A l’heure de se retourner une dernière fois sur cette 67ème édition cannoise, on se demande quelles images restent encore à l’heure du retour à une vie sans trois films par jour. Surtout, quelles visions vont continuer à vivre au-delà du vase clos de la Croisette, pouvoir exister en salles à la rencontre d’un public ou tout simplement marquer la découverte d’un auteur, d’un acteur ? Premier constat, celui d’une présence d’un cinéma asiatique en perte de vitesse, dans les différentes compétitions mais aussi au marché du film, tant quantitativement qu’au niveau de l’intérêt qu’il dégage.
Il y a bien eu deux grands films asiatiques cette année, un Japonais, l’autre d’Europe orientale, en compétition officielle : Winter Sleep, de Nuri Bilge Ceylan, et Still the Water de Naomi Kawase.
Le premier, nous y reviendrons plus longuement dans une critique, est un film monstre, de ceux qui confirment dès leur vision l’importance de leur valeur, l’évidence de leur supériorité. Dès lors, la Palme d’Or était une certitude et ne fut pas décevante. Le second, Still the Water vient d’obtenir un nom français, Deux fenêtres et une date de sortie française (le 17 septembre 2014). Quant au film russe de la compétition, Leviathan, on ne l’a pas vu, mais son Prix du Scénario, comme souvent ce prix-là en est le symbole, est parait-il venu récompenser autre chose que l’écriture, puisque Andreï Zviaguintsev (Le bannissement, Le retour) est certainement plus un cinéaste du visuel qu’un adorateur des nœuds scénaristiques.
Trois films de la sélection Un Certain Regard venaient d’Asie : Dohee-Ya (A girl at my door) de July Jung, Titli de Kanu Behl et enfin Fantasia, du chinois Wang Chao, dont le précédent film Voiture de luxe avait remporté en 2006 le prix Un Certain Regard. C’est peu dire qu’aucune des trois propositions ne nous a convaincus. Chacun entend, à des niveaux plus ou moins volontaristes, dépeindre le pays où se déroule le film et ses maux à travers l’histoire de ses personnages. Un polar social dans Titli, le drame entre une policière et une jeune fille victimes d’abus, et plus évident encore, l’éclatement d’une famille dans la chine contemporaine de Fantasia. Il y a d’évidentes qualités dans le film de Wang Chao : ses ruptures visuelles, la grande attention portée aux corps de la famille (le garçon, maigre et fuyant, est un modèle passionnant), mais l’impression d’assister à un petit traité schématique de la crise contemporaine expliquée en 4 personnages est trop encombrante.
Du côté de la Quinzaine et de la Semaine de la critique, les films étaient heureusement plus réjouissants, notamment avec Le conte de la princesse Kaguya de Takahata Isao, que notre collègue Victor Lopez aurait aimé voir en compétition officielle. La vitalité du maître du studio Ghibli donna le plus beau film d’animation de l’édition (un des seuls aussi). Le film sort en salles à la fin du mois de juin dans le créneau, on l’espère, de l’entre fin d’année scolaire et début des vacances d’été…
A Hard Day, du coréen Seong-hun Kim, valait largement ses presque deux heures d’action échevelée et de bastons épuisantes, tant la précision de la réalisation et la belle maîtrise de l’alternance entre un humour franc et un suspense puissant faisait plaisir à voir (et à entendre, rire). Un autre film d’action coréen, adaptation du polar français de Fred Cavayé, A bout portant, était montré en séance de minuit, hors compétition. Pyo Jeok (The Target) de Chang, pâtissait d’un scénario aux coutures plus visibles, grossières et sans surprises (sans même qu’on ai vu le film original). L’interprétation aussi était moins réjouissante, le film de Seong-hun Kim comptant à son casting les excellents Lee Seon-gyoon (vu chez Hong Sang-soo) et Jin-woong Jo.
A l’heure où les premiers prix se succédaient, on s’est attristé de voir qu’ils récompensaient des films évincés de notre planning, volontairement ou non. Avons-nous eu tort, ou tel pitch aurait-il dû nous intriguer plutôt que de nous faire faire la grimace ? Par exemple, The Tribe, film ukrainien qui a raflé tous les prix de la Semaine de la Critique, n’inspirait pas confiance. Ce long-métrage, tout en langage des signes sans sous-titres, où des adolescents enfermés dans un centre se livrent à une violence sans limites sentait fort l’arnaque festivalière ; on ira vérifier notre intuition en salles prochainement, puisque le film sera sans aucun doute distribué. Quant à la Caméra d’Or remise au film français Party Girl, elle reste pour nous incompréhensible.
Même si elle est non-compétitive, la section de la Quinzaine des réalisateurs remet quand même quelques prix, offerts par ses partenaires. C’est le film Les combattants, de Thomas Cailley, qui les a tous raflés, film que l’on a manqué aussi, mais ici par incompatibilité d’emploi du temps. Le film sort le 20 août au cinéma.
Pour conclure ce retour en arrière, avec le bon souvenir de quelques films primés, Winter Sleep et Mommy notamment, mais surtout ceux qui ne l’ont pas été, peut-être faut-il dire un mot des mélodies. La mélodie de la diction d’un acteur par exemple. La plus brutale, drôle et violente de J.K Simmons dans Whiplash, celle prolifique et hilarante du jeune comédien québécois Antoine-Olivier Pilon dans le film de Xavier Dolan, mais aussi la diction impeccable de Lars Eidinger dans Sils Maria d’Olivier Assayas, ou encore le doux son polyglotte et inquiet de la voix-off de Viggo Mortensen dans Jauja. Les mélodies particulièrement bien senties du film de Céline Sciamma, Bande de filles, entre l’utilisation de Diamonds de Rihanna et les compositions de Para One, qui évidemment se sont illustrées dans les soirées cannoises. La musicalité d’un plan, de la diction d’un interprète ou d’un moment clippesque dans un film sont peut-être ce qui accroche encore l’attention, dans le tumulte des films à la chaîne. Le rallongement général de la durée des films, toutes sections confondues – la Palme d’Or fait 3h16, comme si elle voulait battre le record des 2h57 de celle de l’année passée – finit par donner aux spectateurs le besoin de s’imprégner, pour se les rappeler tant bien que mal, des respirations musicales. Gimmick de cinéastes, trucs pour faire respirer un film: l’essentiel était pour nous, aux heures des paupières lourdes, de refaire surface.
Pauline Labadie
Top 5 de Victor Lopez
1. Le conte de la princesse Kaguya de Takahata Isao (Quinzaine des réalisateurs)
2. Adieu au langage de Jean-Luc Godard (Sélection naturelle)
3. Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan (Sélection officielle)
4. It Follows de David Robert Mitchell (Semaine de la critique)
5. The Man on High Heels de Jang Jin (Marché du film)
Top 5 de Pauline Labadie
1. Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan (Sélection officielle)
2. Jauja de Lisandro Alonso (Un Certain Regard)
3. Still the Water de Naomi Kawase (Sélection officielle)
4. Whiplash de Damien Chazelle (Quinzaine des réalisateurs)
5. Hermosa Juventud de Jaime Rosales (Un Certain Regard)
Cannes 2014 sur East Asia
– Davy Chou, réalisateur de Cambodia 2099 (Qunizaine des réalisateurs)