NETFLIX – Le Voyage de Chihiro de Miyazaki Hayao

Posté le 2 mai 2020 par

Un film que l’on aime tous (ou presque) : Le Voyage de Chihiro, de Miyazaki Hayao, est désormais disponible sur Netflix !

Chef d’œuvre épique et crépusculaire, Princesse Mononoké (1997) était supposé être le dernier film de Miyazaki Hayao, l’œuvre somme sur laquelle il pouvait tirer sa révérence pour une retraite bien méritée. La relève était assurée avec Kondo Yoshifumi, réalisateur de l’enchanteur Si tu tends l’oreille (1995) où il se montrait digne des deux sensei fondateurs de Ghibli, Takahata Isao et Miyazaki Hayao. La mort inattendue de Kondo conjuguée au long retrait de Takahata suite à l’échec commercial de Mon voisin les Yamada (1999) placera pourtant le studio Ghibli dans l’expectative. Miyazaki se voit donc contraint de revenir à la réalisation pour assurer la pérennité du studio et trouvera l’inspiration de son œuvre suivante au cours de vacances à la montagne avec des amis. Ces derniers ont amené avec eux cinq fillettes de dix ans dont l’énergie et l’espièglerie fascinent un Miyazaki se souvenant alors qu’il n’a jamais signé de film destiné aux enfants de cette tranche d’âge préadolescente. Même si l’attrait de ses films est universel, on peut en effet faire une différence entre un Mon voisin Totoro (1988) plus spécifiquement destiné au jeune public, Porco Rosso (1992) au ton plus adulte et le reste de sa filmographie visant un public adolescent.

Princesse Mononoké avait constitué une synthèse désabusée des thématiques écologiques de Miyazaki, avec cette ère industrielle prenant le pas sur les divinités, la tradition spirituelle et mythologique. Le souvenir de ces divinités ne pouvait plus s’incarner qu’à travers le respect d’une nature environnante, d’une préoccupation écologique. Cette opposition  entre tradition et modernité est au cœur de l’œuvre de Miyazaki qui va en donner une vision plus positive dans Le Voyage de Chihiro. Chihiro est une fillette de dix ans, apathique et désabusée, alors qu’elle vient de déménager et quitter ses anciens camarades, et elle symbolise en quelque sorte ce monde moderne et égoïste. C’est précisément au contact de ce Japon mythologique invisible mais toujours vivace qu’elle va se ressourcer, traversant une série d’épreuves pour sauver ses parents transformés en cochons par une malédiction. Miyazaki façonne une sorte d’Alice au pays des merveilles japonais où se dispute bizarrerie, vraie terreur (Chihiro découvrant le sort de ses parents et livrée à elle-même dans les ténèbres de ce monde étrange) et pur émerveillement dans un univers foisonnant. L’imaginaire de Miyazaki avait jusque-là été plus largement nourri d’influences occidentales – en partie par rejet de l’imagerie militariste japonaise dans laquelle il a grandi et qui fera sens dans Le Vent se lève (2013) -, que ce soit en termes de source (Le Château dans le ciel (1986) inspiré des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, la série animée Sherlock Holmes, Le Château de Cagliostro (1979) revisitant le héros de Maurice Leblanc), d’imagerie (l’architecture de la ville où s’installe Kiki la petite sorcière (1989), la côte italienne de Porco Rosso) et même de narration puisqu’il étudia en profondeur la construction des classiques de la littérature enfantine européenne.

Princesse Mononoké voyait donc le retour à une inspiration plus typiquement japonaise, même si c’était pour s’émouvoir de son déclin. Le Voyage de Chihiro prolonge ce retour aux sources mais dans une veine luxuriante et vivace. Le bestiaire des créatures (esprits yokai) et divinités (kami) croisées par Chihiro convoquent les croyances du Japon traditionnel, avec une culture animiste et shintoïste tissant ce lien entre nature et créatures ancestrales. Le cadre du récit avec cette station thermale pour les dieux est une réminiscence des onsen dont Miyazaki reprend tous les rites de fonctionnement, rehaussés par la nature surnaturelle de ses clients. Le réalisateur vante la reconstruction de son héroïne par le courage, le travail et l’apaisement intérieur – tout comme c’était d’ailleurs le cas pour celle à peine plus âgée de Kiki la petite sorcière. Chihiro, chétive et craintive au départ (les gags où elle glisse et se casse la figure sont multiples) manque de se perdre par son manque de détermination, physiquement en devenant translucide dans ce monde parallèle et symboliquement en manquant d’oublier son vrai nom pour ne plus retenir que celui donné par la sorcière Yubaba. En s’accrochant dans l’espoir de sauver ses parents, elle gagne une volonté et une maturité qui lui permettront de se sauver elle-même, le labeur collectif (grandiose scène de bain du dieu de la rivière) estompant son égoïsme initial pour venir en aide à d’autres êtres en perdition.

Son bienfaiteur Haku ne connaissant plus son nom accomplit les basses œuvres de Yubaba dans l’espoir d’être sorcier, et le personnage de Sans-Nom perd la raison à force de solitude qu’il cherche à apaiser à travers la corruption et le mimétisme des êtres qu’il absorbe. On peut y ajouter cet imposant bébé capricieux qui ne s’épanouira qu’après avoir goûté les joies du monde extérieur. C’est un véritable voyage initiatique où Chihiro est un miroir du Japon dont Miyazaki n’imagine l’éveil que par le recouvrement de son identité profonde et de ses traditions, signifié par l’accomplissement de la fillette dans ce monde parallèle mythologique. Visuellement, c’est une des œuvres les plus envoûtantes de Miyazaki, dont l’ensemble de l’imagerie est chargée de références (Yubaba effrayante et maternelle s’inspirant des sorcières Yama-Uba dans le folklore japonais, mais aussi de l’exubérance de la propre mère de Miyazaki déjà signifiée avec le personnage de la mère des pirates dans Le Château dans le Ciel), de symboliques fortes (la monstruosité initiale du dieu de la rivière causée par la pollution) et d’images inoubliables. A ce titre, la séquence du voyage en train est un sublime instant de mélancolie, de poésie suspendue portée par les délicates notes de piano d’un Hisaishi Joe très inspiré. Son score emprunte de captivants détours romanesques et tourmentés, tout en se teintant de sonorités étranges et dissonantes signifiant l’introduction de ce folklore traditionnel dans son accompagnement des images. Le Voyage de Chihiro sera synonyme de renouveau artistique et de consécration mondiale pour Miyazaki qui devient avec le studio Ghibli une référence mondiale du divertissement. Le film triomphe au box-office japonais mais remporte aussi un vrai succès international amorcé par l’Ours d’Or au Festival de Berlin et l’apothéose de l’Oscar du meilleur film d’animation.

Justin Kwedi

Le Voyage de Chihiro de Miyazaki Hayao. Japon. 2001. Disponible sur Netflix le 01/03/2020

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