Blu-Ray / DVD – Behemoth de Zhao Liang (sortie le 01/12/2015)

Posté le 27 février 2016 par

Behemoth de Zhao Liang, l’un de nos coups de coeurs du Festival Tokyo Filmex est disponible en Blu-Ray et DVD, édités par l’INA, depuis le 1er décembre 2015. Un rattrapage nécessaire.

Behemoth, du cinéaste chinois Zhao Liang, est un documentaire coproduit par Arte et distribué en France sous le titre Béhémoth – Le dragon noir. Le film s’ouvre par l’explosion d’un amas rocheux filmé au ralenti, à la façon d’Antonioni à la fin de Zabriskie Point. Le réalisateur nous invite par là à entrer dans un monde mystérieux et pourtant bien ancré dans le réel. Behemoth se développe en effet selon deux axes, l’un documentaire, l’autre poétique, sans que les frontières entre ces approches ne soient clairement distinctes.

Contrée sauvage et reculée, la région autonome chinoise de la Mongolie intérieure capte depuis quelques années l’intérêt des industriels pour l’abondance de ses ressources naturelles. Venu constater dans quelles conditions ces richesses sont extraites, le cinéaste livre un tableau particulièrement effrayant. Le film est principalement tourné dans trois lieux précis : une gigantesque mine, en partie à ciel ouvert, une fonderie et une ville ultra moderne fraîchement fondée. L’essentiel de l’approche documentaire se focalise sur la mine et son impact sur l’environnement. Le mot catastrophe est probablement trop faible pour décrire la situation : ce que le cinéaste filme n’a plus rien de terrestre. Toute trace de vie ayant été anéantie, les paysages évoquent des photos prises sur la Lune ou sur Mars. La terre est éventrée, les collines rasées, des hordes de camions et de pelleteuses transforment ce qui auparavant était une terre verdoyante en un désert de roches aux proportions inimaginables.

Behemoth

Behemoth

L’une des particularités du film tient à ce qu’il ne propose aucune explication et ne fournit que très peu de renseignements quant aux motivations économiques d’une telle dévastation. Le film se contente en effet de constater la réalité des choses, comme si aux yeux du cinéaste, les images valaient bien mieux qu’un long discours. De séquence en séquence, l’attention se porte exclusivement aux gestes des ouvriers, aux va-et-vient des véhicules, à l’extrême pénibilité du travail et à ses conséquences sanitaires. Quelques scènes tournées dans les logements ouvriers ou à l’hôpital nous renseignent spécialement sur ce point. Tout n’est que misère et maladie. Les travailleurs ne prononcent pas un seul mot de tout le film comme si leur quotidien leur avait ôté de plus tout désir de communiquer.

Désamorçant la voix off et les cartons de leurs fins explicatives, le film confère aux images seules le soin de témoigner de l’effroyable réalité. Le cinéaste privilégie les techniques de caméra subjective ou semi-subjective afin de se placer à la même hauteur de regard que les ouvriers et de s’approcher au plus près de leur vécu. Ne cherchant en aucun cas à commenter ce qu’il a sous les yeux, le cinéaste s’attache à plonger le spectateur dans un monde difficilement concevable comme pour mettre à l’épreuve son sens des réalités.

Behemoth

Behemoth

Ce pouvoir d’immersion est renforcé, et c’est là le deuxième axe autour duquel pivote le film, par de multiples références à La Divine Comédie de Dante. Tout fonctionne comme si la caméra, la voix off et les cartons dépendaient d’une présence qui, tel Virgile accompagnant le poète florentin, nous invitaient à un voyage mystique et à pénétrer dans un univers insoupçonné, situé au revers de la civilisation. La mine se voit donc associée au Purgatoire, la fonderie à l’Enfer et la ville au Paradis. Dans la seconde partie du film, chacun de ces lieux est introduit par un fond de couleur qui lui est propre, le traverse et le compose : le gris pour la mine, le rouge pour la fonderie et le blanc pour la ville. Le réel apparaît sous ses composantes symboliques, comme si œuvraient en lui des forces mystérieuses dont l’origine se situe au-dehors de notre monde et qui peu à peu, à l’image d’un ver logé dans un fruit, en désintègrent la matière. La présence, dans la plupart des séquences, d’un corps nu, silencieux et prostré en position fœtale, dans ce qu’il reste de nature, souligne la décomposition des paysages auxquels il fait face et la perte en eux de tout repère humain.

Behemoth

Behemoth

On le voit, le propos de Behemoth dépasse le simple statut du film engagé ou militant. La critique dont le film est porteur apparaît d’autant plus forte qu’elle se veut allégorique, qu’elle porte tout à la fois sur les terrains réaliste et imaginaire. Associant l’extrême pénibilité du travail aux exigences du Purgatoire et le désastre écologique au déferlement du feu de l’Enfer, le film transpose des réalités concrètes en un langage symbolique qui en renforce la portée. Une telle approche permet au cinéaste de dénoncer une réalité tout en jouant sur les cordes de notre sensibilité dans l’idée de s’adresser le plus directement possible à notre imaginaire collectif.

Dans cette optique, l’association, à la fin du film, de la ville ultra moderne à l’image du Paradis souligne l’absurdité finale de principes économiques appliqués sans aucun souci humain ni écologique. La Chine nécessitant d’énormes quantités de ressources naturelles afin de construire par prévision des cités où la population se fait encore attendre, le Paradis dont il est question s’apparente ironiquement à une ville fantôme, un territoire dans lequel l’être humain a finalement disparu, victime de la raison froide et mathématique d’un système ayant redéfini le monde à son image.

Nicolas Debarle.

Behemoth de Zhao Liang. Chine. 2015. Disponible en blu-ray et DVD, édité par l’INA, depuis le 01/12/2015.

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