VIDEO – The Reincarnation of Golden Lotus de Clara Law

Posté le 22 avril 2022 par

Méconnue dans nos contrées, la cinéaste originaire de Macao, Clara Law Cheuk-yiu, est pourtant une artiste importante du cinéma hongkongais, qu’on rattache à la Seconde vague, aux côtés de Wong Kar-wai, Stanley Kwan ou encore Mabel Cheung. En 1989, sous l’égide du producteur Teddy Robin Kwan et à travers le scénario de la romancière Lilian Lee, elle réalise The Reincarnation of Golden Lotus, un film à la portée poétique et intellectuelle immense qui consacre Joey Wong.

Sous la dynastie des Song, Pan Jinlian est décapitée et réclame vengeance. Elle est réincarnée à l’époque moderne à Shanghai. Durant la Révolution culturelle, elle tombe amoureuse de Wu Long qui ne parviendra pas à la sauver des moqueries. Elle accepte alors d’épouser un fermier stupide et ensemble, ils déménagent à Hong Kong dans les années 1980. Et elle y retrouve Wu Long qui devient son domestique et côtoie Simon, qui appartient au monde de la mode.

Difficile de saisir aisément tous les tenants et aboutissants du scénario de The Reincarnation of Golden Lotus au premier abord. Le style de réalisation de Clara Law glisse d’époque en époque – la dynastie Song, les années 1960 à Shanghai, les années 1980 à Hong Kong – de manière cloisonnée, si bien que chaque période semble une autre histoire, un passage à travers une nouvelle dimension et d’autres personnages, alors que ce sont bien entendu les mêmes protagonistes. L’évocation de la Révolution culturelle semble aussi lointaine du Hong Kong des années 1980 que la dynastie des Song dans la mise en scène de Clara Law. Ce procédé apporte au film une grande densité culturelle – trois grandes périodes de la Chine et des populations chinoises sont mises sur le devant de la scène – et l’articulation étrange et biscornue entre les époques permet d’ouvrir une fenêtre narrative chargée de mystères.

Associée à la photographie froide et gothique de Jingle Ma, la mise en scène de Clara Law, que ce soient par ces enchaînements narratifs si particuliers ou le jeu charnel et sensuel des acteurs, achève de former un film unique, qui ne ressemble jamais aux wu xia pourtant iconoclastes de Tsui Hark ou aux Heroic Bloodshed qui pullulent en cette fin de décennie 1980 à Hong Kong. Le cinéma de Clara Law se veut plus racé, intriguant, et par certains aspects, se révèle très avant-gardiste dans sa façon de faire apparaître des plans que nous dirons « photographiques », c’est-à-dire des plans à la beauté renversante qui surplombent la narration et se détachent aux yeux du spectateur, le temps ayant l’impression d’avoir été suspendu, comme nous en verrons beaucoup dans le cinéma chinois des années 2010.

Au delà de cette portée artistique notable et remarquable, The Reincarnation of Golden Lotus décrit la condition de la femme et en ce sens, peut être qualifié de film féministe. Tous les sentiments d’amour et ressentiments, la sensation d’abandon à un mariage de circonstance, le désir d’un homme ou de revanche, se place du point de vue du personnage de Joey Wong, sans être jamais parasité par les désidérata de celui d’Eric Tsang (le mari de Pan Jinlian) ou des autres protagonistes. Même le portrait de Wu Long se veut relativement discret vis-à-vis de Pan Jinlian, et reste la clé de l’évolution de cette dernière.

La tradition littéraire chinoise veut que les personnages féminins soient mis sur le devant de la scène, chose qu’a complètement retourné Chang Cheh durant son âge d’or des années 1970 à travers ses intrigues d’amitié virile et réputées misogynes. Durant le second âge d’or du cinéma hongkongais, Tsui Hark replacera les protagonistes féminins au centre des attentions, en même temps que des réalisatrices influentes telles que Sylvia Chang développeront une filmographie importante avec tout une panoplie d’enjeux autour de la condition de la femme. En 1989, Clara Law agit en ce sens avec The Reincarnation of Golden Lotus. Plus qu’un simple regard sur la femme chinoise à différentes époques, le film nous emmène dans les méandres de la tradition littéraire et fictionnelles chinoise, fait se marier les histoires de fantômes traditionnelles avec une imagerie simili-gothique. Il en résulte un film magnifique à tous points de vue, qui ne demande qu’à être découvert, vu et revu pour en saisir toujours un plus la substance et en mesurer l’épaisseur.

Maxime Bauer.

The Reincarnation of Golden Lotus de Clara Law. Hong Kong. 1989. Disponible en Blu-ray import hongkongais VOSTA.