FFCP 2025 – Home Behind Bars de Cha Jeong-yoon

Posté le 17 novembre 2025 par

Le 20e Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) était aussi l’occasion de découvrir le premier long métrage de Cha Jeong-yoon, Home Behind Bars, sur un sujet assez peu exploré, en particulier hors du domaine du film d’exploitation, les prisons pour femmes.

La réalisatrice choisit dans ce film de présenter le sujet avec sérieux et dignité, avec une intrigue ténue qui semble surtout un prétexte pour nous permettre de nous projeter dans l’expérience des détenues mais aussi, et surtout, des gardiennes, confrontées à des injonctions contraires. Tae-joo, une gardienne impassible, attachée au strict respect des règles, se retrouve entraînée par une collègue à se rendre aux obsèques de la mère d’une détenue qui n’a pas elle-même obtenu de permission pour s’y rendre. Sa rencontre avec la courageuse fille de la détenue, survivant sans parents dans des conditions compliquées, va l’émouvoir au point de ne pas se cantonner aux règles et de s’impliquer pour aider la jeune fille.

Autant le dire tout de suite, ce n’est pas un thriller ou une intrigue à rebondissement. C’est le tableau du quotidien de la gardienne, de ses interactions avec ses collègues et les détenues, l’intrigue étant avant tout là pour donner un fil directeur qui permet de porter différents éclairages sur ce quotidien (le titre coréen désigne même un lieu qui n’apparaît qu’à la fin du film). La force principale est le regard empathique qui est porté sur les personnages. La réalisatrice tient à ce qu’on les comprenne tous, de façon sincère, dans leurs conflits et contradictions, avec des scènes dédiées à les exposer. Paradoxalement, c’est aussi un peu une des limites du film, puisque tout ce qui pourrait se construire en nœud de la narration se défait tout de suite et que, si les enjeux des différents personnages sont clairs, la plupart d’entre eux ne semblent là que pour ces scènes les présentant, la narration étant tellement centrée sur l’héroïne que l’existence de beaucoup de personnages secondaires semble presque artificielle.

Mais on ne peut nier que le dispositif du film permet de s’intéresser à un sujet trop méconnu, l’univers des prisons pour femmes. On ne voit que très peu de personnages masculins dans le film, et ceux qui ont un rapport avec l’intrigue sont relégués au hors champ, à l’exception d’un seul, auquel une scène précise est dédiée. Il n’est pas anodin que cet homme à la présence un peu plus prégnante que les autres soit liée à des questions hiérarchiques ; ce sont des femmes qui gèrent le quotidien, qui sont partagées entre leur rôle de maton et de servante des prisonnière mais les questions importantes sont laissées à l’appréciation d’un homme… Le film n’hésite pas à mettre en avant l’absurdité de la vie carcérale : une fille ne peut pas se rendre aux funérailles de sa mère, une mère célibataire ne peut pas interagir avec sa fille, et la nuit, le temps du repos est rythmé par la récitation de paroles de chansons, sans musique. Les messages édifiants diffusés aux détenues et la chanson « encourageante » supposée les motiver sonnent avec une ironie cruelle sur ce qu’on a sous nos yeux.

Le point de vue de Tae-joo sert de pivot à la chronique : en apparence froide et distante, elle se laisse circonvenir par sa jeune collègue fêtarde, ce qui l’amène à tordre les règles pour aider la fille d’une détenue et essayer de réparer une famille. A travers ses interactions avec sa collègue et l’adolescente, opposées à la solitude de la vie qu’on lui connaît, on se rend compte qu’elle aspire à être une sorte de grande sœur, voulant protéger autrui de son propre mal-être. Le film repose beaucoup sur la prestation de Song Ji-hyo, maquillée de façon à sembler vieillie par la fatigue. Le film suit son rythme, tait ce qu’elle tait. Tout ce qui la concerne est maîtrisé. On peut cependant s’interroger sur l’évolution du projet entre son écriture et son montage car certains éléments liés à des personnages secondaires ne vont un peu nulle part, comme si le film avait renoncé à certaines scènes, notamment avec une séquence où l’adolescente que l’héroïne prend sous son aile, se rend avec des « amies » à une soirée alcoolisée avec des étudiants plus âgés au lieu de se rendre au rendez-vous de la protagoniste. La scène commence, puis un changement de point de vue ramène à Tae-joo, puis une ellipse permet à Tae-joo de la rencontrer par hasard, marchant l’air hagard. Et il se se trouve qu’il ne s’est en fait rien passé ; la scène ne sert même pas à développer le personnage, comme une trace laissée par un état intérieur du scénario. En l’état, la jeune fille est suffisamment développée pour justifier l’empathie de Tae-joo, mais elle n’atteint jamais l’équilibre de véritable deuxième protagoniste, par des choix de construction du film. A l’arrivée, le film laisse beaucoup d’éléments en suspens, ce qui est logique ; il a un regard presque documentaire, et la réalité ne révèle pas tout. Comme Tae-joo, le film invite le spectateur à ouvrir son regard et à ne pas s’endurcir face à la souffrance d’autrui et à rappeler ce que font les prisonnières, dont le travail de conception d’accessoires revient plusieurs fois dans le film, derrière les barreaux comme à l’extérieur.

C’est un premier film ambitieux, parfois imparfait mais toujours intéressant qui donne envie de voir ce que la réalisatrice fera dans les années à venir. Et c’est aussi un document sans jugement sur les prisons pour femmes en Corée, originalité bienvenue qui permet d’éclaircir un pan trop méconnu de la société coréenne.

Florent Dichy

Home Behind Bars de Cha Jeong-yoon. 2025. Corée. Projeté au FFCP 2025