LE FILM DE LA SEMAINE – Un jeune chaman de Lkhagvadulam Purev-Ochir : Going Under

Posté le 24 avril 2024 par

Une nouvelle vague de cinéastes mongols semblent nous parvenir. Après l’observation de la précarité et de ses conséquences dans Si je pouvais hiberner, c’est celle d’une figure centrale de la culture mongole, le chamane par le prisme d’une chronique de jeunesse. Avec Un jeune chaman, Lkhagvadulam Purev-Ochir nous montre les tribulations d’un jeune homme dans les remous de la capitale Oulan-Bator. C’est en salles dès aujourd’hui, grâce à Arizona Distribution !

Ze est un jeune homme de 17 ans, lycéen et chaman. Il tente de coordonner ses deux existences alors que le désir amoureux vient chambouler son quotidien. Si le film fascine dès le début, c’est parce qu’il ne laisse pas de mystères au chamanisme. Les esprits existent, et c’est comme ça. Si l’appel à un chaman ou à une figure semblable dans la région fait partie du quotidien, le jeune cinéaste ne fait pas grand cas d’une telle pratique. Le première séquence nous révèle que derrière les oripeaux du chaman et donc de l’incarnation d’un esprit ancestral, il y a le corps d’un jeune homme. La seule différence est la voix. Le nœud de l’œuvre réside ainsi dans l’expression et l’acceptation des désirs contrariés. Le jeune homme n’est donc pas tiraillé entre deux mondes ; il est tiraillé par l’expression de sa propre singularité, de sa voix. Un plan sur le reflet du Ze qui apparaît sur la fenêtre de son bureau nous fait comprendre le trouble au cœur de son quotidien, entre une image qu’il veut incarner et celle dont il a hérité : élève, fils, frère, chaman.

L’amour va parasiter son programme interne pour révéler son désir. Alors que son horizon grandit avec la découverte de la passion, la ville se dévoile également. Oulan-Bator, prise entre les yourtes des habitants les plus pauvres et les bâtiments modernes, nous est montré à travers un panoramique qui part des montagnes enneigées pour contenir l’ensemble de la ville et ses différentes strates. Comme le jeune homme, la ville est marquée par un conflit intérieur, qui semble être un conflit d’époque mais qui se révèle être, par une subtilité certaine, un conflit de classe. Si l’escapade amoureuse permet à Ze de suivre son désir comme sa propre voix que la jeune femme prend en considération, elle est aussi un apprentissage douloureux des réalités sociales qui dépassent le monde spirituel de la Mongolie. Ou qui se superposent à la réalité comme les esprits. La société de classes semble invisible quand on prend les évènements comme individuels mais comme les croyances mongoles, ils se révèlent pertinents quand on pense le vivant comme la société, en système avec le recul d’une vision panoramique. L’éducation sentimentale du jeune Ze n’est qu’une histoire d’oripeaux. Une fois qu’on y enlève les vêtements de la passion amoureuse, il reste la cruauté des dynamiques subtiles des configurations socio-économiques des corps.

Si la danse et la musique traditionnelles permettent au chaman d’entrer dans sa transe et d’incarner l’esprit, le club et la musique électronique plongent le jeune homme dans une profonde tristesse. Ce n’est pas seulement la vacuité des aventures de jeunesse que le cinéaste parvient à capter avec justesse parfois, c’est la souffrance au cœur de l’expérience qui s’ajoute à la vie du jeune homme comme un négatif au positif du pouvoir de son activité de chaman. Si son silence lui permet de donner aux autres de l’espoir, il garantit pour lui-même une mélancolie voire un spleen face à l’intuition qu’il a de ne pouvoir exprimer que la vérité. Même sur sa propre condition. Son corps ne peut jouer les illusions d’un amour qui ne peut durer. Le départ de la jeune femme pour la Corée, symbole d’une réussite économique récente, n’est pas anodin. Les cycles du chaman cachaient la complexité de la stagnation sociale mongole, mais les désirs économiques qui se confondent aux désirs amoureux révélaient l’illusion d’un mouvement qui ne va pas nulle part, celui du capitalisme. Dans le gros plan de l’étreinte entre la jeune femme et le jeune chaman pendant sa cérémonie, leur coup de foudre se joue par l’intermédiaire des oripeaux. Elle est tombée amoureuse d’une illusion, et lui d’une sensation aveugle. C’est ce constat amer que le jeune chaman doit regarder en face, et doit pouvoir exprimer au présent, avec ses propres mots, quitte à emprunter ceux des animaux pour revendiquer sa colère.

Avec Un jeune chaman, Lkhagvadulam Purev-Ochir rejoint Zoljargal Purevdash dans sa une vision de la capitale mongole qui symbolise un pays en pleine confusion face à une jeunesse emplie de désillusions. La Mongolie semble piégée dans un éternel hiver dont les flocons des promesses marchandes sont indissociables des cendres de l’Histoire.

Kephren Montoute

Un jeune chaman de Lkhagvadulam Purev-Ochir. Mongolie. 2023. En salles le 24/04/2024

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