VIDEO – La Mélodie de la rancune de Hasebe Yasuharu

Posté le 9 juin 2023 par

Le Chat qui fume sort un superbe coffret réunissant les six films de la saga La Femme scorpion, fleuron du cinéma d’exploitation japonais des années 70. Retour sur La Mélodie de la rancune, ultime opus interprété par Kaji Meiko dans le rôle qui fit sa renommée.

Nami Matsushima est arrêté mais s’échappe pendant l’escorte. Nami est aidé par Kudo, un ancien activiste de gauche, traumatisé d’avoir été torturé par la police dans sa jeunesse.

La Mélodie de la rancune est le quatrième volet de la saga de la femme scorpion après La Femme scorpion (1972), Elle s’appelait Scorpion (1972) et La Tanière de la bête (1973). Sur de pures bases de film d’exploitation, la série était parvenue sur le fond et la forme à une brillante radicalité et un propos vindicatif sur tout un pan oppressant de la société japonaise. La Mélodie de la rancune marque un tournant dans la saga puisqu’il est le premier à ne pas être réalisé par Ito Shunya, auteur s’inscrivant dans une vraie démarche militante de gauche dont il avait de manière grandissante réussi à imprégner les films. Il s’agit aussi du dernier opus interprété par la charismatique Kaji Meiko, qui laissera sa place sur les deux films suivants qui tenteront de relancer la série.

La Mélodie de la rancune est réalisé par Hasebe Yasuharu, un des premiers à cerner le talent de Kaji Meiko qu’il fit débuter dans des premiers rôles à la Nikkatsu sur la série à succès Stray Cat Rock, et notamment Stray Cat Rock: Female Boss (1970). S’il n’a pas l’engagement politique rageur d’Ito Shunya, Hasebe est un formaliste doué du cinéma d’exploitation et un provocateur apte à capturer les pans les plus dérangeants de l’humanité, notamment dans certains Roman Porno putassiers signés à la Nikkatsu comme Harcelée (1976). La première partie du film s’inscrit dans la continuité politisée d’Ito Shunya. Nami (Kaji Meiko), de nouveau en cavale, est arrêtée par la police mais parvient à s’échapper, blessée et affaiblie. Elle est recueillie par Kudo (Tamura Masakazu), un homme meurtri dans sa chair et brisé dans son esprit. Ancien militant de gauche, il ne s’est jamais remis des brutalités policières qu’il a subies, et est rongé par le remord d’avoir dénoncé ses camarades. Il voit donc en Nami un reflet plus déterminé de lui-même, et une chance de rédemption en l’aidant. Notre héroïne fend également son armure taciturne car émue par la vulnérabilité de son sauveur. Hasebe semble pourtant annoncer la tournure tragique de cette liaison en reprenant et détournant les leitmotivs formels du premier film lorsque Nami et Kudo font l’amour.

Il reprend les cadrages et la symbolique du début de La Femme scorpion lorsque Nami était trahie par son amant, alternant entre le visage soumis de Kaji Meiko et une image abstraite de cercle clignotant au sein d’un écran blanc – qui dans le premier film signifiait le drapeau du Japon avec le sang de la virginité de Nami. Elle perd ainsi de nouveau symboliquement son innocence en accordant sa confiance à un homme non pas fourbe cette fois, mais faible de caractère. Kudo capturé et torturé (cette fois psychologiquement) par la police va finir par dénoncer Nami qui va retourner croupir en prison. On regrette vraiment que la trame de cette moitié de film n’ait pas été étalée sur l’ensemble du récit. La tournure très « Bonny and Clyde » au Japon promettait des situations intéressantes, et le duo Nami/Kudo constituait les deux faces d’une même pièce en tant que victimes du système. Kudo brisé par le système autoritaire d’un état policier japonais de droite semble condamné à rejouer la boucle d’un élan de rébellion suivie de la trahison par lâcheté de ses compagnons une fois aux mains de la police. On pourrait en dire autant de Nami qui alterne évasions vengeresses et réincarcération douloureuse depuis quatre films. Pour renforcer ce lien, le scénario fait de l’infâme inspecteur (Hosokawa Toshiyuki) traquant Nami le même policier que celui qui tortura jadis Kudo.

La deuxième partie retrouve le cadre de la prison et s’avère moins surprenante malgré quelques bonnes idées. Le pénitencier est tenu par une femme (Negishi Akemi) et surveillé par des gardiennes, sans adoucir pour autant les traitements sadiques aperçus dans les volets précédents sous l’égide d’hommes. À l’humiliation et la torture s’ajoute cette fois cependant la manipulation mentale, invitant les prisonnières condamnées à mort à expier devant Bouddha avant le jour fatidique. Nami n’est pas dupe de cette comédie, mais malheureusement le film n’approfondit pas suffisamment cet excellent postulat qui là aussi aurait mérité d’être traité sur un film entier. Il y a vraiment le sentiment d’avoir deux intrigues distinctes qui s’annulent mutuellement, ce qui est assez frustrant. Heureusement, Hasebe Yasuharu met en scène quelques tableaux saisissants qui, même s’ils font office de redite, épatent par leur ritualisation solennelle et bariolée des mises à mort vengeresses de Nami. Cette revanche finale s’orchestre en deux temps, d’abord une pendaison tout en imagerie baroque et chaos rageur, puis une exécution plus douloureuse de l’ancien compagnon d’arme où Nami retrouve sa tenue iconique de Sasori. Cet épisode final de Kaji Meiko est clairement le plus faible des quatre, mais vaut néanmoins le coup d’œil par les nombreuses pistes intéressantes (bien qu’inabouties) qu’il explore.

Justin Kwedi.

La Mélodie de la rancune de Hasebe Yasuharu. Japon. 1973. Disponible en Blu-ray dans le coffret Intégrale Scorpion chez Le Chat qui fume en avril 2023.

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