Interview Bastian Meiresonne à l’occasion du FICA de Vesoul 2013

Posté le 5 avril 2013 par

Lors de la 19ème édition du Festival International des Cinémas d’Asie a eu lieu la projection en avant-première mondiale du documentaire instantané du réalisateur Bastian Meiresonne, un cinéma en suspens (Sinema Indonesia). Proposant une chronologie de l’histoire du cinéma indonésien et de son état actuel à travers son point de vue, presque toute l’industrie du cinéma indépendant indonésien était là pour découvrir ce documentaire d’une heure avec quelques propositions pour parvenir à un second âge d’or du cinéma indonésien. Le cinéaste expérimente différents procédés en parvenant à instaurer une grande fluidité dans son propos avec de nombreuses idées formelles qui gagneraient à être plus perceptibles par le spectateur. Rencontre avec un passionné du cinéma asiatique qui fait ses premiers pas dans la réalisation. Par Julien Thialon.

Pouvez-vous vous présenter brièvement ainsi que votre parcours professionnel ? Quelles sont vos influences cinématographiques ?

Bonjour, je m’appelle Bastian Meiresonne. J’ai fait des études de cinéma à l’ESRA de Paris avant de tout plaquer et partir un an en Australie. À mon retour, j’avais besoin d’argent. J’ai répondu à l’annonce d’une société de distribution de produits chimiques en Allemagne, qui cherchait des personnes parlant plusieurs langues européennes. Je suis né et j’ai grandi en Allemagne de parents flamands, j’ai donc saisi l’occasion de renouer avec mes origines. En revanche, alors que j’avais pensé rester six mois, j’y suis resté deux ans et demi avant de me faire muter en France, où j’ai continué à gravir les échelons.

Parallèlement à mes longues journées de travail, je n’ai jamais cessé de renoncer à ma passion pour le cinéma – et le cinéma asiatique plus particulièrement… Je me levais donc chaque jour vers 5h30 / 6h, regardais un film, allais travailler, puis je rédigeais la critique le soir en rentrant pour la publier sur le Net. Le weekend, j’augmentais la cadence. Si bien que le jour où la société s’est faite racheter, j’ai décidé de tenter l’aventure en me vouant corps et âme au cinéma asiatique. C’était une époque bénie pour le cinéma asiatique avec la publication de plusieurs magazines, dont Mad Asia, Kumite et Asia Pulp pour lesquels j’ai commencé à écrire. Ensuite, je suis devenu consultant pour des distributeurs français et programmateur pour des festivals et j’ai (co)écrit plusieurs ouvrages dédiés au cinéma asiatique.

Que ressentez-vous maintenant que vous êtes réalisateur ?

La réalisation n’est finalement que la conséquence logique de mes précédentes étapes… De la presse, je suis passé à l’écriture de livres, puis à conseiller des éditeurs français, puis à contribuer à la programmation de certains festivals et c est finalement tout à fait par hasard, si je me suis retrouvé avec ce projet, même si la réalisation était toujours un vrai but dans ma vie. Je m’étais juré de réaliser quelque chose à mes 50 ans – on dirait, que j’ai pris un peu d’avance (rires). De là à me définir comme réalisateur – j’ai hâte d’enchaîner avec mes autres projets pour gagner en expérience.

Comment est né le projet ?

Cela fait plusieurs années, que l’on réfléchissait avec Martine et Jean-Marc Therouanne à comment organiser une table ronde avec les nombreux invités du pays en focus. Il n’y a pas de lieu propice à accueillir le public en dehors des salles de cinéma. Je leur ai proposé de programmer un court, moyen ou documentaire pour introduire le débat avec les invités, sur quoi ils m’ont dit de filmer mes rencontres avec les professionnels que je fais de toute façon dans le cadre de mon travail de recherche dans les pays asiatiques. C’est ce que j’ai donc fait, en partant 5 semaines à Jakarta pour monter la rétrospective consacrée au cinéma indonésien. Sauf que je commençais à m’ennuyer à poser les mêmes questions dès la troisième interview, ou plutôt… non je me disais, que c’était les spectateurs qui allaient rapidement s’ennuyer en étant bombardés de tout un tas de questions sur une cinématographie riche et méconnue. C’est là que le projet final a pris vraiment forme.

Je compare mon film à un polaroïd de l’histoire du cinéma indonésien…

Pouvez-nous nous parler des conditions de tournage ?

