Le cinema Made in Korea

Posté le 5 février 2011 par

A l’occasion de la programmation coréenne de la cinémathèque de Toulouse dans le cadre du festival Made in Asia, retour sur quelques titres essentiels d’une sélection raffinée. Par East Asia.

1996 : Le jour ou le cochon est tombé dans le puits de Hong Sang-soo.

par Victor Lopez.

A force de le voir travailler les mêmes schémas depuis maintenant 15 ans à grand coup d’épure ironique, on avait presque oublié la ténébreuse gravité du Hong Sangsoo des débuts. Revoir aujourd’hui Le jour où le cochon est tombé dans le puits (1996) en miroir de Hahaha (2010) est un choc. C’est le même théâtre absurde d’une quotidienneté détraquée à force d’arrangements foireux avec nos désirs et de petitesses malhabiles qui se joue, mais le cinéaste est plus proche de la densité dramatique du Öphuls de La Ronde que de la légèreté optimiste d’un Rohmer auquel on le compare parfois abusivement.

Le jour où le cochon est tombé dans le puits, le premier film du réalisateur, est certainement aussi son moins accessible : jamais Hong Sangsoo ne donne les règles de son jeu cruel et un sentiment d’aléatoire peut tromper les esprits peu avertis par la précision du dispositif du cinéaste. L’humour même, que crée la mise à distance perpétuelle de la mise en scène, se cache sous le tragique de la fable et n’est pas immédiatement décelable. Et que dire de ce moment magique, ou l’ultra-réalisme se fait pour la première fois si étrange sous la caméra de Hong, qu’il devient irréel, sans que l’on puisse dire exactement ce qui ne colle pas dans le tableau que l’on a sous les yeux ?

Par chance, on avait découvert en France l’univers de Hong Sangsoo en tir groupé : celui-ci était accompagné du Pouvoir de la province de Kangwong – à la candeur bucolique – et de La Vierge mise à nue par ses prétendants – au noir et blanc enchanteur – , qui éclairaient un beau jour de février 2003 ensemble le dispositif artistique du réalisateur. On redécouvre maintenant que Le jour où le cochon est tombé dans le puits est le moins accessible des film de Hong Sangsoo, mais aussi peut-être son plus beau.

2002 : Sympathy for Mr Vengeance de Park Chan-wook.

par Anel Dragic.

Premier opus de la désormais célèbre trilogie de la vengeance réalisée par Park Chan-Wook, Sympathy For Mr. Vengeance n’a rien perdu de sa force viscérale. Suivant le parcours chaotique de Ryu, jeune sourd-muet qui tente le tout pour le tout afin de sauver sa sœur mourante, le récit ne cesse de surprendre par son imprévisibilité. Sans atteindre les sommets esthétiques des opus suivants, Park livre une œuvre froide, particulièrement cruelle envers ses personnages et perverse envers le spectateur, qui entraine ce dernier dans une spirale de violence véritablement éprouvante. Assurément une œuvre décisive dans l’œuvre du réalisateur, mais aussi du cinéma coréen.

2002 : The Coast Guard de Kim Ki-duk.

par Fabien Alloin.

The Coast Guard laisse des traces. Si le huitième film de Kim Ki-duk sorti en France en 2004 – soit deux ans après sa sortie en Corée du Sud – est parmi les films les plus violents, les plus durs du cinéaste, si pendant 90 minutes rien n’est épargné au spectateur, la scène finale arrive tout de même à nous attraper. Conclusion logique d’un jeu de domino macabre, c’est le sang glacé que nous sommes invités à voir défiler le générique.

Peut-être l’œuvre la plus froide du cinéaste, un vent étrange souffle sur The Coast Guard. Celui d’une violence extrême, physique ou psychologique, le plus souvent intenable, qui nous est infligée à travers une mise en scène puissante et étouffante. Trop démonstratif, s’il ne s’agit pas de la plus grande réussite de Kim Ki-duk, ce brûlot antimilitariste marque au fer rouge et le regard de Kang (Dong-gun Jang), soldat fou devenu une arme ingérable, nous hante longtemps après sa vision. Déconnecté du réel qui vit autour de lui dans la fantastique scène finale, terrorisé quand il se trouve face à la jeune fille dont il a tué le petit ami, le soldat est l’instrument de Kim Ki-duk.

