FRANCE.TV – Time and Tide de Tsui Hark

Posté le 18 août 2022 par

Aujourd’hui, vous pouvez découvrir sur France.tv une des premières grosses claques cinématographiques du début du millénaire signée Tsui Hark : Time and Tide !

Petit retour à l’aube des années 2000. Tsui Hark n’a plus rien à prouver sur la scène internationale. Il est, à l’instar d’un John Woo, un metteur en scène reconnu pour son talent derrière une caméra, un homme au style énergique et audacieux, qui ose et innove avec sa caméra, et sait se montrer généreux avec le spectateur venu chercher de l’action et de l’aventure, filmées avec panache et folie. Sa filmographie laisse rêveur pour tout amateur de cinéma asiatique. On citera les Il était une fois en ChineLe Syndicat du crime 3The Lovers et The Blade. Avec un tel palmarès, ça n’était qu’une question de temps avant que Hollywood ne lui fasse les yeux doux pour qu’il vienne mettre son talent au service des studios américains. Il accepte donc de réaliser Double Team et Piège à Hong Kong. Deux films qui portent sa patte et affichent plus d’idées de mise en scène que la plupart des films sortis cette année, mais qui se montrent trop désincarnés (sur le fond en tout cas) pour totalement convaincre. Le style est là mais Tsui Hark se plie aux exigences d’un studio qui ne lui laisse pas franchement les mains libres et doit composer avec le Roi de la baffe belge qui veut lui apprendre à réaliser un film. Pour l’anecdote, et se convaincre que Tsui Hark en avait clairement après JCVD, le scénario de Piège à Hong Kong ne rate pas une occasion d’en mettre plein la face à son héros, Tsui Hark mettant en scène avec un plaisir à peine dissimulé les galères de son personnage. Quelque peu blasé et déçu, pour rester poli, Tsui Hark revient donc à Hong Kong pour réaliser à domicile le film qui lui plaira de A à Z, et ce sans superstar cocaïné jusqu’aux oreilles pour lui apprendre son travail. Et ce film ce sera Time and Tide. Il en écrira le script en partenariat avec Koan Hui-On, et c’est Columbia Tristar qui le produira. On attendait alors beaucoup du retour du patron à la maison. Nous n’avons pas été déçus.

Disons le d’emblée, Time and Tide est une bonne grosse déflagration, un maelstrom d’idées, de concepts, un film d’action qui ne s’arrête pour ainsi dire jamais et qui prend le spectateur dès la première minute et le lâche fatigué deux heures plus tard. Libéré de toute contrainte ou pression, Tsui Hark met en scène une histoire d’amitié et d’honneur simple comme bonjour, en tout cas sur le papier car à l’écran c’est moins évident. Time and Tide raconte comment Tyler, serveur dans un bar, fait la connaissance de Jo, jeune femme rebelle, et couche avec elle le temps d’un soir. Le destin est joueur, et elle finit par tomber enceinte. Afin de ne pas fuir ses responsabilités, Tyler se fait embaucher comme agent de sécurité pour l’aider financièrement. Un jour, Tyler rencontre Jack, ancien mercenaire qui aimerait fuir son passé pour rester auprès de sa femme enceinte. Nos deux lascars vont se retrouver embarqués dans un tourbillon de trahisons, de fusillades et de comptes à régler. Dit comme ça, le scénario paraît simple mais Tsui Hark prend un malin plaisir à brouiller les pistes et à perdre le spectateur. Mais cela se fait de manière ludique et fun. Time and Tide, c’est exactement ça, on ne comprend absolument rien mais on en prend plein les yeux.

Tsui Hark réalise ici un film qui repousse encore les limites de la narration et de la grammaire cinématographique. Il n’y a pas un plan, une séquence qui n’ait pas au minimum deux idées de mise en scène. La moindre séquence de dialogue est prétexte à une redéfinition de l’idée même de réalisation. Tsui Hark ose tout et n’importe quoi, mais le fait avec une énergie et une maestria à s’en décrocher la mâchoire. Ralentis, jump-cut, effets bullet-time, travellings compensés, freezing effect, tout ce que le cinéma peut proposer en terme d’outils de narration est utilisé par Hark qui finit par complètement perdre son spectateur, qui en prend plein les yeux, et lâche la rampe niveau compréhension de l’intrigue. On y croise des mercenaires brésiliens qui parlent espagnol, on vomit sur la caméra, on tue des enfants mais qu’importe, on est venu pour en prendre plein la rétine, et ça passe comme une lettre à la Poste.

Enchaînant les séquences cultes à une vitesse effarante, Tsui Hark est d’une générosité sans limite lorsqu’il s’agit de réaliser des gunfights  et des scènes d’action de la plus folle des manières. C’est simple, en presque vingt ans, peu de films d’action ont réussi à combiner élégance, maîtrise de la mise en scène et gestion de l’espace limpide. Qu’il filme une fusillade à flanc d’immeuble ou une traque dans un aéroport, Tsui Hark ne perd pas une miette de l’action et si parfois on peut avoir l’impression que ça part dans tous les sens, on se laisse happer par une chorégraphie de la violence et de la mise en scène qui fait sien le principe du Un plan  = Une idée, sans oublier un montage dynamique.

La parenthèse américaine de Tsui Hark, si elle fut pénible et insupportable à force de contraintes et de concessions, aura au moins permis au cinéaste de se retrouver d’un point de vue thématique et créatif, et Time and Tide représente le film de la liberté retrouvée, un monument du cinéma d’action, ni plus ni moins, tourné par un réalisateur qui n’a pas volé son titre de cinéaste culte.

 

Romain Leclercq.

Time and Tide de Tsui Hark. Hong Kong. 2000. Disponible sur France.tv