Black Movie : retour sur l’interview vidéo de Johnnie To (Life Without Principle)

Posté le 23 janvier 2013 par

Alors que Life Without Principle, son excellent et dernier film, est projeté au Black Movie à Genève, East Asia vous propose une interview vidéo de son réalisateur, Johnnie To. Le maître était en effet de visite en France en Juillet 2012 dans le cadre du gargantuesque hommage à Hong Kong organisé par Paris Cinéma. L’occasion était trop belle de le titiller sur ses débuts au cinéma, son rapport aux triades et sa ville. Interview d’Anel Dragic, vidéo de Flavien Bellevue.

La Vie sans principe a subi plusieurs changements de direction au cours de son développement. Death of a Hostage est devenu Punished de Law Wing Cheong, puis vous avez démarré La vie sans principe avec le casting du film précédent. Pouvez-vous nous en parler ?

La Vie sans principe n’a rien à voir avec Death of a Hostage. Au début, je n’avais pas prévu de tourner La vie sans principe ainsi. Je voulais faire un film sur un type complètement avide. C’était en 2008 et la crise financière a éclaté. Je me suis dit que ça serait intéressant d’intégrer cet élément dans mon film. C’est comme ça que petit à petit le film est devenu une réflexion sur la crise financière et le comportement des hommes.

Revenons loin en arrière, sur votre deuxième film: Happy Ghost III. Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir au cinéma avec ce film ? (ndr: Après son premier film, Enigmatic Case, Johnnie To, peu satisfait du résultat, décida de retourner à la télévision pour gagner de l’expérience). Le film est également co-réalisé par Raymond Wong et Ringo Lam. Qui a la paternité de quoi ?

Quand j’ai fait mon premier film, je me suis rendu compte que je n’avais pas tout à fait le niveau pour faire du cinéma, que j’avais encore des choses à apprendre. C’est comme ça que j’ai pris la décision de retourner à la télévision. J’ai passé sept ans là-bas, à apprendre la technique et, au bout de tout ce temps, je me suis dit que le temps était venu que je retente ma chance au cinéma. Je me suis lancé, dans ce qui ne m’apparaissait pas comme un projet très difficile : une comédie. Je me suis dit qu’à travers ce film j’allais essayer de montrer que j’avais fait quelques progrès depuis mes débuts et c’est dans cette optique que je me suis lancé. Ce film là n’est pas non plus un grand film. C’est une production de la Cinema City. A l’époque, ils étaient assez pressés. A mon avis il doit y avoir une petite séquence tournée par Ringo Lam et une autre par Tsui Hark. A l’époque ça se faisait : il fallait compléter vite fait le film. Mais le plus gros du film est bien de moi.

Vous qui avez fait beaucoup de films de triades, pouvez-vous nous parler de leur rôle dans l’industrie du cinéma de Hong Kong ?

En fait, les gens des triades qui ont investis dans le cinéma respectent en général les règles du métier. Ils ont compris que ça ne sert à rien de forcer les gens à faire des choses. Si vous les forcez, ils le font pour vous, mais le résultat sera catastrophique. C’est une mauvaise chose de passer par la contrainte. Certains mafieux qui ont réussis se sont reconvertis dans le cinéma avec, il faut l’avouer, plutôt de bons résultats sur le plan artistique et financier. Mais s’ils ont réussis à produire de bons films, c’est parce que ces gens là ont compris que pour produire de bons films, il faut respecter les règles, respecter les artistes. Il y a eu un moment donné où certains aventuriers sont venus dans le métier et ont contraints les gens à faire des films avec un couteau sous la gorge, mais cela a duré très peu de temps. Très vite, il y a eu du ménage. L’important, c’est qu’ils ont compris que si l’on veut travailler dans le cinéma et faire de bons films, il faut respecter les règles.

Vous qui faites des films de genre très urbain. En quoi la transformation de la ville a changé votre manière de filmer ?

Il faut vivre avec son temps. Le monde change ; la ville et la société se transforment. On y peut rien. Encore moins en tant qu’artiste. En tant que créateur, je ne vais pas dire que je veux faire un film contre mon époque. Mais je pense que c’est intéressant que je fasse état de ce changement de la société dans mes films. L’important, ce n’est pas comment je vais réagir contre la transformation, c’est plutôt la manière dont ce changement va impacter mon œuvre. C’est plus important que de critiquer les changements de la société ou de la ville. Ce qui compte, c’est que j’arrive à refléter tout cela dans mes films, et que, si possible, ça amène mon spectateur à réfléchir.

Concernant votre collaborateur Wai Ka Fai. Ses scénarii sont très particuliers, déstructurés et assez fous. Comment se passent les phases d’écriture et en quoi sa technique diffère de la votre ?

Pour moi, Wai Ka Fai est probablement le meilleur scénariste de Hong Kong. C’est aussi le scénariste en chef de ma société (ndr: la Milky Way Image (HK) Ltd., fondée par To et Wai Ka Fai en 1996). Il dirige tout un pool d’autres jeunes scénaristes qui apprennent le métier à ses côtés. C’est quelqu’un d’assez obsessionnel en fait. Quand il n’arrive pas à conclure une idée, il n’abandonne pas. Il creuse encore et encore, et ses collaborateurs doivent le suivre. C’est pour ça que des fois il reste des journées entières au bureau, rien que pour aboutir à une séquence ou à une idée. Moi , je ne fonctionne pas comme ça. Je n’aime pas les scénarii tout prêts. Je n’éprouve aucun intérêt à en filmer, cela ne me donne plus envie de me lancer. J’aime bien imaginer, réfléchir dans ma tête et garder toutes les idées qui sont apparues. J’essaie de les reproduire sur le tournage. Wai Ka Fai c’est différent. Il arrive, il faut que tout soit prêt. C’est la principale différence entre nous deux.

Propos recueillis par Anel Dragic le 30 juin 2012 à Paris dans le cadre du festival Paris Cinéma.
Photos : Julien Thialon

Life without Principle de Johnny To est projeté dans le cadre du Festival Black Movie à Genève les 19 et 25 et 26 janvier.

Le lien vers la fiche du film ici !

 

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