FESTIVAL DES 3 CONTINENTS 2025 – Tiger’s Pond de Natesh Hegde : innocence en eaux troubles

Posté le 8 décembre 2025 par

Après Pedro, qui avait marqué l’édition 2021 du Festival des 3 Continents en remportant la Montgolfière d’Argent, le réalisateur Natesh Hegde revenait à Nantes cette année pour présenter son nouveau film, Tiger’s Pond, troublant huis-clos au sein d’un village du sud de l’Inde. Le long-métrage était sélectionné en compétition officielle. 

Dans un petit village du Karnataka, un politique avide de pouvoir est en campagne pour se faire réélire. Lorsqu’une jeune bergère dalit et handicapée mentale à son service est violée, l’homme devient prêt à tout pour étouffer l’affaire. 

Inspiré par un véritable fait divers et par une jeune femme à la situation similaire que le réalisateur a connu lors des ses années étudiantes, Tiger’s Pond n’est pas le thriller auquel on pouvait s’attendre. Plongée immédiate dans l’étrange, le long-métrage est un film de symbolisme et d’échos. Le coupable ne sera jamais révélé, son identité n’est pas le cœur du récit. Dans un microcosme villageois inquiétant, le huis-clos construit par Natesh Hegde suffoque progressivement ses personnages et condamne l’innocence à la fatalité. Autour, les collines boisées deviennent les témoins silencieux et presque indifférents du drame qui se joue et que rien ne pourra arrêter. 

A la photographie, on retrouve une nouvelle fois Vikas Urs, qui avait fait ses débuts avec Pedro, et qui est aussi présent cette année au festival pour Cactus Pears de Rohan Kanawade. C’est à lui que l’on doit le somptueux grain patiné de l’image, qui donne à Tiger’s Pond un aspect hors du temps et d’autant plus mystérieux. Soutenant cette atmosphère flottante, l’absence quasiment totale de musique offre à chaque plan le temps de l’interprétation et la possibilité pour le spectateur d’y lire différentes couches de lecture. 

Œuvre complexe, aux élans parfois lynchiens, Tiger’s Pond mêle mystique, réalisme et manifeste politique avec adresse. Le thème central de la corruption et de la violence des élites est mis en miroir avec les croyances ancestrales du territoire, incarnées par des statues de divinités tribales intimidantes. Natesh Hegde prend aussi le contre-pied métaphorique des éléments environnants : l’eau, qui renvoie traditionnellement à l’idée de purification, allude ainsi à la mort et à la domination. Le feu, quant à lui, prend un rôle dual, entre destruction et purgation. 

Par le biais de ce travail narratif, le réalisateur signe un portrait subtil des dynamiques de pouvoir, de la violence et de l’indifférence qui peuvent gangréner une société. Interprété par Achyuth Kumar, Prabhu, le chef local, est un individu prêt à tout pour dominer les autres, jusqu’à sacrifier sa propre famille. Son homme à tout faire Malabari (Dileesh Pothan) incarne quant à lui tout ce qu’une personne est prête à faire pour une illusion de pouvoir, pour un respect factice. 

A part ces deux acteurs, tous les participants au film sont amateurs. Pour Tiger’s Pond, Natesh Hegde a en effet décidé de tourner dans son village d’enfance, et de travailler avec ses habitants. On retrouve notamment son père, Gopal Hegde, personnage principal de Pedro, dans les habits moins importants mais essentiels du rival politique, et le réalisateur joue lui-même un des rôles majeurs, celui du frère cadet de Prabhu, Venkati. La performance la plus marquante reste toutefois celle de la jeune femme (Sumitra) interprétant Pathi, la petite bergère handicapée mentale, dont le regard profond hante l’histoire et interroge la lâcheté humaine. Peinture réaliste (et pessimiste) de notre monde, prophétie ou avertissement ? Natesh Hegde laisse planer le doute et invite chacun à déposer un regard personnel sur son récit.  

Audrey Dugast

Tiger’s Pond de Natesh Hegde. Inde. 2025. Projeté au Festival des 3 Continents 2025.