VIDEO -The Master de Tsui Hark

Posté le 20 août 2025 par

Le label HK Vidéo choisit cet été de se pencher sur une partie méconnue de l’œuvre du Film Workshop, avec les premiers regards appuyés de Tsui Hark et Jet Li au cinéma américain. The Master, film tourné avant Il était une fois en Chine mais sorti uniquement après le succès de celui-ci, représente l’une des premières tentatives du cinéaste d’hybrider son cinéma pour associer les codes du cinéma d’action hongkongais au cinéma américain. Tourné en 1989 mais sorti en 1992, ce film raconte l’histoire simple d’un champion d’art martiaux débarquant aux États-Unis pour venir au secours de son maître, victime d’un gang visant la suprématie dans le domaine des arts du combat, à la façon des personnages de Chang Cheh transposés dans la Californie du XXe siècle.

Autant le dire tout de suite, il ne s’agit absolument pas d’un film subtil. Pour être tout à fait honnête, le film ressemble moins à un chef d’œuvre qu’au chainon manquant entre l’univers apunkalyptique des premiers Double Dragons de Technos dans les années 80 et l’imaginaire d’un Final Fight de Capcom au milieu des année 90, où les aspirations de l’homme ordinaire devenu justicier du Bronson de Death Wish rejoignent les inspirations asiatiques et le n’importe quoi martial. De fait, à défaut d’être un très bon film de Tsui Hark, le film propose la meilleure adaptation de Beat’em up portée jusqu’ici à l’écran. La forme est peut-être excessivement kitsch mais c’est une nouvelle preuve de la capacité du réalisateur à saisir un zeitgeist de la fin des années 80, avec son mélange culturel improbable, ses coiffures uniques et son rapport aléatoire à la violence décomplexée.

Encore une fois, Tsui Hark a sur le papier mis les petits plats dans les grands, si dans Zu il avait épuisé son budget pour obtenir une partie des équipes d’effets spéciaux de Star Wars, avec The Master, il a grevé le budget pour récupérer le cascadeur en chef de Piège de Cristal, pour son moment d’anthologie en fin de film. Malheureusement, malgré la bonne volonté de Jet Li (dont le personnage s’appelle simplement Jet), et de Yuen Wah (à la fois acteur dans le rôle du maître et chorégraphe du film), le film ne sait pas toujours trouver d’équivalence entre ses moments de comédie cantonaise et les stéréotypes américains – tout le monde est caricatural dans ce film, mais la bande de délinquants latinos qui devient disciple de Jet est parfois particulièrement gâtée… En règle générale, certains stéréotypes plaqués sur les personnages américains sont parfois à la limite d’un racisme involontaire, comme dans une série B US de l’époque, finalement. S’il offre un marqueur temporel indéniable, Jerry Trimble, tout en mulet blond et en grimace, n’est pas un antagoniste particulièrement crédible (il a la physicalité requise, mais semble davantage prêt à affronter les Tortues Ninja qu’à remporter un Oscar.

Il y a quelques vrais bons moments, qu’on parle d’action ou de l’intrigue romantico-comique avec  Krystal Kwok, même si l’ensemble est souvent bancal. Après le succès de Il était une fois an Chine, le film a été présenté comme une transposition moderne de celui-ci, alors qu’il en est en fait un prototype inabouti. Il est assez amusant de constater les points communs avec Pushing Hands d’Ang Lee qui en est presque contemporain : deux histoires de déplacement aux États-Unis, avec un choc culturel et un personnage faussement naïf adepte des arts martiaux. Mais là où le Taïwanais choisit d’en faire un drame avec des enjeux sérieux, le Hongkongais en fait une farce d’action, avec un méchant très méchant et des héros cartoonesques. Le ton et rôle du voyageur sont donnés dès le titre original : 龍行天下, le voyage à travers le monde (ou l’Odyssée) du Dragon…

Si on sait qu’on regarde une série B et pas un nouveau chef d’œuvre du maître, The Master est un film assez divertissant, véritable document historique d’une époque où le cinéma américain n’avait pas encore compris le potentiel spectaculaire qu’il pouvait emprunter à Hong Kong, et où la délinquance de rue faisait encore partie de l’image des États-Unis. C’est une copie rendue en retard, un peu honteusement par Tsui Hark et Jet Li, mais qui est le brouillon de leurs expériences américaines futures et de leur succès commun. En cela, tout imparfait qu’il soit, le film est assez fascinant.

Édition Vidéo :

La copie est très satisfaisante, quoi qu’on pense du film, on est loin des DVD qu’il a connu précédemment. Le film propose sa bande-annonce originale restaurée et une bande-annonce internationale, pour se replonger dans la façon un peu kitsch dont il a été vendu. Mais le gros morceau est une interview d’archives de Yuen Wah d’un quart d’heure qui revient sur le tournage, le travail avec Tsui Hark et Jet Li,  son rôle sur le plateau et la difficulté de travailler dans deux langues différentes pour chorégraphier les combats, et ses doutes quant à certains aspects du projet (comme la volonté du réalisateur d’introduire des cascades câblées dans cet environnement réaliste). On peut noter que la jaquette contient un texte d’accompagnement qui précise certains éléments sur le contexte de ce film mal aimé et de ses difficultés de tournage.

Florent Dichy.

The Master de Tsui Hark. 1992. Hong Kong. Disponible en Blu-ray chez Metropolitan Films le 09/08/2025.