LE FILM DE LA SEMAINE – Si seulement je pouvais hiberner de Zoljargal Purevdash

Posté le 10 janvier 2024 par

La jeune cinéaste mongole Zoljargal Purevdash nous offre avec ce long-métrage un regard complexe sur les tourments d’un jeune homme face à la précarité de sa famille. Si seulement je pouvais hiberner distribué par Eurozoom dévoile, en creux, un tableau qui dépeint Oulan-Bator et les marginaux de la capitale de Mongolie.

Ulzii est lycéen et vit dans une famille de 4 enfants avec une mère illettrée et au chômage. Dans la yourte familiale, la tension se crée entre l’aînée de la fratrie et sa mère qu’il considère comme inapte à prendre soin d’eux. Alors qu’il voit en ses capacités en mathématiques et physiques un moyen de sortir sa famille de la misère par le système scolaire, sa mère repart à la campagne pour tenter de subvenir aux besoins de la famille. Purevdash se saisit de ce moment comme un moyen de nous montrer Oulan-Bator à travers le regard du jeune homme. Entre ses escapades pour aller voler du bois pour nourrir le feu nécessaire à la bonne santé de son frère et sa sœur, ses préparations pour les concours de mathématiques, ses après-midis d’errances amicales, et un flirt impossible avec une autre lycéenne, l’on ressent bien le tiraillement au cœur de la vie d’Ulzii. La caméra de la jeune réalisatrice découpe l’espace comme des zones isolées où même la cohésion semble difficile dans la yourte familiale. Mais le froid glacial et les paysages désolés de la capitale contrastent avec la volonté d’Ulzii, toujours en recherche de charbon et de bois pour nourrir le feu de son foyer comme lui qui nourrit sa rage de n’avoir pas le minimum pour vivre.

Pourtant, la cinéaste ne choisit pas le misérabilisme, et le choix d’épouser la dynamique du corps de son protagoniste comme moteur de l’œuvre ne donne jamais à voir la situation de cette famille comme une fatalité. Nous sommes dans cette famille de l’intérieur, dès le premier plan ; nous sommes tellement invités à les suivre que nous assistons à ce qui semble être un moment d’intimité quand la mère fait une piqûre au plus jeune frère. L’expérience de la misère comme une adversité révèle aussi les dynamiques implicites à l’œuvre dans la société mongole : la tante qui vit dans un appartement contemporain avec une vision bourgeoise mais qui soigne son enfant avec les traditions rurales, le professeur qui semble accomplir son fantasme à travers la réussite du jeune homme, les aides étatiques qui sont absurdes devant la gravité de la situation et le travail illégal du jeune homme. Purevdash nous permet de faire l’expérience de cette confusion adolescente et sociale par la justesse de sa mise en scène. Tout semble être capté avec la même intensité. Avec des plans d’ensemble, les remous que provoquent les péripéties de la vie de cette famille paraissent inaudibles voire invisibles pour le reste de la société voire du monde. Les paysages immenses du pays, souvent au second plan, absorbent les angoisses, les espoirs et la colère comme un cri dans l’eau. Oulan-Bator, à travers la caméra de la jeune cinéaste dans l’hiver mongol, n’est qu’une cité sourde dont l’horizontalité aplatit les visions dans une sorte d’égoïsme commun et écrase les ambitions par un monstre cosmique invisible mais omniprésent : l’argent dans la société capitaliste. Même si la cinéaste n’est parfois pas assez radicale dans la forme qu’elle évoque quand elle met en scène des vignettes, elle parvient à capter quelque chose qui dépasse son simple constat social. Dans le silence de certaines scènes, dans la vapeur qui s’échappe et dans la brume qui recouvre la vie. Comme dans ce plan, où les récompenses du concours au premier plan sont floues et parasitent l’image, où l’on perçoit au second plan Ulzii, fatigué d’avoir fait la fête avec ses amis la veille, avant d’annoncer qu’il a remporté un prix. L’objectif du jeune homme est flou et l’empêche de réaliser qu’il s’est enfermé dans une logique que son corps ne supporte déjà pas. Là est la justesse de la cinéaste, celle de nous montrer que la misère sociale même à Oulan-Bator s’infiltre dans l’intimité d’un pays à travers le foyer, comme un symbole de sa culture. Cette économie mortifère va jusqu’à tenter d’éteindre le feu de vie de la jeunesse qui doit lutter pour le conserver et le transmettre, car souhaiter l’hibernation, c’est un peu souhaiter un sommeil cousin de la mort. Mais à la fin de l’hiver revient le printemps incertain pour les survivants du froid glacial dans lequel nous sommes tous embourbés.

Kephren Montoute

Si seulement je pouvais hiberner de Zoljargal Purevdash. 2023. Mongolie. En salles le 10/01/2024

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