Le cinéaste le hait comme nous mais crie également avec lui pour dénoncer la situation surréaliste de l’armée sud-coréenne attendant les nord-coréens comme ils attendraient des fantômes. Les lignes sont peut-être trop appuyées, mais la terreur primaire qui se dégage des images de The Coast Guard – proche dans son discours de Joint Security Area (2000) de Park Chan-wook – , donne raison à Kim Ki-duk. Les images restent. Celle de Kang, armé de son fusil dans les rues de Séoul, doit encore hanter bien des esprits.

2003 : Memories of Murder de Bong Joon-Ho.

par Olivier Smach.

Memories of Murder est le premier film distribué en France du talentueux réalisateur Bong Joon-ho, qui s’est illustré par la suite avec des tentatives cinématographiques ambitieuses telles que celle de The Host ou encore le récent Mother, qui a remporté l’adhésion de la critique internationale en 2010. Memories of Murder n’en reste pas moins le plus intéressant et complexe des trois.

Inspiré d’un fait divers véridique, le film raconte l’histoire d’une série de meurtres commis sur des femmes par un serial killer en Corée du Sud au milieu des années 80 dans la province de Gyunggi. Le vilain se voit traqué par deux flics que tout oppose dans leurs méthodes d’investigation : à la technique moderne et civilisée du détective Seo Tae-Yoon, s’oppose celle brutale et archaïque de son collègue le détective Park Doo-Man (interprété par le génial Song Kang-ho que l’on a pu voir dans Thirst ou The Host).

Malgré cette opposition de style (qui aboutirait à la résolution de n’importe quelle affaire dans une production américaine lambda), la collaboration qui s’opère ici ne fait pas mouche et ne permet pas réellement de faire avancer l’enquête. Les quelque indices obtenus s’effritent à mesure que la narration progresse au grand désarroi des inspecteurs, dont la frustration finit par retentir sur celle des spectateurs, puisque le film est volontairement filmé du point de vue des garants de la loi.

La narration est plutôt lente mais peu importe : le spectateur se retrouve vraiment immergé dans le quotidien d’une enquête policière ancrée dans un réalisme certain de par son traitement, qui met k.o des décennies de polars U.S. Derrière un pitch assez simple au premier abord, le film cache une grande subtilité qui s’interroge sur les limites de la psyché humaine en situation d’urgence : le film pose la question de savoir jusqu’à quel point on peut justifier la violence de manière légitime lorsqu’il s’agit de faire respecter la loi, et montrer que finalement, il est très facile même pour un représentant de l’ordre de basculer de l’autre côté et de se laisser aller à ses instincts primitifs meurtriers. La tension du film atteint d’ailleurs son paroxysme lors d’une sublime dernière scène sous la pluie. Bref, un film à découvrir d’urgence si vous ne l’avez pas encore vu !

2004 : Locataires de Kim Ki-duk.

par Dorian Sa.

Tae-suk s’invite chez des inconnus en leur absence. Il ne vole rien mais se prend en photo devant les bibelots pour mieux s’approprier la vie des autres. Chaque appartement recèle des découvertes, parfois bonnes ou plutôt mauvaises, en tous les cas toujours illégales. Un jour, Sun-houa le surprend dans son appartement. Au lieu de mal réagir, elle le laisse vivre sa vie. Maltraitée par son mari, Sun-houa quitte le domicile conjugal pour suivre Tae-suk dans tous ses déplacements. Ensemble, ils s’expriment sans parole avec une saveur particulière empruntée au mime…

Après Printemps, été, automne, hiver… et printemps (2004), Kim Ki-duk signe Locataires la même année et remporte le prix du meilleur réalisateur au Festival de Venise. Le film se glisse dans les interstices du réel et de l’imaginaire, entre l’onirisme de Birdy (1984) et l’étrange subjectivité de L’Homme invisible (H.G. Wells, 1897). Une histoire d’amour toute en finesse qui touche souvent au sublime.

2005 : Lady Vengeance de Park Chan-wook.

par Fabien Alloin.

Avec la même maîtrise que lors de ses deux films précédents – Sympathy for Mr. Vengeance (2003) et Old Boy (2004) -, Park Chan-wook termine sa trilogie sur la vengeance. La fulgurance de la mise en scène, les astuces de montage, les incrustations à l’écran font de Lady Vengeance (2005) malgré sa noirceur, un objet “pop” tout comme l’était déjà son ainé Old Boy. La main vengeresse est désormais celle d’une femme et s’il s’agit juste d’une astuce de cinéaste vide de toute profondeur, on croit à son odyssée vengeresse tout comme on croyait à celle de Oh Dae-Soo. Problème, il reste de la vision de Lady Vengeancela très désagréable impression de n’avoir été qu’une marionnette avec laquelle a joué le cinéaste.

