NIFFF 2022 – Incantation de Kevin Ko

Posté le 12 juillet 2022 par

Le Neuchâtel Fantastic Film Festival (NIFFF) a projeté Incantation de Kevin Ko, dans sa sélection Ultra Movies, nous offrant l’occasion de découvrir le film qui s’est imposé comme plus gros succès commercial de l’Histoire du cinéma d’horreur taïwanais.

Incantation nous raconte l’histoire de Ruo-nan, une jeune mère qui a perdu la garde de Duo-duo, sa fille de 6 ans, après un long séjour en hôpital psychiatrique. Ruo-nan est, en effet, persuadée d’être victime d’une malédiction depuis qu’elle et ses deux acolytes d’une émission YouTube d’investigations de légendes urbaines se sont rendus à une cérémonie étrange, dans un village reculé. Une fois sa vie -et sa santé mentale- reprises en main, elle désire récupérer ses droits parentaux sur Duo-duo et bénéficie d’une période d’essai durant laquelle sa fille peut venir vivre de nouveau chez elle. Ruo-nan décide de documenter ces retrouvailles en enregistrant de nombreuses vidéos de leur nouvelle vie de famille, mais l’adorable petit film familial va tourner au found footage horrifique, tandis que la malédiction revient hanter la mère et sa fille.

Le principe du found footage dans le cinéma d’horreur a donné lieu à de nombreuses expérimentations depuis son introduction dans le très dérangeant (et dérangé) film extrême culte Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, sorti en 1980. Nous avons vu toutes les variations possibles et inimaginables sur le sujet, entre les Projet Blair Witch, Paranormal Activity, REC et Cloverfield ou même récemment avec The Medium. Incantation réussit pourtant à trouver une pertinence renouvelée au format, en attachant une importance particulière à la justification de son utilisation. Ruo-nan a, en effet, été habituée à filmer et être filmée depuis de nombreuses années, qu’il s’agisse de sa chaîne YouTube à l’origine des drames ou même de son internement à l’hôpital où ses séances de psychothérapie étaient enregistrées. On peut même voir dans le film une référence aux chaînes YouTube qui diversifient leur production au fur et à mesure que les modes internet évoluent. Qu’il s’agisse des vidéos de chasseurs de fantômes ou des vidéos familiales, toutes renvoient à des productions spécifiques d’internet, dans leurs codes esthétiques et leur tonalité. Dès lors, le film parvient à susciter l’intérêt, en jouant sur l’intrusion d’éléments horrifiques et dérangeants, dans des images qui évoquent les chaînes YouTube de vie familiale les plus classiques et lambda. Comme bien souvent dans le genre, toutefois, certains passages rendent perceptibles les limites du principe, avec des contre-champs injustifiés dans la diégèse ou des changements de mise au point alors que la caméra est censée être laissée tourner. C’est assez regrettable et nuit parfois à l’immersion, mais le film réussit à limiter la casse et à maintenir son principe de façon plutôt convaincante jusqu’au bout.

Le format du film est à l’image de son contenu et là encore, Incantation s’inscrit assez fidèlement dans la lignée de nombreuses œuvres du genre. Nous identifions très vite les références assez explicites qui ont servi de base à l’élaboration d’Incantation. On retrouve les corps recouverts de runes de Kwaidan et Noroi: The Curse, une résolution finale renvoyant à Ring et bien évidemment, tout le principe d’irrespect envers une religion païenne et/ou un territoire sacré qui se retourne contre les personnages, que l’on peut voir dans des films comme Inunaki, The Ritual, Midsommar, etc. Les éléments horrifiques sont également somme toute assez classiques : nous retrouvons les incontournables fantômes que seul un enfant peut voir, les insectes qui grouillent là où ils ne sont pas censés se trouver, les vidéos qui glitchent, les trous dans la peau et les chemins en boucle qui mènent inlassablement au point de départ. Rien de très neuf sous le soleil, donc, mais cela n’empêche pas Incantation de dynamiser tous ces éléments avec un rythme bien maîtrisé et de proposer des approfondissements intéressants de ses thématiques principales.

La relation mère-fille et le personnage de Ruo-nan élèvent le film en offrant une dimension très pertinente à l’archétype souvent décevant de la « mauvaise mère » dans les films d’horreur, sans aller jusqu’au versant opposé qui l’absout de toute responsabilité et la place uniquement dans un rôle de mère aimante victime. Incantation nous montre une femme profondément hantée, qui essaie d’aller de l’avant et de faire de son mieux pour élever Duo-duo, mais qui ne peut non plus faire abstraction de ce qu’elle a vécu et des sentiments ambivalents que cela a déclenché envers sa fille. Le film peut très bien être interprété comme une métaphore de la difficulté de devenir parent après avoir affronté n’importe quel évènement traumatique non-surnaturel et la finesse d’écriture du personnage permet d’éviter un manichéisme malvenu. Le film prend également le temps de montrer le poids des attentes envers les mères, via le système de protection de l’enfance qui blâme continuellement Ruo-nan pour des éléments hors de son contrôle et dont elle souffre pourtant, elle aussi. A ce titre, le film joue assez intelligemment avec le personnage du directeur du foyer d’accueil. D’abord présenté comme une contrepartie à Ruo-nan, qui réussit à offrir une vie remplie d’amour et de joie à Duo-duo là où celle-ci échoue, il devient de plus en plus sensible à la souffrance de la jeune mère et à ses efforts tandis qu’il réalise ses propres failles. La force d’Incantation se situe dans toutes ces nuances qui rendent finalement l’horreur plus percutante au vu de l’attachement aux personnages. Bien évidemment, le film fait frissonner, mais il demeure un sentiment plus poignant qu’effrayant au sortir du visionnage.

Si Incantation ne réinvente pas le genre, il sait tirer partie de ses atouts pour offrir un visionnage divertissant et plus dense qu’il pourrait en avoir l’air et affirme que l’horreur taïwanaise en a encore sous le bras, après les plutôt décevants The Tag-Along et The Sadness.

Elie Gardel.

Incantation de Kevin Ko. Taïwan. 2022. Projeté au NIFFF 2022.   

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