Oui, c’est un tout petit projet, hein… J’ai tourné avec une caméra numérique (SONY VG), seul ou avec un ami indonésien, Ari, qui m’a servi de cadreur et d’interprète. On a dû tourner en prise de son directe, raison pourquoi j’ai été obligé de doubler le film en postproduction. J’ai tourné le documentaire en trois semaines ; j’ai tourné 33 heures de rushes pour en faire un 60 minutes – et j’ai interviewé 33 personnes.

Pourquoi avoir tourné voulu faire un film « en instantané » ?

Je n’ai pas tourné en « instantané », il y a quand même tout un travail de montage, notamment pour les scènes « muettes » à l’intérieur de la Cinémathèque – c’est le film que je ne saurai pas autrement définir que comme un « instantané »: ce n’est ni de la fiction, ni un vrai documentaire, ni un reportage. Et puis c’est un film, que j’ai tourné à un instant donné, en fonction de mes propres connaissances et facultés d’assimilation et d’interprétation par rapport à des témoignages de mes intervenants avec leurs propres connaissances, etc. à un moment donné de l’industrie cinématographique qui évolue de minute en minute. Je compare mon film à un polaroïd de l’histoire du cinéma indonésien…

sinema_indonesia-500x303

Pouvez-vous expliquer la première image du film ?

Ahhh, merci de m’avoir posé la question ! C’est un plan, qui m’est extrêmement cher et qui a de multiples significations. C’est un plan pris du 33e étage d’une tour d’immeubles sur un cimetière musulman en plein centre de Jakarta. Il est énorme, sachant que les morts y sont enterrés debout. C’était la première chose que je voyais au réveil le matin et une véritable source d’inspiration, quand je passais des heures au balcon pour réfléchir à ce que j’allais filmer et comment. J’étais fasciné par tous ces morts à mes pieds, avec moi, effleurant les cieux du bout des doigts là-haut au 33e. Et puis, le cimetière n’arrêtait jamais de grouiller de vie avec des très nombreuses personnes rendant visite à leurs proches tous les jours, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Le cimetière sert également de raccourci et de moyen de contourner les bouchons aux « taxi-mobylettes ». Comme cet instantané est un projet très personnel, j’ai donc tenu à ce qu’il figure en premier lieu – c’est aussi une image de ma propre « résurrection » après une année 2012 très difficile. Je trouvais très ironique d’ouvrir mon préambule se passant à l’extérieur, où la vie pulse sur l’image d’un cimetière.

Et puis, c’est tout le propos de mon documentaire : l’inertie d’un certain cinéma face au dynamisme de tout un tas de réalisateurs indépendants « en marge » qui sont représentés par les bouchons de voitures, sur lesquels je me focalise ensuite…

Garin Nugroho, figure emblématique du cinéma indonésien, n’a pas été interviewé, pourquoi ?

Si si, je l’ai interviewé pendant plus de deux heures, alors qu’il était en pleine répétition d’un spectacle et il figurait dans ma première version de 3h30. J’ai finalement pris le parti pris de ne pas le faire figurer, comme je savais qu’il allait être présent à la table ronde – du coup, j’ai ouvert le débat par lui.

11022013-IMG_2221

Vous optez pour une narration par l’image et des interviews, pourquoi ?

Franchement, je ne suis pas très partisan de la voix off en général – sauf peut-être dans quelques procédés narratifs dans une fiction. Je considère que les images devraient se suffire en elles-mêmes, il y a un vrai problème s’il y a besoin d’expliquer ce que l’on vous montre à l’écran… Dans le cas plus précis de mon documentaire, je pense que les interviews se suffisent largement à elles-mêmes grâce à l’exceptionnelle qualité des intervenants ; quant aux scènes à la Cinémathèque, j’ai voulu sciemment faire un « film muet » drivé par le ressenti.

Le gouvernement est en filigrane tout le long du documentaire mais aucun de leurs représentants ne parle, on suppose que vous avez éprouvé des difficultés vis-à-vis du gouvernement…

J’ai interviewé quelques représentants, dont je n’ai rien pu tirer – et la durée limitée de mon documentaire était trop précieuse que je la gâche par des paroles superficielles et superflues. Après, j’ai vraiment donné mon entière attention aux réalisateurs ; en revanche, j’aimerais beaucoup retourner en Indonésie un jour pour tourner un sujet sur la censure au cinéma.

L’une des scènes montre en accéléré une petit étiquette sur une bobine qui vire au bleu, pouvez-vous expliquer le concept ?

