100 ans de cinéma japonais – Entretien avec Iwai Shunji

Posté le 6 avril 2019 par

À l’occasion de Japonismes, La Cinémathèque Française a projeté un des derniers films d’Iwai Shunji, A Bride for Rip Van Winkle, opus de trois heures basé sur le roman du même nom. Car Iwai est non seulement cinéaste mais romancier… et musicien. Un touche à tout à qui l’on doit des films mémorables dont Love Letter, April Story, All About Lily Chou-Chou et Hana & Alice. S’il est l’un des réalisateurs japonais les plus talentueux des 30 dernières années, il est injustement méconnu en France où seul un de ses films a été distribué : Hana et Alice mènent l’enquête en 2015. Iwai reste malheureusement un sésame que l’on cite entre initiés, pour vanter son panache coloré très pop et son traitement des forums Internet dans le chef d’œuvre All about Lily Chou, film cruel à la musique sublime. La projection d’A Bride for Rip Van Winkle était l’occasion de rencontrer Iwai Shunji et de revenir sur sa carrière et les films à venir, car il est très productif et vient de terminer le tournage de Last Letter, un film à sortir en 2019.

Vous avez commencé votre carrière au début des années 90 en réalisant des films pour la télévision alors que beaucoup de cinéastes de l’époque faisaient leurs premières armes sur des pinku eiga. Comment avez-vous collaboré directement pour la télévision ?

Au début, je voulais devenir auteur de manga mais ça n’a pas fonctionné. Je réalisais aussi des films mais je ne savais pas comment les distribuer. J’ai commencé à montrer les films que j’avais réalisés quand j’étais étudiant. Des personnes travaillant pour la télévision m’ont alors demandé de réaliser des clips musicaux et des documentaires. Mon nom a commencé à circuler dans le milieu TV et on m’a demandé de réaliser des films pour la télévision.

J’ai vu les films que vous avez réalisés pour Fuji TV, c’est assez étonnant car il y règne une grande liberté qui va à contre-courant de ce qu’on peut penser des productions télé, très cadrées, un peu bas de gamme. La télévision japonaise était-elle aussi libre pour sortir ce genre de films ?

Quels films avez-vous vus ?

À peu près tout : Ghost Soup, A Tin of Crab Meat, A Summer Solstice Story, Fried Dragon Fish, tous les films liés à la nourriture. Le film qui me semble le plus étonnant et à contre-courant de ce qu’on peut voir à la télévision est A Summer Solstice Story qui parle d’une femme folle, boulimique et battue. Voir ce type de production pour la télévision me paraît complètement dingue.

Au début je n’avais pas vraiment de liberté mais quand mon travail a été reconnu, on m’a laissé faire mes films. Je suis peut-être allé trop loin.

Étiez-vous en contact avec les réalisateurs qui émergeaient à cette époque, je pense notamment à Kurosawa Kiyoshi ou Miike Takashi ?

J’ai rencontré Kurosawa Kiyoshi dans un festival, je ne le connais pas plus que ça. Miike, je ne l’ai jamais rencontré. Il arrive que des équipes techniques travaillent sur mes films et les leurs mais ça s’arrête là.

Je pose cette question parce qu’en France, dans les années 90, il y a eu une vague de diffusion de films japonais : Kitano, Tsukamoto, Kurosawa, la J-Horror un peu plus tard… Bizarrement vous n’avez pas été mis en avant comme si vous étiez mis à l’écart de la production japonaise.

C’est peut-être parce que j’ai fait mes premières armes à la télévision, je ne faisais pas partie du sérail. Je peux citer un autre réalisateur issu de la télévision qui s’appelle Ishikawa Hiroshi, il y a peut-être une sorte de séparation entre les réalisateurs issus de la télévision et ceux qui ont commencé directement par le cinéma. Ceci dit, mes films ont été sélectionnés plusieurs dans des festivals internationaux, à Berlin par exemple. Quand je regardais les articles dans la presse, je voyais des noms de réalisateurs japonais et j’étais assez étonné des noms cités. Je n’ai pas non plus eu de récompenses au Japon, j’étais peut-être considéré comme un réalisateur à part.

Dans vos films, vous mettez souvent en avant des femmes, dans des rôles assez torturés, pourquoi ça ?

Ça m’arrive de réaliser des films dans lesquels le personnage principal est un homme, mais même si c’est un homme je cherche toujours à trouver une personne qui sort du lieu commun. Quand je choisis une femme, je le fais pour mieux montrer un côté désaxé.

Dans All About Lily Chou, vous évoquez les forums de discussion sur Internet. Dans A Bride for Rip Van Winkle, vous parlez d’une agence qui permet de louer des personnes pour être figurants dans un mariage. En l’espace de 18 ans, on retrouve les excès d’un manque de communication.

Le monde virtuel a toujours existé, même avant l’apparition d’Internet. Dans All about Lily Chou, il y a un excès de l’utilisation d’Internet. Dans A Bride for Rip Van Winkle, c’est pareil. Les gens sont préoccupés par le monde virtuel qui envahit le monde réel.

Vous filmez souvent la réalité comme si cela se passait dans un rêve, cela est retranscrit notamment dans les éclairages de vos films. Maintenant que le réel est de plus en plus brouillé dans la tête des gens, est-ce que cela change votre envie de raconter une histoire parce que la frontière entre réalité et rêve est de plus en plus trouble ?

Mon cinéma toujours été calqué sur les rêves, les films que je voulais tourner étaient inspirés de mes propres rêves. Par exemple, quand je me réveille, j’ai l’impression d’être dans une ville que je ne connais pas, j’ai des sentiments très mélancoliques. Mes rêves m’ont servi de modèle pour mes films, j’en ai utilisé certains dans mes films, par exemple Picnic. J’aime beaucoup Les Chants de Maldoror de Lautréamont, qui parlent de la rencontre fortuite sur une table de dissection, d’une machine à coudre et d’un parapluie. Dans mes films, j’essaie de montrer ces rencontres hasardeuses, qui ne se passent pas dans la vie réelle mais qu’on peut retrouver dans les rêves.

Pouvez-vous nous parler de Last Letter, votre dernier film tourné en Chine ? A-t-il un lien direct avec Love Letter et Chang-ok’s Letter ?

Je suis étonné que vous connaissiez Chang-ok’s Letter. Quand j’ai réalisé ce court métrage, je ne pensais pas vraiment à Love Letter. J’ai voulu en faire un long métrage et c’est là que j’ai repensé à Love Letter. À l’époque où j’ai réalisé ce film, il était tout à fait normal d’écrire des lettres, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Last Letter n’est pas la suite de Love Letter mais on retrouve le même univers.

Vous avez tourné Last Letter en Chine et vous allez en faire une adaptation au Japon ?

Oui, le tournage est terminé. Je suis en train de monter le film. Dans Last Letter, le personnage principal écrit un roman et je compte tourner un nouveau film basé sur le roman qui est écrit par le personnage principal dans le film. L’histoire n’est pas tout à fait la même entre le film chinois et sa version japonaise. Pour la version chinoise, j’ai pris en compte certaines considérations politiques, par exemple, l’enfant unique par famille.

Si vous deviez conseiller un de vos films aux spectateurs français, lequel serait-il ?

A Bride for Rip Van Winkle.

Propos recueillis par Marc L’Helgoualc’h à Paris le 20/02/2019.

Traduction : Léa Le Dimna

Remerciements : Léa Le Dimna, Estelle Lacaud et toute l’équipe de la rétrospective 100 ans de cinéma japonais.

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