Brillante Mendoza, entre réalité et fiction livre le quotidien des Tiradors, voleurs des bidonvilles philippins.
La caméra est alerte, la qualité vidéo. La police fait une descente surprise dans un lieu qu’il est difficile de cerner. Naviguant d’habitation en habitation – toutes plus délabrées les unes que les autres – les policiers embarquent tous les hommes sans exception. Cette séquence – superbement filmée – nous plonge directement en plein cauchemar.
De nuit, il est bien difficile de se repérer, aussi bien pour nous que pour les personnages. Ils tombent, se précipitent, les policiers se marchent dessus. Pour le spectateur, impossible de savoir dans quel lieu l’action se situe. Cette déconstruction du lieu est une parfaite introduction au chaos quotidien de ces personnages.
Il y a dans Tirador deux forces qui se rejoignent, une symbiose assez belle entre le désespoir des personnages et la détermination du réalisateur à observer leur quotidien. Utilisant à la fois des acteurs et des gens des bidonvilles, Mendoza tente de lier avec le plus d’acuité le quotidien et le cinéma, le pamphlet et le documentaire, le constat froid et la chronique fiévreuse. Il y a une énergie folle dans Tirador, maîtrisée et à la fois complètement imprévisible à certains moments. Lors de scènes de foules, le cinéaste ira jusqu’à tourner en caméra cachée, pour plus de naturel. L’immersion est totale.
Tirador prend donc des accents neo-réalistes dans cette succession de saynètes, tour à tour cocasses ou atroces. Mendoza n’excuse pas les actes de ces gens rongés par la pauvreté qui vivent dans le dénuement le plus total et les montre souvent sous leurs pires jours. Mais c’est en périphérie du récit, de ce bidonville au bord de l’explosion, que se trouvent à la fois la source et les bénéficiaires : la police en place, les politiciens qui achètent les votes. Le chaos est organisé, le feu entretenu. Chaque personnage est tour à tour montré comme bourreau et victime, ce qui permet une mise en relief de chacun. Une drôle d’empathie se crée, un sentiment de malaise permanent aussi.
La quintessence du cinéma « mendozien » se trouve donc dans Tirador. Une plongée réaliste dans un quartier grouillant, un style documentaire éprouvant et qui compense à merveille le manque de moyen évident. Le cinéaste continue de bousculer son spectateur, de l’interroger et tente à sa manière de militer.
C’est ce qu’il y a de plus beau dans le cinéma de Mendoza, cet instinct de survie, de révolte qu’il ne perd aucunement au fil des films. Subrepticement, il dénonce la véritable menace, la lie d’un pays corrompu et malade. Le constat est édifiant mais jamais lourd.
Comme le quartier de Quiapo prêt à exploser, son cinéma reste toujours sur le fil, toujours en mouvement, toujours engagé. le cinéaste continue son exploration d’un pays, ne change pas de cap, courageusement. Brillante Mendoza est un cinéaste majeur.
Jérémy Coifman
Tirador de Brillant Mendoza, disponible en DVD chez Swift depuis le 20 novembre 2013.