VIDEO – Assault! Jack the Ripper d’Hasebe Yasuharu

Posté le 30 avril 2025 par

Assault! Jack the Ripper d’Hasebe Yasuharu est un titre qu’il n’est pas rare de croiser ici et là dès lors que l’on s’intéresse au cinéma japonais érotique des années 60-70s ou bien au cinéma japonais hors des sentiers battus. Il était pourtant bien plus difficile de se le procurer jusqu’ici. Avec sa ressortie récente chez 88 films chez nos voisins britanniques, et une sortie française à venir chez Le Chat qui fume, il nous est maintenant possible de découvrir, dans les meilleures conditions, ce roman-porno si atypique.

Yuri et Ken travaillent tout deux dans un restaurant. Un jour, alors qu’ils sortent du travail, ils vont accidentellement tuer quelqu’un. Ce meurtre sera le point de départ d’une folie meurtrière qui s’emparera du jeune couple, trouvant dans leurs méfaits de quoi nourrir fortement leur libido.

Hasebe Yasuharu est un réalisateur assez particulier dans l’univers du roman-porno. Comme la plupart des réalisateurs de la Nikkatsu dans les années 70s, sa carrière de cinéaste alors spécialisé dans le film d’action (avec quelques films cultes à son nom, comme quelques Stray Cat Rock ou même encore un opus de La Femme Scorpion !) va se tourner vers le cinéma érotique. Cependant, son tournant érotique a pour particularité d’être bien plus radical que celui de ses contemporains de la Nikkatsu. En 1972, il réalise son premier roman-porno, mais c’est en 1976 qu’il embrasse véritablement le genre et réalise les films qui le démarqueront du reste de la production érotique du studio : Rape! et Assault! Jack the Ripper. Son style se caractérise par une certaine violence, mais surtout une noirceur étouffante qui contaminera grandement la charge érotique de ses films. Il continuera dans cette voie avec notamment Rape! 13th Hour puis Raping!, dont la couleur est clairement annoncée dans les titres. De cette parenthèse érotico-extrême, Assault! Jack the Ripper est peut-être le plus abouti.

Du « film érotique », Assault! n’en a bien que la qualification commerciale. Certes, dans la parenthèse érotique de Hasebe, il est coutume que l’érotisme soit en retrait. Le réalisateur l’assumait lui-même, il n’est pas très fort pour mettre en scène le sexe. Mais contrairement à ses autres films érotiques qui, s’il ne cherchaient pas tant l’excitation chez le spectateur, exploraient tout de même, par des voies dérobées, la sexualité, Assault! semble chercher plastiquement l’annihilation de tout érotisme, de toute charge sexuelle. Le film n’est pour autant pas dénué de scènes de sexe : roman-porno oblige, pas de sexe à l’écran, pas de production de la Nikkatsu. Mais il y a toujours quelque chose qui contrebalance la relation sexuelle pour la parasiter. Quand Yuri s’en va s’amouracher avec le premier client venu pour rendre jaloux Ken, son ébat est mortifère. Il se passe dans une voiture où les personnages semblent gênés par le manque de place, tout en voulant faire des positions assez périlleuses. Le cadrage y est aussi mortifère et morcèle les corps (renvoyant presque à la manière dont la caméra captait le cadavre de la première victime du couple quelque temps plus tôt). Puis surtout, chose assez notable dans un roman-porno, la caméra embrasse le point de vue de Yuri et non de son partenaire. Et elle s’ennuie à mourir, ne prend aucun plaisir. Lorsqu’elle prend du plaisir dans le film, c’est avec Ken, après qu’il ait tué quelqu’un. Mais dans ces moments-là, s’il transmet la forte charge érotique de ce que vit Yuri (une extase sexuelle intense provoquée par le meurtre de son conjoint), le cinéaste commence dans le même temps à s’intéresser au point de vue de Ken. Et lui ne semble pas être autant excité par cette relation intense que par ses meurtres.

