Gu Changwei fait partie de la « cinquième génération » du cinéma chinois. Dès ses tout premiers pas, son talent est reconnu en Chine et ailleurs. Directeur de la photographie, il travaille avec Chen Kaige, Zhang Yimou, Jiang Wen sur Adieu, ma concubine, Les Démons à ma porte, Qiu Ju, une femme chinoise, parmi d’autres. C’est donc avec joie que nous le rencontrons à Paris, à l’occasion de la première française de son L’Amour éternel au Festival du cinéma chinois en France. Par Alexandra Bobolina.
En 2005, Gu Changwei réalise son premier long mètrage Le Paon. Histoire simple et sincère d’une famille chinoise dans les années 80, le film obtient l’Ours d’argent au festival de Berlin. En 2007 suit And the Spring comes, dont la protagoniste se heurte à la réalité et aux bornes de son village, qui la juge différente, donc inacceptable.
Pour L’Amour éternel, il choisit un sujet toujours quelque peu difficile à assimiler. Cette Chine à qui il s’adresse n’a pas encore appris à se connaître dans son immensité et la diversité de son héritage.
Dans les années 80 et 90 dans certaines provinces, la vente du sang est un moyen répandu pour s’échapper à la pauvreté. Seulement des années après, quand ces personnes meurent, la vérité sort à la surface : lors de ces interventions, le sang a été contaminé par le HIV et tué des dizaines de milliers de personnes, le nombre exact restant à tout jamais inconnu. Les événements n’auront jamais leur place dans l’espace public, aucunes mesures, ou alors des mesures partielles, ne seront prises, il n’y aura pas de responsables ni de conséquences reconnues officiellement. C’est la raison pour laquelle l’appel du film de Gu Changwei est un grand pas vers la mise en lumière de ce qui a eu lieu, malgré tout.
L’amour éternel est une comédie sur un couple qui se bat pour son amour. La « fièvre » est ici un obstacle comme pourrait l’être l’ami jaloux ou la belle-mère dans tant d’autres histoires romantiques. C’est dans la normalité que surgit la douleur, ce que Gu Changwei continue à revendiquer.
Entretien avec Gu Changwei
Le SIDA étant un sujet sensible en Chine, aviez-vous des contraintes ou des pressions lors de la production du film ?
Gu Changwei : Le film se passe effectivement à la campagne dans les années 90 lors d’une infection de SIDA, appelée par ces gens la maladie fiévreuse. Je crois qu’aujourd’hui c’est un sujet qui concerne le monde entier, y compris la Chine. Le but du film est de partager, d’échanger des points de vue. Le film a été fait étape par étape en espérant la sortie. Parallèlement au tournage j’ai fait aussi un documentaire, qui n’est pas seulement l’histoire de l’« Amour Eternel ». Ce documentaire parle des villageois qui ont vécu les faits, le but étant de capter tous les détails de cette rencontre, du fait d’être ensemble. Bien entendu, il y a un effet plus « grand public », une sorte de « making-of » mais, pour moi, le plus important c’était de laisser une trace de cette rencontre.
Les faits montrés dans le film ont-ils vraiment eu lieu dans ce village ?
Gu Changwei : Dans les années 80 et 90, il y a eu effectivement des cas d’infection. Ils étaient essentiellement dus à la méconnaissance de la maladie. Les gens à l’époque étaient ignorants sur les questions de protection hygiénique. Pour gagner de l’argent, ils vendaient leur sang. Pour compenser ces interventions aux donateurs étaient injectés des protéines. C’est comme ça que de nombreuses personnes ont été contaminées. Le ministère de la santé a appuyé le film pour que les gens prennent conscience de cette maladie qui existe toujours et des risques qu’elle représente.
Vos autres films ont plutôt pour thèmes des situations qui peuvent avoir un caractère biographique. Dans cette histoire, il y a plus de recul, serait-ce aussi une façon pour lui apporter de l’optimisme ?
Gu Changwei : C’est vrai que je cherche des personnages proches de moi pour montrer la persévérance et la beauté de la vie. Je pense que nous ne maîtrisons pas forcement notre propre destin et il est important de montrer des gens qui mènent leur propre combat pour vivre. Que ce soit dans le film Le Paon ou dans And the Spring comes, je suis toujours les personnages dans leurs difficultés et c’est là que je découvre cette beauté dont je parle.
Avez-vous utilisé le roman de Yan Lianke, Le rêve du village de Ding pour L’Amour éternel ?
GU Changwei : En fait Yan Lianke est l’un des trois scénaristes de ce film (sous le pseudonyme Yan Laoshi) et son roman a forcément influencé notre travail. Je le remercie d’avoir investi son œuvre et son talent dans ce projet.
Les protagonistes principaux sont interprétés par deux stars de la scène chinoise – Zhang Ziyi (actrice chinoise Tigre et Dragon, 2046, Mémoires d’une geisha) et Aaron Kwok (acteur et chanteur pop hongkongais). Est-ce que ceci a posé des problèmes lors du tournage ?
Gu Changwei : Au contraire, c’était beaucoup plus facile et grâce à leur soutien, tout se passait bien.
Comment ce film a été perçu en Chine et quel était votre message ?
Gu Changwei : La Chine est grande et les réactions étaient différentes. C’est pourquoi le documentaire a été pensé pour accompagner le tournage lors de la production pour montrer ce que nous avons vécu ensemble, travailler avec ces trois séropositifs. Ce film documentaire n’a pas été diffusé dans des grandes salles multiplex mais a néanmoins été projeté dans quelques salles.
Aujourd’hui, il y a la télévision et Internet, l’information ne manque pas. Le but était de regarder le sujet de manière objective. Il y a des connaissances sur la maladie, mais qui sont partielles, et rencontrer des gens qui ont eu l’expérience directe change de vision.
Est-ce que le côté comique a été un moyen pour faciliter l’accueil du film de la part de la société et des autorités ?
Gu Changwei : La maladie est toujours un sujet sensible, qu’elle soit présentée avec ou sans humour. Heureusement, il y a eu le soutien du ministère de la santé chinois qui nous a aidé dans beaucoup de situations. Puisque le sujet est sensible, tout le monde doit être informé. Cette maladie doit être considérée comme beaucoup de maladies graves, cardiovasculaires ou autres.
Le film est raconté du point de vue d’un enfant et, à travers son regard, nous voyons sa propre mort. C’est une sorte de dialogue entre les deux mondes. Quelle était la raison de ce choix ?
Gu Changwei : C’était cet effet du paradoxe que je cherchais. L’enfant est le symbole de la vie et en même temps, du passé. Son regard permet de prendre du recul en étant si loin et si proche de l’histoire qui a lieu et c’était cette vision que je voulais transmettre aux spectateurs.
Propos recueillis par Alexandra Bobolina à Paris, le 15 mai 2012, au Festival du cinéma chinois en France.