Oui, ce moment fait partie d’une séquence (pêchue) dédiée au responsable de l’entretien des copies conservées dans l’entrepôt de la Cinémathèque. En fin de séquence, il applique une petite étiquette bleue sur une bobine qu’il vient de nettoyer. Cette étiquette sert à mesurer le degré d’acidité de la copie 35 mm ; normalement cette étiquette met des semaines à virer de couleur – dans le cas des copies indonésiennes (mal) conservées, l’étiquette a changé de couleur en quelques minutes seulement – je me suis permis d’accélérer l’image pour montrer tout de même le procédé.

L’âge d’or semble être un concept quantitatif, mais ne serait-ce pas au contraire un concept qualitative qu’il faudrait primer ?

Lorsque l’on évoque « l’âge d’or » d’un cinéma, on parle généralement d’une période où la production aura été à l’apogée, le public au rendez-vous, etc. et moins de la qualité des films produits. En revanche, c’est souvent durant l’âge d’or qu’ont été tourné de très bons films – ne serait-ce que par le fait, qu’il y avait une énergie, le public, l’argent nécessaire pour la production de produits plus alternatifs, etc.

La dernière image regorge d’interprétations différentes…

Tout à fait – en revanche, contrairement à la première image, je vous laisse à votre propre interprétation pour celle-ci – sauf à confirmer que les gants sont bien ceux de M. Daus de la Cinémathèque…

Sinema Indonesia

Quelle a été le coût de production du film et avez-vous eu des difficultés financières ou politiques ?

Le documentaire a coûté moins de dix mille euros, tous frais confondus – et grâce à l’implication bénévole de tout un tas de gens, que je ne remercierais jamais assez.

Concernant le tournage, je n’ai eu aucune difficulté – sans doute aussi, parce que c’était un tournage inofficieux et à petite échelle. Quant à la programmation de la rétrospective, c’est une histoire (très longue) différente, qui est allée jusque des menaces de mort sur mon assistant, moi-même et ma famille…

Que pensez-vous du cinéma indonésien actuel ?

Incroyable et horrible à la fois. Incroyable, car il y a une vraie dynamique au niveau des jeunes talents, qui tournent à la fois des magnifiques films d’auteur (Yosep Anggi Noe, Mouly Surya…) et du bon gros film d’action qui tâche (Gareth Evans, Mo Brothers, Upi…). Horrible, car 99% de la production actuelle est sous le monopole d’un seul et unique distributeur (Cineplex 21) de mèche avec quelques grosses maisons de production qui prennent vraiment les spectateurs pour des imbéciles et enchaînent les productions aux formules à répétition sans aucun intérêt. Je pense, que j’ai pu voir dans le cinéma indonésien à la fois les plus beaux et les plus mauvais films de ma vie (rires) !!

THE-RAID

Quelles seraient vos solutions ?

Celle qui est préconisé par certains intervenants : la création d’une vraie industrie cinématographique avec des structures calquées sur le modèle de la CNC et du KOFIC qui fonctionne. L’ouverture du marché à des distributeurs autres que le seul Cineplex 21. La création de nouveaux écrans – mais pas seulement dans des multiplexes. L’implication AVISEE de l’Etat avec nomination de personnes qui s’y connaissent vraiment, qui en veulent (et pas qu’après l’argent) et qui ne voient pas que le profit.

Une exportation du documentaire vers l’Indonésie est-elle envisageable ?

Oui – mais pas commerciale. Plusieurs réalisateurs et producteurs ont déjà émis de le distribuer dans les quelques lieux de diffusion alternative qui existent.

Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui les a particulièrement touchés, fascinés, marqués et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.

Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?

Il y en a tellement !!! Hier soir, un plan furtif dans Les garçons de Fengkuei, avec une réelle richesse de composition de l’avant et arrière-plan d’un jeune voyou, qui observe d’autres par le biais d’une fenêtre, et toujours hier soir, le plan où la « folle du village » Han-tzu se rend compte que le poussin qu’elle tient dans le creux de sa main est mort, et quand elle se réveille de son coma au petit matin aux côtés de la petite fille…

Sinon le plan final de Memories of Murder.

L’entrée et la ressortie du plan dans Le pornographe.

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Ne jamais perdre une passion – et la vivre à fond. La vie est beaucoup trop courte pour se poser trop de questions.

Propos receuillis par Julien Thialon lors de la 19ème édition du FICA à Vesoul.

Imprimer


Laissez un commentaire


*