Après deux films bruts, Park Chan-wook cherche cette fois-ci à introduire un discours plus marqué au milieu de la fureur de ses images: la violence, même au service d’une vengeance à priori juste, ne sera jamais rédemptrice. Le problème n’est pas vraiment la naïveté du propos mais plutôt la manière dont il est amené. Tout comme les parents des victimes du tueur que chasse Geum-ja (Yeong-ae Lee), on nous oblige à voir encore et encore des images dont la seule fonction est de choquer. Un gosse pendu devant nous, un autre en larme le visage tuméfié… L’ecoeurement atteint son paroxysme quand on donne la possibilité à ses pères et mères en deuil de se venger, couteau, hache, ciseaux à la main lors d’une scène très éprouvante.

Avec Lady Vengeance Park Chan-wook tourne une page sur ses films précédents mais ne laisse que très peu de place au spectateur. On est loin de Sympathy for Mr. Vengeance, de ses autopsies qui jouaient sur notre réception de la violence ou de la dernière scène qui s’en amusait presque en invitant la figure de Sergio Leone. Tout comme ses deux films précédents, Lady Vengeance remue et ne laisse pas indemne.

Pourtant, comme l’avait déjà annoncé « Cut » le sketch raté du cinéaste dans 3 extrêmes (2005), Lady Vengeance met aussi en avant les limites de la mécanique du réalisateur. Il reste néanmoins un film très important pour le cinéaste. Un film de transition qu’il donne l’impression de traverser seul pour arriver enfin à filmer autre chose, un autre sujet. Une folie plus calme, toujours bancale mais enfin apaisée: Je suis un cyborg.

2005 : Le Roi et le Clown de Lee Jun-ik.

par Antoine Benderitter.

Lors de sa sortie en Corée du Sud il y a six ans, Le Roi et le Clown a reçu un accueil public triomphal. Cela ne lasse pas d’étonner. Non que le film soit déplaisant ou austère, loin de là : c’est un divertissement soigné, bariolé, où la truculence se mêle au plaisir de la reconstitution historique (la Corée du 16ème siècle), et où un sens aigu de la satire ne nuit aucunement au mélodrame.

En fait la singularité du film, qui peut contribuer à son étrangeté aux yeux d’un public occidental, vient de son sujet même : la passion amoureuse d’un roi tyrannique pour un saltimbanque, créature androgyne du nom de Gong-Gil. Sur cette trame audacieuse, sans doute métaphorique, Le Roi et le Clown tisse une satire sociale et politique ponctuée de numéros de théâtre parfois saisissants, parvient à rendre attachants ses personnages et agrippe son spectateur d’un bout à l’autre sans sombrer dans la caricature – quand bien même une légère roublardise et quelques grosses ficelles seraient à déplorer. Bref, un film aussi inattendu que remarquable, qui n’a sans doute pas volé son succès.

Aussi présentés :

Bonjour, Dieu de Bae Chang-ho, 1988

Les Corrompus de Im Kwon-taek, 1982

Ivre de femmes et de peinture de Im Kwon-taek, 2001

Les Pommes de terre de Kim Sunk-ok, 1968

Le Rouet, l’histoire cruelle des femmes de Yi Tu-yong, 1983

La Saison des pluies de Yu Hyon-mok, 1979

Une femme en hiver de Kim Ho-son, 1977

La Vallée de Pia de Yi Kang-chon, 1955

Memento Mori de Kim Tae-Yong et Lee Jun-ik, 1999

Bon films !

Tous ces chefs d’œuvres du cinéma sud-coréen, vous sont proposés dans le cadre du festival Made in Asia, au cours duquel seront également présentés une large sélection de documentaires et des courts métrages.

Le mag

Pour plus de renseignements, rendez-vous sur le site Made in Asia, festival qui se déroulera du 4 au 20 février 2010 à Toulouse.

Pour consulter en détails la programmation et les horaires des films présentés dans ce dossier, rendez-vous sur le site de la Cinémathèque de Toulouse.

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2 commentaires pour “Le cinema Made in Korea”

  1. […] de Toulouse qui nous a permis de revenir sur quelques récentes pépites du pays du matin calme (lire notre dossier ici). L’année prochaine, c’est la très dynamique île de Taïwan qui sera invité […]

  2. […] Dossier : Cinema Made in Korea […]

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