Entretien avec Okita Shuichi, réalisateur de A story of Yonosuke (Kinotayo 2013)

Posté le 11 janvier 2014 par

Véritable coup de cœur de la 8ème édition du festival du film japonais contemporain de Kinotayo pour East Asia (lire ici et écouter ici), A Story of Yonosuke est l’œuvre d’un jeune cinéaste que nous avons eu le plaisir de rencontrer lors de sa venue à paris, où il a présenté le film devant un public enthousiaste, qui lui a remis le Soleil d’or. Curieux et visiblement ravi d’être là pour présenter son film à un public différent, il nous a longuement parlé de son parcours, de son amour pour son personnage et de… Sangoku !

Pouvez-vous présenter votre parcours aux spectateurs qui découvrent votre travail à Kinotayo cette année avec A Story of Yonosuke ?

Avant A Story of Yonosuke, en 2009, j’ai tourné un film intitulé The Chef of South Polar, qui parle d’une équipe d’observation au pôle sud. C’est leur quotidien pendant un an, et je me suis focalisé sur le chef cuisinier. Donc en fait, ils n’arrêtent pas de manger dans ce film ! Puis, j’ai réalisé The Woodsman and the Rain, qui se passe dans un village dans les montagnes. Le film raconte la rencontre d’un homme d’une soixantaine d’années et d’une équipe de cinéma qui vient là pour faire un film de zombies. Une amitié très forte va naître entre le vieux monsieur et le jeune réalisateur de 25 ans.

Ce sont des thématiques qui me font beaucoup penser au cinéma de Wes Anderson, avec qui vous partagez également un sens de l’absurde mélancolique. Est-ce l’une de vos influences et de quels cinéastes vous sentez-vous proche aujourd’hui ?

Oui, j’aime beaucoup Wes Anderson et j’adore ses films, mais je n’oserai pas me comparer à lui ! Mais c’est vrai que nous avons cet humour un peu sous-jacent en commun. Sinon, au Japon, je suis très proche des réalisateurs de ma génération comme Yamashita Nobuhiro (The Drudgery Train) ou Ishii Yuya (The Great Passage). J’ai l’impression que l’on mêle humour et humanité dans nos films.

D’ailleurs, vous partagez un acteur avec Yamashita : Kôra Kengo. Comment l’avez-vous choisi pour ce rôle ?

A Story of Yonosuke

En fait, j’avais déjà travaillé avec lui à la télévision. Déjà, je trouve qu’il est plutôt beau gosse, mais surtout, c’est un jeune homme très normal. C’est ce qui me plait beaucoup chez Kôra Kengo. J’aime tourner avec lui et il a toujours joué dans mes films, mais je voulais qu’il interprète le personnage principal de mon film, ce qui a enfin pu se faire avec A Story of Yonosuke.

Vous parlez de la télévision, et on a l’impression qu’il y a un formatage du cinéma japonais du fait justement de la mainmise de la télévision sur l’industrie cinématographique et que des films d’auteur comme le vôtre sont de plus en plus difficile à produire. Quel est votre sentiment là-dessus dans la mesure où vous travaillez à la fois pour la télévision sur des séries et le cinéma pour des projets plus personnels ?

C’est vrai qu’au Japon, il y a deux extrêmes qui se creusent. D’un côté, il y a les films à gros budget, et de l’autre, les films indépendants fait avec très peu de moyens. Par contre, je pense que mes films se situent entre les deux. Il est de plus en plus difficile de faire ce film à moyen budget, mais beaucoup de réalisateurs de ma génération, comme ceux que j’ai cité tout à l’heure, sont comme moi, c’est-à-dire que l’on travaille pour la télévision pour pouvoir faire au cinéma ce que l’on a vraiment envie de faire. Mais j’ai plutôt confiance en l’avenir et reste assez optimiste et impatient de découvrir ce que l’on va faire dans le futur.

Vous parlez d’une grande liberté de la part des producteurs, mais comment est-ce que la Nikkatsu a réagi face à ce projet, qui est un film de près de 3 heures se déroulant dans les années 80 ?

Le producteur m’a vraiment beaucoup protégé. C’est même lui qui a insisté pour que le film soit aussi long. En général, c’est plutôt le producteur qui demande au réalisateur de couper, mais là, c’était le contraire ! Il insistait pour que je ne coupe pas le film ! Du coup, je me sentais très libre et j’avais l’impression d’être vraiment soutenu. Ce qui est très rare…

Comment est né le film et comment le projet s’est-il mis en place ?

Le producteur du film avait également produit The Chef of South Polar et c’est lui qui m’a apporté ce projet. Il m’a fait découvrir le roman que le film adapte et je pense qu’il devait déjà y avoir beaucoup de réalisateurs qui voulaient le transposer en film. Je me sens très chanceux d’avoir pu le faire.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette histoire en tant que réalisateur ?

Hum… Yonosuke ! C’est bien sûr ce personnage. Mais il y avait aussi le côté intemporel de l’histoire. J’ai l’impression que ça peut se passer de nos jours.

Si l’histoire est assez intemporelle, on sent un soin du détail dans la reconstitution des années 80, à travers le choix des vêtements, des ustensiles comme le walkman, la VHS… Est-ce qu’il y avait des éléments qui vous fascinaient dans cette période, et voulez-vous les utiliser pour créer un décalage comique avec notre époque ?

Dans le film, il n’y a pas de carton qui indique que l’histoire se passe en 1987, il fallait donc le suggérer. Ce qui était très drôle, c’était le travail avec les figurants. Il y en a une centaine, qu’il a fallu transformer à la mode des années 80. Nous avons donc joué avec les vêtements, les coupes de cheveux. C’était difficile mais très intéressant de reconstruire cette atmosphère à travers les figurants.

