BLACK MOVIE 2025 – Sundelbolong de Sisworo Gautama Putra

Posté le 24 janvier 2025 par

Le festival Black Movie 2025 en Suisse comporte une sélection de films asiatiques une nouvelle fois variée. Dans ce beau programme, se trouve un focus autour de l’actrice Suzzanna, reine du cinéma d’exploitation indonésien des années 80, avec notamment la projection de Sundelbolong de Sisworo Gautama Putra, qui nous intéresse ici.

Alisa, ancienne prostituée à la vie dure, trouve le bonheur et un nouveau départ en épousant Hendarto, un capitaine de bateau. Lors de l’un des longs voyages de ce dernier durant lequel la nouvelle mariée se retrouve seule avec sa gouvernante, Alisa est rappelée par la mère maquerelle qui la faisait travailler. Elle est livrée à une bande de voyous qui la violent. Enceinte, elle meurt en essayant de se faire avorter. Elle revient alors en sundel bolong, spectre de la mythologie indonésienne, chargée de rancœur, et se prépare à accomplir sa vengeance.

Durant les années 80, la société de production Rapi Films propose au public indonésien de nombreux films d’exploitation, notamment d’horreur, et connaît un immense succès. Quelque part entre le cinéma de genre italien et les films de la Shaw Brothers tendance magie noire, ils forment une marque à laquelle les Indonésiens se montrent très attachés, et créeront des vocations, puisque des cinéastes importants de l’époque contemporaine à l’image de Joko Anwar ne tarissent pas d’éloges quant à ces productions. Sundelbolong a la particularité d’être le premier film à lancer l’actrice pourtant expérimentée Suzzanna dans le registre de l’horreur, pour une bonne décennie, et de la rendre extrêmement populaire.

Le sundel bolong est un fantôme du folklore indonésien, celui d’une prostituée aux longs cheveux noirs, au visage pâle, et avec un trou dans le dos. Le film de Sisworo Gautama Putra s’introduit par le personnage qui déclame sont statut, puis se tourne pour que le spectateur puisse voir le trou purulent à l’arrière de son corps – le côté organique est très bien rendu par le maquillage – et via ce plan fixe sur lequel le seul mouvement à observer est celui de vers frétillant dans les chairs, défile le générique et les crédits de la production. L’effet cérémonieux de cette ouverture n’est pas sans rappeler le Frankenstein de James Whale dans lequel un présentateur sort d’un rideau pour prévenir l’auditoire que le film qui suit sera effrayant ; une scène culte du cinéma parodié jusque dans les Simpson. Sundelbolong formule sa propre version de cet effet, tout en citant tous les attributs du mythe qu’il met en scène, par les dialogues de Suzzanna et la vision de son dos, à des fins presque savantes, ethnographiques.

Sundelbolong est un film d’exploitation de son époque, ce qui implique des moyens techniques réduits, qui peuvent à la fois être considérés comme une limite pour une production à effets spéciaux, ou comme un cachet que l’on vient spécifiquement rechercher. Le réalisateur, Sisworo Gautama Putra, est le plus réputé en la matière, et a produit de nombreux films de genre réjouissants, notamment Satan’s Slave, sorte de pendant musulman à L’Exorciste, d’ailleurs remaké par Joko Anwar en 2017. Comme une inspiration indienne, plus ou moins lointaine selon les films, le changement de registre est de mise. Sundelbolong arbore une couleur de rape and revenge, de film de fantôme, lorgne par moments vers la comédie cartoonesque, quitte parfois à presque nous perdre dans un cheminement un brin tortueux… mais pour finalement que chaque couloir du scénario se révèle prenant. Le regard magnétique de Suzzanna y est pour quelque chose, son jeu rendant facilement intense les personnages de fantômes ou de sorcières, sans pour autant négliger sa facette humaine, importante elle aussi. Si le sundel bolong de Suzzanna paraît si charismatique et fort, c’est aussi car son vécu d’humaine résonne en lui. L’articulation de ces deux phases fonctionne, simplement. Que l’on rajoute du burlesque et des effets spéciaux magiques eighties offre, en revanche, la dose de fantaisie que le spectateur est venu chercher.

Comme beaucoup de production de ce genre, l’intention va à l’encontre de la corruption et de la politique menée à l’époque, ces films faisant office de sous-pape pour la population indonésienne. Suzzanna composera très fréquemment un personnage victime de la société patriarcale et qui prendra sa revanche sur les hommes qui lui ont fait du mal. Son personnage de Sundelbolong est à cet effet déjà complet, ses tourments sont minutieusement décrits et sa vengeance est montrée de bout en bout, tout comme l’impuissance de son mari. Sundelbolong est un titre solide et éminent de son registre, le cinéma d’exploitation indonésien des années 1980.

Maxime Bauer.

Sundelbolong de Sisworo Gautama Putra. Indonésie. 1981. Projeté au Festival Black Movie 2025.