufflera son pouvoir, faisant de lui un yakuza vampire !
On a bien cru que notre ami Miike Takashi allait se transformer en un cinéaste conventionnel, pour ne pas dire académique. Parmi ses derniers projets annoncés on pouvait trouver un drame sur fond de crise humanitaire en Afrique (Kaze ni tatsu lion), sorti en salle au printemps 2015. À la suite de ce tournage, notre trublion du cinéma nippon devait s’envoler vers le continent américain afin de réaliser un film pour le compte de l’ex mogul du cinéma d’action US : Joel Silver. Annulé pour cause de défection de l’acteur principal, Miike décide alors de renouer avec son public et met en chantier un film dont lui seul détient la recette.
Véritable kaléidoscope d’idées foutraques mises bout à bout dont seul le grotesque des situations, plus grandiloquentes les unes que les autres, semble faire le lien, Gokudô Daisensô est contre toute attente son film le mieux construit et le plus équilibré sur le plan dramatique depuis belle lurette.
Conjuguant allègrement genres populaires du cinéma nippon (films de yakuzas, arts martiaux et kaijus), folklore japonais, et occidental (kappas et vampires), le film accumule concepts saugrenus et personnages pittoresques évoluant naturellement dans un cadre réaliste contemporain. Miike Takashi renonce à l’hystérie coutumière de ce type de films et laisse sa caméra tourner, fait respirer son montage et joue de cette lenteur presque contemplative afin de relever par effet de contraste et de répétitions l’absurdité de son histoire.
Dans toute cette profusion d’idées, si on oublie aussi vite les mauvaises, noyées dans cet amas de scènes délirantes, on regrette cependant que certaines intrigues souvent drôles et parfois passionnantes restent sous-exploitées, notamment sa critique acerbe du monde yakuza, véritables vampires qui se nourrissent des honnêtes gens. Sort de cette marre compacte un personnage rocambolesque, un tueur à gages vêtu d’un costume de grenouille au regard hypnotisant qui deviendra pour sûr une mascotte de son cinéma.
On retrouve avec plaisir l’excellent Lily Francky, découvert en France dans Tel père tel fils de Koreeda, qui joue ici un oyabun débonnaire tout droit sorti d’un ninkyo eiga (1), dont le code d’honneur est tout aussi légendaire que sa nature vampirique. A ses côtés, l’énergique Hayato Ichihara campe un jeune yakuza aussi fougueux que naïf, et nous livre en guise de bouquet final un combat on ne peut plus déroutant et cartoonesque face à Yayan Ruhan, acteur et artiste martial indonésien dont on a pu juger des talents létaux dans The Raid de Gareth Evans.
Gokudô Daisensô s’avère une bonne surprise, un plaisir innocent qui rappelle de loin les premières œuvres du cinéaste. Bien que le film soit suffisamment fou et inventif, il manque tout de même ce petit goût de subversion, ce doux parfum pervers qui donnait tout le sel aux films de Takashi Miike. On espère toujours revoir de sa part un film de la trempe de 13 assassins ou Audition.
(1) film chevaleresque dont les récits se situent pour la plupart durant l’ère Meiji au Japon (1868 -1912), ils sont une vision romantique et romanesque du yakuza, mettant un scène un héros vertueux proche du peuple, vivant suivant les préceptes d’un code d’honneur hérité des samouraïs. Ce yakuza est généralement en conflit avec un clan de gangsters peu scrupuleux corrompus par le capitalisme occidental.
Martin Debat.
Gokudô Daisensô (Yakuza apocalypse) de Miike Takashi, présenté à L’Étrange Festival 2015 (Forum des Images de Paris).
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