Réalisé par la jeune américaine Constance Tsang, Blue Palace Sun fait le récit sensible des destins immigrés à New York, où la réalisatrice a d’ailleurs grandi avec ses parents. Tourné principalement en mandarin, le film a reçu le prix French Touch remis par la Semaine de la Critique à Cannes en 2024. En 2025, après avoir fait l’ouverture du Festival Allers-Retours et le tour des salles françaises, le film sort en DVD le 11 juin, via Nour Films.
Dans le quartier de Flushing, à New York, quatre femmes vivent et travaillent dans un petit salon de massage ne semblant être fréquenté que par des hommes. Immigrées sinophones, elles se serrent chaque jour les coudes pour faire face à l’adversité dans une joyeuse sororité. C’est d’abord sur le personnage de Didi (Haipeng Xu) que s’ouvre le film : femme pétillante et protectrice, elle vit une douce histoire d’amour aux côtés de Cheung (Lee Kang-sheng), un immigré taïwanais esseulé. Avec son amie Amy (Wu Ke-xi), la plus jeune de la bande, elles rêvent de partir à Baltimore pour ouvrir un restaurant. Des lumières tournoyantes d’un salon de karaoké aux néons tamisés du petit spa, les journées se suivent et se ressemblent dans une ambiance bleutée enveloppante que ne viennent contrarier que quelques fenêtres sur l’extérieur. Quand un drame frappe soudain ce petit cocon, rêves et espoirs se retrouvent néanmoins violemment contrariés. Face au deuil, une relation inattendue et touchante se noue entre deux des personnages.
Pour Constance Tsang, débuter sa carrière avec un tel film était une évidence. Fille de migrants chinois, elle a passé toute son enfance auprès de cette communauté de déracinés. Dans le cadre d’une montée inquiétante des violences contre les personnes asiatiques aux États-Unis, plusieurs éléments du réel ont également inspiré son scénario : mort d’une masseuse à Flushing en 2018, fusillades dans trois salons de massages à Atlanta en 2021… Ces actes, dont sont régulièrement victimes les immigrés de toute origine dans le pays, touchent d’autant plus les femmes isolées. Dédié à toutes les personnes loin de chez elles qui se battent pour une nouvelle vie, Blue Sun Palace prend une dimension politique inattendue et d’autant plus forte depuis la réélection de Donald Trump à l’automne 2024.
D’un point de vue formel, le long-métrage n’échappe pas aux écueils des premières réalisations mais réussit à proposer une narration solide et délicate. Posant un regard presque philosophique sur l’évolution des destins migratoires, il offre une réflexion douce-amère sur la disparition, la solitude et le souvenir. Entre consolation et éphémère allégresse, Blue Sun Palace fait ainsi le portrait réaliste, mais non fataliste, des familles temporaires qu’on tente de se construire à chaque étape de la vie. Reflet de cet aspect mélancolique prégnant, le film revient sans cesse à la couleur bleu, du cocon artificiel du spa new-yorkais à la mer tant fantasmée de Baltimore et ses vagues apaisantes. En plus de cette composition léchée, la caméra de Constance Tsang prend le temps de s’arrêter sur chaque petit détail du quotidien dans une absolue mobilisation des sens. Elle filme par exemple longuement les mains des masseuses, dont les gestes lents sur des corps d’hommes à la respiration lourde témoignent autant d’un art que d’une exploitation. De ces plans studieux mais subtils, c’est alors un tout autre discours qui peut se déployer.
Jolie réalisation qui s’inscrit, à l’image de Minari (Lee Isaac Chung, 2020), dans la lignée d’un nouveau cinéma américain investi par les héritiers de l’immigration asiatique, Blue Sun Palace sera à découvrir en salles dès le 12 mars 2025, après une seconde projection au Festival Allers-Retours le 9 février.
BONUS
Neuf scènes coupées (20min) : il y a des scènes de quelques secondes, qui ne tiennent qu’en un plan, mais il y aussi des passages plus filés et très écrits qu’on aurait vraiment aimé voir – on peut rêver – dans une version longue du film, tant ils complètent intelligemment le personnage d’Amy. Échange tendu entre cette dernière et Didi, séance de psy, shopping pour le Nouvel An ou encore plan-séquence de Cheung endeuillé au travail… Ces suppressions n’enlèvent bien sûr rien au long-métrage, mais on ne peut qu’en recommander le visionnage.
Court-métrage Beau (15min, 2021) : dans un atelier d’artiste, la jeune Beau finalise son installation expérimentale, aidée de sa petite-amie Paloma. Mais Beau veut se détacher de Paloma, qui l’étouffe et la voudrait à jamais dépendante de ses ressources. Insidieusement, le poison entre elles se diffuse, jusqu’à l’irréparable. Réalisé par une Constance Tsang encore élève à Columbia, Beau suit une trame narrative très classique et attendue, mais établit déjà l’attrait de Tsang pour les palettes monochromes et l’étirement du temps.
Audrey Dugast.
Blue Sun Palace de Constance Tsang. 2025. États-Unis. Disponible en DVD le 11/06/25 chez Nour Films.