Only God Forgives de Nicolas Winding Refn (Cannes 2013/en salles le 22/05/2013)

Posté le 23 mai 2013 par

Only God Forgives, premier film post Drive de Nicolas Winding Refn a essuyé de nombreux sifflets lors de sa projection cannoise. Le projet s’éloigne du grand public, quand Drive avait su les appâter. Portrait d’un film fascinant. Par Jérémy Coifman.

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Julian s’est expatrié à Bangkok en Thaïlande avec son frère Billy. Tous deux sont à la tête d’un trafic de drogue de grande envergure. Quand Billy est assassiné, leur mère arrive des Etats-Unis et réclame de Julian qu’il venge son frère.

Winding Refn s’expatrie en Thaïlande. 6 mois de vie à Bangkok, une préparation éprouvante et une attente qui devenait insoutenable, Only God Forgives désarçonne le fan de Drive qui s’attendait à un remake. Le cinéaste revient à un cinéma plus expérimental, poussant l’abstraction dans des sphères que seul son Valhalla Rising atteignait.

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Bangkok, ville de tous les péchés. Dans la rue, prostitués et flics corrompus cohabitent, les néons criards sont de chaque rue. La capitale thaïlandaise, sous la caméra de Winding Refn, devient l’enfer sur terre. La chaleur moite et étouffante, les buildings à perte de vue, les ruelles coupe-gorge, on a la sensation de pénétrer dans une fournaise où la mort rode. Winding Refn parle d’une ville gangrénée, où le vice se propage.

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On s’aperçoit au commencement avec la sublime typographie du générique tout en thaïlandais, que Winding Refn a vraiment entrepris de réaliser un film thaïlandais, un vrai. Malgré la présence indispensable d’un casting, et surtout d’une tête d’affiche, occidental, le véritable personnage central du film est le charismatique Vithaya Pansringarm. La vengeance entreprise par les Occidentaux est tout de suite rendue complètement idiote au vu des actes ignobles du frère assassiné. D’un autre côté, ce sont les Thaïlandais qui souffrent. Les femmes sont des objets, qu’on expose dans des vitrines et qu’on choisit, enfant ou pas, pour assouvir ses pulsions sexuelles, tandis que certains habitants de la ville se laissent corrompre par l’argent occidental.

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L’ange exterminateur est thaïlandais, il avance sans sourciller dans sa quête de purification. Vithaya Pansringarm est impressionnant. Sa démarche inquiétante, son regard implacable, sa violence rentrée en font une sorte de Terminator, programmé pour redresser les torts d’un pays corrompu par l’occident.

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Le film fonctionne également sur un mode tragique à travers le regard d’un Ryan Gosling toujours aussi mutique (qui devrait quand même changer de registre, sous peine d’être catalogué). Julian est un peu l’opposé du Driver. C’est un homme faible, qui vit d’abord dans l’ombre de son frère, puis de sa mère, sorte de pantin au regard vide qui n’aura de cesse de vouloir s’affirmer. D’ailleurs, Winding Refn joue à fond la carte de la tragédie grecque, entre complexe d’Œdipe irrésolu et personnages prisonniers de leur destin, tous incarnant des sortes de pantins inexpressifs, que rien ou presque ne peut détourner de leur tâche.

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Le scénario est toutefois prétexte. Dans Only God Forgives, la forme c’est le fond. Winding Refn revient donc à un cinéma beaucoup plus expérimental, poussant l’abstraction et le surréalisme au niveau de son Valhalla Rising. On pense à Lynch ou à Jodorowsky (le film lui est dédié). La fascination est immédiate, tant le cadre est soigné, d’une précision toute kubrickienne. Chaque mouvement de caméra s’opère sur un rythme lancinant, tout en pesanteur. La photographie, sublime, vient enfoncer le clou : Only God Forgives est un cauchemar magnifique, nébuleux, élégant, poseur aussi. Le film risque, en plus de surprendre ceux qui ont découvert le réalisateur avec Drive, de décevoir certains qui attendaient un peu plus que le superbe exercice de style. On pourra taxer Winding Refn de précieux ou de prétentieux, mais ce qu’il propose en termes de mise en scène et de sensation est assez brillant.

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Only God Forgives de Nicolas Winding Refn, visible au fesival de Cannes 2013.