VIDEO – Gang Master de Tsui Siu-ming

Posté le 3 octobre 2022 par

Spectrum Films poursuit inlassablement sa redécouverte du catalogue de la Shaw Brothers. Avec Gang Master de Tsui Siu-ming, nous avons droit à l’un de ces films typiques de la firme hongkongaise des années 1980 – d’aucuns diront sans originalité, et pourtant son excellente tenue est éblouissante, d’autant qu’il est inédit sous nos latitudes.

À la mort de son père adoptif sur le champ de bataille, Zhong Yuan est pressenti pour lui succéder à la tête d’une société secrète en guerre contre les soldats la dynastie mongole Yuan. Mais un message anonyme vient changer la donne  : Zhong Yuan est en réalité lui-même mongol, il est le fils du chef ennemi. Chassé par sa famille et ses amis d’adoption, il erre dans l’espoir de réintégrer le clan à qui il doit tout.

En 1982, date de sortie du film sur les écrans hongkongais, la Shaw Brothers tient le cap malgré le déclin de l’intérêt du public pour les films en costume. Elle le doit à un nom : Liu Chia-liang, qui connait son âge d’or. Et pourtant, en regardant sur le côté, on s’aperçoit que de nombreux artistes et techniciens continuent le travail et parviennent à réaliser des films joliment ficelés et à la mise en scène rutilante. Gang Master fait partie de ces courts films (1h25) qui divertissent de la meilleure manière en profitant d’un scénario mis en valeur par les magnifiques décors de Clear Water Bay et les meilleurs seconds rôles de l’époque (en la présence notamment de Ku Feng).

En effet, la mise en scène de Tsui Siu-ming ne se permet aucune grande originalité vis-à-vis d’autres wu xia pian de la Shaw – des clans martiaux en guerre et les jeux de pouvoir associés ont été vus à de nombreuses occurrences pendant l’âge d’or des réalisateurs emblématiques Chang Cheh ou Chu Yuan durant années 1970. Tsui Siu-ming entreprend toutefois de placer tous les curseurs au maximum de leur qualité. Le scénario du film se voit mis en scène habilement, à travers un rythme de péripéties rigoureusement étudié pour ne jamais lasser et constamment tenir en éveil l’intérêt du spectateur. Finalement, le film associe une technique solide avec une légèreté narrative, qui mène l’intrigue droit au but, sans déchet.

Deux marques d’originalité sont toutefois dénombrables. En premier lieu, les relations historiques entre les Hans et les Mongols ont été peu explorées dans le cinéma en costume de Hong Kong (et dans les cinémas du monde chinois en général), alors que les échanges entre les deux peuples sont un pan important de l’Histoire précoce de la Chine. D’autres ethnies ont pourtant connu des apparitions dans le cinéma de la ville au port parfumé, tels que les Miao, et bien sûr les Mandchous sous la dynastie des Qing. Très souvent, les films de sociétés secrètes (ancêtres des triades, vouées officiellement à rétablir le pouvoir des Hans par patriotisme lorsqu’il est menacé) se situent sous la dynastie Qing et montrent les Mandchous comme adversaires des héros Han. Gang Master réplique ce concept mais sous les Yuan, une dynastie mongole qui régna sur la Chine. Gang Master arbore ainsi une facette très peu explorée du wu xia pian. En second lieu, des éléments discrets de mise en scène offrent une variation aux films des autres grands réalisateurs de la Shaw, et contribuent à singulariser Gang Master. Il s’agit tout simplement de la façon dont Tsui Siu-ming filme les personnages dans l’espace et lors de scènes de surprise. D’une part, ils parvient à montrer les acteurs de la Shaw sous un autre jour, bien sérieux (Ku Feng n’a jamais été aussi neutre et peu souriant) ; d’autre part, quelques plans de visages surpris liés à des inserts très brefs créent une légère tension inhabituelle, ô combien originale et salvatrice pour un film, nous l’avons dit, simple à la base. Au global, cette tension subtilement imbriquée dans le scénario et les plans constituent le ciment de Gang Master, qui rigidifient le film dans ses moments-clés, ses articulations et le rend si solide.

Gang Master est de ces films qui rappellent ce qu’a été la Shaw : un réservoir de techniciens talentueux, de réalisateurs inspirés, notamment dans la direction artistique grâce aux décors du studio qui apportent une patine, quitte parfois à délaisser l’écriture. Les années 1970 et le début des années 1980 regorgent de films de cette qualité, avant que l’inspiration ne se tarisse et cède, au milieu des années 1980, vers des films bien plus lambdas et dans l’ère de ce qu’il se faisait ailleurs à Hong Kong. La Shaw Brothers semble être une infinie variation du Jiang Hu, le monde des héros martiaux chinois, où les réalisateurs essaient tant bien que mal d’apposer leur touche. Tsui Siu-ming a, à ce titre, parfaitement accompli cette mission sur Gang Master.

Bonus de Spectrum Films

Présentation d’Arnaud Lanuque (12min). Arnaud Lanuque présente Gang Master en trois temps principaux : 1. le portrait du réalisateur Tsui Siu-ming, ancien enfant star et chorégraphe dont Gang Master est le premier et unique film qu’il réalisé pour la Shaw avant de mener une vaste carrière dans des coproductions sino-hongkongaises, bien avant la loi de 2004 ; 2. une présentation brève et intéressante du contexte historique de la dynastie Yuan et des films de sociétés secrètes ; 3. le portrait de l’acteur principal Austin Wai, acteur talentueux qui réussira principalement une carrière de seconds rôles.

Interview de Ku Feng et Chen Kuai-tai par Frédéric Ambroisine (archive de 2007, 15min). Dans la plus grande bonne humeur, les deux acteurs, qui ont de nombreuses fois joué ensemble, partagent leur souvenir commun et le respect qu’ils se vouent mutuellement. L’interview a lieu dans le cadre d’un diner commémoratif de la Shaw et on aperçoit en fond de nombreuses célébrités telles que Lily Li ou Ti Lung.

Interview de Jason Pai Piao (15min). L’un des acteurs de Gang Master partage ses souvenirs sur la vie comme acteur à la Shaw Brothers et comment s’est déroulé le tournage du film. Il explique par exemple que Tsui Siu-ming était un réalisateur assez difficile et exigeant. Il décrit également l’intention d’origine de Tsui Siu-ming : montrer les rites actuels des triades par le biais d’un intrigue dans la Chine ancienne, pour éviter la censure.

Interview de Lawrence Wong (10min). L’ancien secrétaire de la Shaw Brotthers apporte quelques anecdotes à propos de l’embauche de Tsui Siu-ming et de comment se portait la société à cette époque.

Interview du Tsui Siu-ming (30min). Le réalisateur se livre longuement sur ses multiples facettes (enfant star, ancien pensionnaire de l’opéra cantonais, spécialiste en arts martiaux et chorégraphe). Il renouvelle l’explication de Jason Pai Piao concernant son intention sur Gang Master. Il évoque sa façon de concevoir le film d’action dans les années 1980 et sa relation avec la productrice Mona Fong.

Maxime Bauer.

Gang Master de Tsui Siu-ming. Hong Kong. 1982. Disponible dans le coffret Blu-ray What Price Honesty?/Gang Master paru chez Spectrum Films en septembre 2022.

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