FESTIVAL DES 3 CONTINENTS 2025 – Cactus Pears de Rohan Kanawade : deux hommes et un songe

Posté le 8 décembre 2025 par

Depuis plusieurs mois, la première réalisation de l’Indien Rohan Kanawade n’en finit plus de faire parler d’elle. Il était donc grand temps que la France propose au public ce récit aussi délicat que lumineux. C’est chose faite grâce au Festival des 3 Continents de Nantes, qui a programmé cette année le film dans sa catégorie “séances spéciales”, aux côtés d’œuvres restaurées de Bimal Roy et Satyajit Ray – rien que ça. 

Il y a encore un an, Rohan Kanawade était inconnu de tout cinéphile. Jeune réalisateur issu d’un milieu modeste, il n’est pas sorti d’une grande école du cinéma, ni n’a pu compter sur l’aide de proches dans le secteur. D’abord diplômé en architecture d’intérieur, faute de mieux pour gagner correctement sa vie en dessinant, il étudie en autodidacte le cinéma en parallèle de son travail. Après plusieurs années de labeur, il pose les bases de son premier projet, Cactus Pears, grandement inspiré de son expérience en tant qu’homme gay et de la mort brutale de son père. L’ébauche séduit immédiatement en Inde, en Italie et même en France, ce qui lui permet d’obtenir des fonds et un suivi pour le développement du film. 

Il en résulte une œuvre d’une beauté renversante et rare. Récit double sur la confrontation au deuil et sur le désir contrarié, Cactus Pears suit un jeune homme prénommé Anand (Bhushaan Manoj), qui revient dans son village d’enfance à la mort de son père pour suivre dix jours de rites funéraires. Encore célibataire à 30 ans, celui qui est parti des années plus tôt travailler et vivre à Mumbai est, on le comprend vite, peu intéressé par un quelconque mariage. Sa mère le sait, et lui conte les mensonges inventés au fil des années pour satisfaire la curiosité des voisins et des proches. Il n’y a pas d’amertume, ni de rejet de sa part. Avec douceur et amour, elle parle des hommes similaires à son fils comme de “ceux qui ne veulent pas se marier”. Anand lui a déjà tout avoué, à elle et à son père, plusieurs années auparavant. 

Si le silence règne en maître tout au long de l’œuvre, ce n’est pas pour souligner une froideur, un rejet ou une menace. Le silence est ici contemplation, songe, introspection. Cette démarche se prolonge dans le choix de plans fixes, et par l’image lumineuse et enveloppante travaillée par Vikas Urs, directeur de la photographie de talent à qui l’on doit aussi la cinématographie du film Hearth and Home (Prabhash Chandra, 2024), présenté l’an passé en compétition officielle.  

Porté par une écriture sensible et exigeante, Cactus Pears accorde une place toute particulière au rêve, support d’expression des désirs d’Anand mais aussi de Balya, son ami d’enfance qu’il retrouve à son retour au village. Si la rêverie vient naturellement au premier, elle n’est pas aussi évidente pour le second. Tout au long du film, chacun expérimente l’autre dans sa nuit, moments suspendus dont la réalité est volontairement flottante, au point où l’on se demande si les deux hommes réussiront finalement à sortir de leur sommeil pour se retrouver. 

Ce sont deux jeunes comédiens de théâtre natifs de la région et se connaissant depuis plusieurs années qui interprètent les rôles principaux. Troublants de sincérité et de tendresse, Bhushaan Manoj et Suraaj Suman sont complémentaires dans leur jeu, plus dirigé sur le regard pour l’un, et plus sur le langage corporel pour l’autre. Rohan Kanawade joue avec leur formidable alchimie en alternant des plans rapprochés à l’extrême qui s’attardent plusieurs secondes sur leurs yeux, leurs cheveux ou encore leurs mains, et des plans beaucoup plus larges qui les placent presque au dernier plan de la scène, comme s’ils n’étaient alors plus qu’un élément parmi d’autres de la nature environnante, des jours qui passent.

Dans un contexte particulier de deuil et de traditions funéraires hindoues, le réalisateur évite adroitement les écueils de la représentation gay et les trames prévisibles pour dresser le portrait subtil d’un amour naissant et porteur d’espoir. Ici, la nudité, les larmes, et l’intime sont célébrées. Le titre du long-métrage, Cactus Pears (ou Sabar Bonda en marathi), signifie d’ailleurs en français “figue de barbarie”, un fruit sucré que l’on trouve sur des cactus particuliers, et qui est difficile à cueillir de par la nature de l’arbre sur lequel il pousse, et de par les épines sur sa peau : des douleurs peut naître la douceur. Une représentation inédite en Inde, qui s’inscrit dans la lignée du nouveau cinéma queer révélé il y a dix ans dans le pays avec des films comme Loev (Sudhanshu Saria, 2015) Margarita with a Straw (Shonali Bose, 2014) ou encore Aligarh (Hansal Mehta, 2015).

La critique internationale n’y est pas insensible. Avant d’être projeté aux 3 Continents, il faut rappeler que Cactus Pears a fait ses premiers pas à Sundance, en début d’année. Seule œuvre indienne en compétition et tout premier film en langue marathi à être sélectionné, il a remporté le prix du meilleur drame international. Depuis, le long-métrage ne cesse de voyager partout dans le monde, au gré des festivals. Avec, peut-être à la clé, une sortie dans les salles françaises ? On ne peut que l’implorer. 

Audrey Dugast.

Cactus Pears de Rohan Kanawade. Inde. 2025. Projeté au Festival des 3 Continents 2025 en séance spéciale.