On le sent dès la scène d’ouverture qui se passe à Shibuya. Est-ce que vous avez vraiment tourné à Shibuya et comment avez-vous réalisé cette scène ?

Les premiers plans ont été réalisé grâce aux effets spéciaux et aux figurants. La centaine de figurant a été séparée en trois groupes, qui ont commencé à marcher d’un coup. Mais comme nous avons tourné sans autorisation, il y avait aussi de véritables personnes qui marchaient dans la rue au moment des prises de vues. Et avec les effets spéciaux, nous avons recréé les bâtiments et les enseignes.

Je voulais revenir sur les allers-retours du film entre le passé et le présent. Pourquoi avoir choisi cette structure et en quoi la juger vous importante ?

C’est la structure du roman et il me semblait important de garder ces allers-retours entre deux temporalités, pour montrer que l’on participait tous à la vie de quelqu’un d’autre. Par contre, dans le roman, il y a un écart de 20 ans entre le passé et le présent. Dans le film, le décalage est de 16 ans. La description du présent était plus détaillée et plus longue. J’ai donc quand même modifié quelques détails et resserré la narration.

Le personnage de Yonosuke, dans la façon assez exagéré dont il est interprété, m’a fait penser à un personnage de manga. Comment l’avez-vous envisagé de votre côté ?

C’est un personnage pour lequel je n’ai toujours pas trouvé d’adjectif. Ce que je sais, c’est que c’est un personnage qui n’a aucune arrière-pensée, il est très honnête et n’arrive pas à cacher ses sentiments. Il est également assez simple… Mais je ne trouve pas de mots pour le décrire. C’est pourquoi j’ai essayé de montrer toutes ces facettes dans le film.

A Story of Yonosuke

Dans sa naïveté et dans sa capacité à révéler les autres par sa candeur, il m’a fait penser à Sangoku dans Dragon Ball

Vous parlez de Sangoku de Dragon Ball ? Mhum, je comprends ce que vous voulez dire, oui… (rires)

Déjà, à 19 ans, on peut dire que l’on est encore personne. On n’a pas un caractère bien définit. J’ai l’impression que l’on n’a que le pays natal…

Vous arrêtez d’ailleurs de raconter son histoire à partir du moment où lui-même se trouve en tant que photographe…

En effet, on ne voit plus directement la suite à partir du moment où il devient photographe. Mais ce qui est assez ironique, c’est que l’appareil photo est présent dès le début, dans la chambre voisine de celle où il emménage au début du film. Tout le film est un détour pour trouver cette vocation de photographe, qui est juste à côté de lui. Ce que je voulais montrer, c’est que la fin du film n’est que le début de sa vie.

Le film est sorti en février au Japon,  comment a-t-il été reçu ?

Il a été mieux accueillit que ce que je pensais. Yonosuke est aimé par beaucoup de gens. Avant la sortie, j’avais un peu peur de la longueur du film, mais finalement, les spectateurs ont ri et pleuré.

Le film est également très bien reçu en France par le public de Kinotayo. Aviez-vous peur que certains éléments ne soient pas compris par le public international ?

Oui, il y a beaucoup de détails qui ne me semblaient pas pouvoir être intelligible par le public étranger. Il y en a tellement que je n’ose pas les énumérer. Mais l’essentiel est que les personnages soient compris et aimés… Je peux essayer de trouver des exemples… Le film joue beaucoup avec le langage, les accents, les dialectes, ce que l’on ne peut pas faire passer dans une traduction. Il y a aussi une scène dans laquelle Yonosuke prend un bain de pied en mangeant une soupe de nouille et en lisant un manga, pendant laquelle j’ai remarqué que les spectateurs français rigolaient… Je ne pense pas que les Français font ce genre de choses… (rires). Mais ça a fait rire ! Je me suis dit que les français comprenaient ce qui se passait. Et inversement, il y a plein de détails qui m’échappent quand je vois des films français.

Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.

Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?

family-game

C’est la dernière scène de Kazoku Gēmu (The Family Game) de Morita Yoshimitsu. C’est une scène de repas et c’est cette scène qui m’a donné envie d’être réalisateur. En la voyant, je me suis dit que je pouvais faire la même chose. Mais il me manquait un peu de modestie à l’époque. C’est un film très intéressant, si vous ne l’avez pas vu, je vous le conseille.

Avez-vous un dernier mot pour les lecteurs d’East Asia ?

Je pense que A story of Yonosuke est un film universel et mon souhait est que beaucoup de gens de pays différents puissent le voir.

Propos recueillis par Victor Lopez le 21/12/2013.

Merci à Megumi Kobayashi pour sa traduction, à Stéphanie Runfola pour l’organisation de l’entretien, et à toute l’équipe de Kinotayo.

A Story of Yonosuke de Okita Shuichi. Japon. 2013. Présenté lors de  la 8ème édition du festival du film japonais contemporain de Kinotayo.

Pour plus d’information sur le film, voir ici.

À lire également sur Kinotayo 2013

Programmation

Film d’ouverture : Wara No tate de Miike takashi

Hors-Compétition : Outrage Beyond de Kitano Takeshi

Entretien avec Okita Shuichi, réalisateur de A story of Yonosuke

Entretien avec Omori Tatsushi, réalisateur de Bozo

Edito Kinotayo 2013, le cinéma japonais contemporain à l’honneur

Bilan du festival

Podcast spécial Kinotayo

Palmarès du Festival Kinotayo 2013