Ce jeu traverse tout le film, où l’érotisme sera toujours entravé dans les scènes de sexe, par l’adoption d’un point de vue ou d’un autre, afin qu’il ne s’exprime réellement que d’une seule manière à l’image : à travers la mort. Puisque c’est bien du meurtre que naît l’excitation sexuelle de Yuri et ses ébats. Le cinéaste ne va pas pour autant faire une énième itération d’Eros et Thanatos, topos que l’on raccroche très souvent aux œuvres japonaises, à raison dans l’héritage artistique nippon de la notion, mais souvent à tort dans la lecture qu’on lui confère. Puisqu’ici, le film choisit plutôt de déséquilibrer ce couple cliché parfait pour ne s’intéresser véritablement qu’à un seul des partenaires : Thanatos. Plus qu’un film érotique, Assault! est véritablement et profondément un film mortifère. Les personnages principaux sont morts socialement : leur quotidien est extrêmement banal et fait de nos deux personnages des produits parfaits de leur société contemporaine. Ils sont d’ailleurs présentés comme étant en bout de chaîne sociale. Yuri en tant que serveuse se doit de subir les avances sexuelles de ses clients car c’est son travail, tandis que Ken est camouflé, en cuisine, inexistant. Si Yuri redécouvre une flamme dans sa vie en redécouvrant sa sexualité, ce n’est qu’à travers la pulsion de mort de son conjoint Ken qui, quant à lui, ne voit pas sa vie sexuelle s’enflammer : il se rend compte petit à petit que c’est d’avantage le meurtre et la mort qui l’anime.

Assault! se démarque aussi par son ambiance si particulière. Certes le film est d’une noirceur radicale et est assez violent, mais il possède aussi une certaine touche grotesque le rendant bien plus agréable à regarder que d’autres films du cinéaste de cette lignée érotique. Plusieurs fois, le film lorgnera presque du côté de la comédie, que ce soit par des situations totalement absurdes, un tempo comique assez surprenant dans le rythme du film ou bien même par cette ambiance musicale bossa nova extrêmement déroutante et donnant au film un cachet qu’il semble répudier. C’est aussi dans une certaine filiation avec l’ero-guro que l’aspect grotesque du film ressort le mieux. La noirceur du film se mélange à une absurdité poussée à son paroxysme, comme la première scène de meurtre le démontre entre cette victime sortie tout droit d’une histoire de fantôme japonaise ou encore la manière très étrange dont le couple usera pour se débarrasser du corps. Cet héritage artistique semble même s’exprimer ouvertement dans son scénario et son imagerie : stylisation érotique de certains meurtres, l’idée de départ du scénario qui est qu’une pulsion de mort est à l’origine d’une pulsion de sexe, ou encore certains arcs narratifs semblant tout droit sortis de nouvelles du genre. Sans forcément aller jusqu’à le placer comme digne héritier cinématographique de l’ero-guro, ce qu’il n’est probablement pas, cette dimension grotesque très présente constitue tout de même une part du charme du film. Elle n’est d’ailleurs peut être pas sans rapport avec la présence de Katsura Chiho au scénario, qui a travaillé sur le scénario de nombreux films d’Obayashi Nobuhiko mais qui a aussi continué sa collaboration avec Hasebe après Assault! Jack the Ripper pour quelques autres roman-pornos tout aussi tordus et plus radicaux esthétiquement, que l’on peut eux aussi rapprocher au mouvement littéraire japonais. Mais elle n’est pas non plus totalement inexistante dans l’œuvre érotique du cinéaste : Rape! sorti la même année et marquant le début de ce tournant érotique radical a été aussi écrit entièrement par le réalisateur et possède déjà cette patte grotesque.

Après visionnage, la tentation d’en faire un roman-porno « Antiporno » est forte, et ne serait pas forcément aberrante : sortir un tel film en plein boom du roman-porno est assez ambitieux. La Nikkatsu sera d’ailleurs assez inquiète selon les propres dires du réalisateur vis-à-vis du tournant pris dans sa carrière. Mais les craintes du studio seront rapidement calmées tant Assault! se révèlera être une réussite critique et commerciale (allant même jusqu’à une nomination aux « Césars japonais » pour l’actrice principale !). Cependant, ce serait aussi accoler au film un discours qu’il ne tient pas : il brille, malgré lui, par sa particularité mais aussi sa place dans le paysage cinématographique de l’époque. D’ailleurs, plutôt que de le poser en antagonisme au reste de la production érotique japonaise, il serait plus intéressant de montrer en quoi il est, finalement, assez représentatif de ce qu’avait le roman-porno (et plus largement le cinéma érotique japonais de cette époque) de si particulier et intéressant : autour d’une même contrainte de départ, le sexe à l’écran, on en venait à avoir une palette de films d’une diversité folle. Le reste de la carrière érotique de Hasebe en est la preuve même : s’ils ne sont pas forcément tous très aboutis, ils n’en restent pas moins des laboratoires passionnants aux expériences déroutantes, mais toujours stimulantes.

Thibaut Das Neves

Assault! Jack the Ripper de Hasebe Yasuharu. Japon. 1976. Disponible chez 88 films.