VIDEO – Les Guerriers du temps de Clarence Fok : les visiteurs de la nuit

Posté le 8 février 2025 par

Dans le cadre de sa grandissante sélection hongkongaise, Le Chat qui Fume propose une nouvelle édition du film culte de 1989 Les Guerriers du temps de Clarence Fok avec Yuen Biao et Yuen Wah, par ailleurs chorégraphes du film,  et surtout Maggie Cheung sur qui repose le potentiel comique de l’œuvre.

Alors qu’il poursuit un renégat monstrueux, un noble chevalier du XVIe siècle se retrouve projeté avec son adversaire dans les rues du Hong Kong de la fin des années 80, dans lequel, chacun à sa façon, ces deux protagonistes vont devoir s’intégrer.

À ne pas confondre avec son médiocre remake avec Donnie Yen, Iceman (le titre international original est Iceman Cometh, jeu de mot sur le nom de la pièce d’Eugène O’Neill, justifié parce que le titre cantonais signifiant plus ou moins « le guerrier congelé »), le film produit par Johnnie Mak et la Golden Harvest, s’il ne s’agit pas d’un chef-d’œuvre absolu, se révèle un bon représentant de la production hongkongaise de la fin des années 80, par ses excès et sa générosité. Manifestement inspiré par Highlander, mais aussi précurseur des Visiteurs et cousin d’Hibernatus, le film mélange allégrement les genres : on passe ainsi du wuxia à la comédie basée sur les anachronismes à des scènes dont l’esthétique semble inspirée de Mad Max et de Terminator.

L’une des principales formes du film est son casting : si Yuen Biao est aussi à l’aise quand il s’agit de surjouer la candeur naïve que dans les scènes d’action, et si Yuen Wah s’amuse autant que possible à jouer un personnage aussi abominable que redoutable, en caricaturant encore ses précédents rôles de méchant, c’est souvent Maggie Cheung qui leur vole la vedette, hors scènes de combat. En effet, dans ce rôle de travailleuse du sexe volontiers manipulatrice, elle s’autorise toutes les grimaces, toutes les façons de jouer avec son image, avec une vulgarité rafraichissante. Le personnage n’est pas particulièrement bien écrit, mais il joue à plein sur le plaisir de la transgression, alors qu’il aurait pu être très gênant.

Le film est avant tout une comédie, qui coche les différents attendus de la rencontre de deux périodes historiques : la découverte de l’éclairage électrique et de la télévision ou le rapport entre les genres, mais avec des touches spécifiquement hongkongaises, comme le gag récurent du héros qu’on prend pour un chinois continental, puisqu’il vient d’une autre Chine, ou la découverte des corps des ennemis congelés l’un avec l’autre qui est interprétée comme une preuve de l’existence de l’homosexualité à la cour impériale. Comme les plans du personnage interprété par Maggie Cheung, laissant croire au héros qu’elle se fait agresser pour soutirer de l’argent à ses clients sans rien leur donner en retour, l’ensemble est souvent un peu gras, mais efficacement réalisé.

Les scènes d’actions sont savamment réparties dans l’intrigue pour permettre de mieux les mettre en valeur, rehaussées par des effets spéciaux souvent dessinés à la main. Le film bénéficie de la formation d’opéra de Pékin de ses deux vedettes masculines, disciples de Yu Jim-yuen (maître également de Sammo Hung et Jackie Chan, dont l’histoire romancée fait l’objet du très joli Painted Faces et d’un segment de Septet), pour proposer des scènes d’action spectaculaires, dans une mise en scène câblée sous influence des productions de Tsui Hark. En jouant sur les temporalité, le film leur propose des contextes et des environnements différents où virevolter, du classique duel dans la neige, à la poursuite au dessus de l’eau dans des décors industriels, jusqu’au duel magnifié par l’électricité et à l’épique bataille finale.

Les détails du scénario et la résolution de l’intrigue ne seront pas forcément ce qui marquera le plus dans ce film sympathique, mais il s’inscrit parfaitement dans l’air du temps de son contexte de réalisation, mélangeant la science fiction, la comédie cantonaise, le wuxia et les influence américaines sur fond de thèmes de synthétiseur. Il remplit tout à fait son contrat de film jouant avec les limites du bon goût mais rejoignant ultimement une morale petite bourgeoise par des détours insoupçonnés.

DÉTAILS DE L’ÉDITION

Commençons par un point très positif, le master est beau, le piqué est satisfaisant et les couleurs sont vives, et mettent bien en valeur l’excentricité du film.

En revanche, on peut s’interroger sur le choix du montage présent sur la galette. Il s’agit ici du montage taïwanais, plus long d’une dizaine de minutes que le montage hongkongais d’origine. Si on peut comprendre la louable intension de proposer la version la plus complète, on peut s’étonner de l’absence du film dans son montage d’origine, avec sa version cantonaise. En effet, pour les puristes, il faut être conscient que cette édition ne comporte qu’une version en mandarin… Le choix peut d’autant plus étonner que les éditions américaines et surtout anglaises, on essayé de proposer les deux versions (Vinegar Syndrome n’a pas eu la version longue intégrale, mais 88 films si, en proposant même une piste audio hybride permettant  d’entendre du cantonais, tant que la source le permettait, et dans les deux cas il s’agit ici d’un bonus accompagnant l’original). En comparaison, il n’existe ici qu’un piste 2.0 de très bonne facture, mais monolingue…

En ce qui concerne le montage, on constate que, par moments, cette version a des dialogues un peu plus longs que l’original, pour préciser l’exposition et les enjeux. Certaines scènes de Maggie Cheung sont également un peu plus développées, mais cette fois le film n’est pas significativement plus violent pour le marché taïwanais. On peut se féliciter que, comme pour l’édition anglaise, il s’agisse ici d’une version restauré en utilisant les effets spéciaux finalisés de la version hongkongaise d’origine, alors que la première édition vidéo taïwanaise semblait étonnement terne, puisqu’il y manquait la plupart des dessins réalisés sur l’image en post production, qui magnifient tout le caractère surnaturel du film.

BONUS

Si la bande-annonce est un plus appréciable sans être indispensable, on retrouve en vedette un entretien d’une demi-heure avec Julien Sévéon, qui retrace la carrière et l’héritage de Clarence Fok, notamment l’étiquette sulfureuse héritée de Naked Killer et sa versatilité. Comme toujours il a beaucoup à dire, mais on peut regretter qu’il parle finalement assez peu de ce film précis, pour se concentrer sur le personnage du réalisateur.

L’entretien d’archive avec Yuen Biao est à ce titre plus éclairant, il y évoque les aléas du tournage, son rapport au réalisateur et au reste du casting et son admiration pour la capacité de Maggie Cheung à jouer aussi bien tous les rôles. Si c’est Les Guerriers du temps plutôt que son auteur qui vous intéresse, c’est là qu’il faut chercher pour trouver votre bonheur, l’acteur se montrant d’ailleurs plutôt volubile.

C’est à n’en pas douter une édition soignée ; il est juste étonnant de constater ce choix d’une version mandarine alors qu’elle ne change pas radicalement le film. Si vous voulez avoir l’impression de revivre ce film comme les taïwanais l’ont connu, mais avec des effets spéciaux finalisés, c’est l’édition qu’il vous faut, le gain est clairement manifeste par rapport à la vieille édition DVD.

Florent Dichy.

Les Guerriers du Temps de Clarence Fok. Hong Kong. 1989. Disponible en Blu-Ray chez Le Chat qui fume en décembre 2024.