Lauréat d’une mention spéciale et du Prix du public au Festival d’Annecy en 2011 pour son long métrage d’animation Colorful, Hara Keiichi, valeur montante de la Japanim revient cette année avec un superbe portrait de femme doublé d’une peinture flamboyante du Japon à l’ère d’Edo: Miss Hokusai.
Célébré en grandes pompes avec la très belle exposition consacrée au maître des mondes flottants au Grand Palais l’hiver dernier, et la réimpression de sa biographie séquencée par Ishinomori Shotaro publiée chez Kana, Hokusai nous est de nouveau dépeint, au travers cette fois-ci du récit biographique de sa fille O-Ei. La genèse du projet prend racine dans Saruseburi, œuvre de jeunesse de la mangaka Sugiura Hinako, auteure d’Oreillers de laque, manga paru aux Éditions Philippe Picquier.
Fille d’un artiste excentrique, peintre calligraphe qui porte de nombreux noms et célèbre dans tout le Japon sous son patronyme Hokusai, O-Ei partage avec lui sa passion et son talent pour le dessin. Elle vit de façon modeste, cloîtrée dans un taudis qui leur sert d’atelier en compagnie des quelques disciples de son illustre père. C’est ainsi que se présente la jeune femme traversant le pont d’un pas alerte. En espace de quelques plans le cinéaste Hara Keiichi esquisse ce magnifique personnage, âgée d’à peine plus d’une vingtaine d’années, belle, talentueuse, moderne, dotée d’un fort tempérament, dont l’attitude très rock’n’roll pour son temps est soulignée par la musique électrique quelque peu anachronique composée par la talentueuse Fuuki Harumi. Une séquence introductive percutante qui se conclue sur un plan panoramique aérien surplombant le Edo de 1814 et ancre d’un même mouvement de caméra le personnage dans son époque.
Reconstitué avec minutie dans un graphisme élégant et réaliste, le Japon féodal décrit dans le film restitue fidèlement l’architecture et des costumes d’époque, le quotidien des personnages, leur mode de vie, et leurs croyances. Au fil des saisons, le récit nous balade de maisons de notables et de geishas, dans la campagne enneigée en passant par les quartiers des plaisirs où réside une courtisane à la beauté quasi surnaturelle.
Le cinéaste par son approche transversale, restitue avec justesse aux moyens d’images et de dessins le génie artistique,et traduit visuellement: l’inspiration, l’apprentissage l’expression d’un peintre de renom et le pouvoir de suggestion de cet art. Il met en lumière cette jeune artiste aguerrie sur le plan technique dont le talent certain n’est pas encore arrivé à maturité, faute d’expériences dans la vie. Douée pour les portraits de femmes et les estampes érotiques, elle poursuit sa formation aux côtés de son son père, l’assistant dans la réalisation à quatre mains d’œuvres majeures du patrimoine culturel nippon.
Mais c’est dans son approche plus intime d’O-Ei que les contours du personnage vont s’affirmer et prendre de la consistance. Hara Keiichi illustre avec sensibilité cette jeune femme quand elle peine à avouer ses sentiments amoureux ou lorsqu’elle sent monter son désir et tente maladroitement de le dompter . C’est au contact de sa sœur cadette O Nao, jeune fille atteinte de cécité, qu’elle se révèle sans masque et dévoile une facette émouvante dans des scènes qui mêlent à la fois un sentiment d’intense bonheur, de sérénité, un parfum de nostalgie et une infinie tristesse. Dans ces quelques moments le film parvient à atteindre de purs instants de grâce comme seul le cinéma japonais d’animation est capable de provoquer.
Très inspiré des grands cinéastes classiques nippons, Hara Keiichi livre un film sobrement réalisé, entrecoupé de scènes faisant preuve d’une grand inventivité lorsqu’il mêle au quotidien des personnages, folklores et superstitions, et il donne vie aux tableaux et illustrations du maître, dessins aux traits calligraphiés parfaitement animés par les artisans du Studio IG.
Il y a tout juste un an, deux géants de l’animation japonaise prenaient leurs retraites laissant les spectateurs dans l’expectative. Miss Hokusai arrive à point nommé et prouve avec force et talent que la relève est bel et bien asssurée. Hara Keiichi n’est plus un cinéaste prometteur, il est à présent un artiste confirmé !
Martin Debat.
Miss Hokusai de Hara Keiichi. Japon. 2015. En salles le 02/09/2015.
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