NETFLIX – Mes voisins les Yamada de Takahata Isao

Posté le 18 avril 2020 par

Takahata Isao signe à la fois un des films les plus attachants et expérimentaux du studio Ghibli avec Mes voisins les Yamada, disponible depuis le 1er mars sur Netflix.

Mes voisins les Yamada est un film charnière dans l’histoire du studio Ghibli. Après l’épique œuvre testamentaire qu’est Princesse Mononoké (1997), Miyazaki Hayao a tenu parole et a pris sa retraite, pour un certain temps. Le décès prématuré de son successeur désigné Kondo Yoshifumi (brillant directeur d’animation et réalisateur du magnifique Si tu tends l’oreille (1995)) le forcera à revenir mais en attendant, Ghibli traverse une vraie mutation. Les accords de distribution internationale avec Disney sont entrés en vigueur avec la sortie mondiale de Princesse Mononoké et le studio est à un carrefour important entre réitérer ce succès et une formule ou, comme il l’a toujours fait, se remettre en question avec le projet suivant. C’est bien sûr la deuxième solution qui l’emportera. Mes voisins les Yamada est l’adaptation d’un manga à succès de Ishii Hisaichi qui a la particularité d’être un yonkoma, soit une bande-dessinée en quatre cases (se lisant de haut en bas) équivalente au comic-strip occidental. Le manga fut publié entre 1991 et 1993 dans le journal Asahi Shinbun et contait le quotidien d’une famille haute en couleur. Suzuki Toshio, président de Ghibli, suggère un projet d’adaptation à Takahata, grand fan du manga. L’exigence du réalisateur va en faire un des défis techniques les plus audacieux de Ghibli. Takahata souhaite en effet reproduire le trait du manga dans une narration qui obéirait aussi au principe de saynète isolée avec comme seul fil rouge la famille et les épisodes touchant chacun de ses membres. Princesse Mononoké avait amorcé l’usage de l’outil numérique dans des productions Ghibli pour des effets particulièrement voyants (la mutation du Dieu-Sanglier fou, l’incarnation finale du Dieu-Cerf…) et que Takahata va poursuivre pour un rendu aussi impressionnant que discret.

Le réalisateur avait déjà poussé loin ce rendu épuré et éthéré via l’animation traditionnelle dans les scènes de flashback de Souvenirs goutte à goutte (1991) où il s’agissait de faire la différence avec la narration au présent. L’ordinateur permettant désormais de coloriser directement les dessins sans passer par les cellulos, le réalisateur use donc de cet outil pour reprendre à l’identique l’esthétique du manga. La transition est plus simple pour Takahata que pour Miyazaki (qui dessine lui-même l’intégralité des lay-out de ses films) qui délègue le dessin et l’animation tout en se montrant extrêmement exigent puisque de fait toute l’émotion doit passer chez lui par la seule mise en scène. Formellement, nous aurons donc un film au dessin faussement simpliste dans le chara-design cartoonesque des personnages et l’épure stylisée de ses décors et arrière-plans. La colorisation informatique se substituant aux cellulos permet un rendu subtil évoquant l’aquarelle où les personnages peuvent se fondre à travers l’animation par ordinateur qui fait disparaître le contour noir du dessin manuel et de l’animation classique.

C’est une approche aussi complexe qu’invisible pour les non-initiés aux techniques de l’animation et qui est typique de Takahata. Là où un Miyazaki déploie explicitement sa virtuosité, ses morceaux de bravoure et son message avec le plus grand sérieux (notamment dans ses fresques épiques comme Nausicaa (1984), Le Château dans le ciel (1986) et Princesse Mononoké), Takahata opte pour une touche plus modeste capturant le quotidien dans une veine moins ostentatoire pour amener l’émotion. Le Tombeau des lucioles (1988) nous serre le cœur par l’errance sans but et fatale des héros plus que par des drames marqués. Toute la mélancolie de Souvenirs goutte à goutte passe par le point de vue dépressif et nostalgique de son héroïne tandis que les larmes finales de Pompoko (1994) ne fonctionnent aussi bien que grâce aux nombreux rires qui ont précédés. Avec Takahata la mise en scène est là pour saisir le sentiment de l’instant qui finit par gagner un ensemble qui n’a pas besoin de se reposer sur une narration classique ayant forcément un début, un milieu et une fin. Mes voisins les Yamada pousse donc cette notion à son paroxysme grâce aux différentes tranches de vie que Takahata pioche dans le manga. Après le cadre historique du Tombeau des lucioles, la nostalgie de Souvenirs goutte à goutte et la mythologie de Pompoko, Takahata poursuit dans les environnements typiquement japonais mais cette fois contemporains avec ce qui se rapproche le plus du quotidien d’une famille nippone des années 90. Malgré quelques spécificités culturelles, ces instants volés parleront à tous à travers les imperfections si touchantes de cette famille. Le burlesque vient bousculer des situations typiques tel ce duel à la télécommande entre la mère et le père pour choisir le programme télévisé à regarder. La drôlerie ou le spleen s’invitent pour montrer des protagonistes pas forcément à l’aise dans le rôle que cette société japonaise leur a assigné, que ce soit la mère étourdie et loin de la femme d’intérieur parfaite (même menu plusieurs jour de suite par flemmardise, linge oublié…) tandis que le père est un salary man usé qui semble aspirer à autre chose.

Contrairement au manga dont elle devient peu à peu la vraie héroïne, la fille cadette Nonoko est ici plus en retrait pour laisser place à l’hilarant tumulte du couple, aux émois adolescents du grand frère Noboru ou à la langue bien pendue de la grand-mère Shige. Cette légèreté laisse transparaître des sentiments plus sombres, parfois dans les situations (la grand-mère rendant visite à une amie malade ou s’interrogeant sur combien de cerisiers elle verra encore fleurir) ou de superbes idées formelles. Ainsi le dessin cartoonesque s’estompe et se fait réaliste le temps d’une scène où le cadre familial laisse place au danger du monde extérieur lorsque le père se confronte à des motards dérangeant le quartier. Tout le croisement de réalisme, humour et poésie de ce quotidien repose sur l’amour que se porte cette famille sous les vacheries et sarcasmes et c’est ce cocon que dépeint Takahata par son esthétique singulière. Une scène (Nonoko trouvée dans une tige de bambou) annonce d’ailleurs le merveilleux Le Conte de la princesse Kaguya (2016), ultime chef d’œuvre tardif de Takahata qui se mettra en retrait après le succès très mitigé de cet inoubliable Mes voisins les Yamada.

Justin Kwedi

Mes voisins les Yamada de Takahata Isao. Japon. 1999. Disponible sur Netflix depuis le 01/03/2020

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