Niché quelque part dans le catalogue de Netflix, The Pig, the Snake and the Pigeon (2023) signe la première incursion à Taïwan pour le cinéaste hongkongais Wong Ching-po, qui revient meilleur que jamais avec un solide divertissement à mi-chemin du thriller et de la comédie noire, après des années d’absence à la réalisation.
Lorsqu’il découvre qu’il n’est que le troisième fugitif le plus recherché de Taïwan, un criminel ambitieux se donne pour objectif de devenir le premier.
Avec quelques films au mieux sympathiques, au pire oubliables à son actif, peu de choses laissaient à penser que Wong Ching-po se tournerait vers Taïwan pour la suite déjà fébrile de sa carrière cinématographique. Sur place, il rencontre la productrice Lee Lieh et lui présente quelques projets parmi lesquels un certain Crime and Punishment sera retenu ; plus tard re-titré The Pig, the Snake and the Pigeon. Un choix justifié par une tout autre raison que l’hommage au western de Sergio Leone. Le film est en réalité une relecture de la légende du général Zhou Chu, connu pour avoir éradiqué deux des trois Fléaux qui terrorisaient son village. Pensant revenir victorieux, il se rendit compte qu’il était le troisième. Un récit épique fait de morale, de vengeance, de rédemption, et dont les thématiques ont tout intérêt à être réactualisées dans un film noir.
Dans un premier temps, The Pig, the Snake and the Pigeon ressemble à s’y méprendre à n’importe quel polar asiatique contemporain. Un protagoniste torturé, des gangsters sans foi ni loi, des courses poursuites et des nuits à la lueur des néons. Ce n’est que dans son second segment que le film dévoile progressivement son originalité à mesure que le destin du « héros » lui apparaît comme une mission divine. Atteint d’un cancer en phase terminale, il se donne pour but de devenir le criminel le plus recherché de Taïwan avant de se rendre aux autorités. « Je n’ai pas peur de la mort, j’ai peur de tomber dans l’oubli ». Discours d’un illuminé estimant ne pas être encore suffisamment digne pour capituler. La solution est toute trouvée : assassiner les deux fugitifs les plus recherchés de l’île. Mais dans l’histoire, qui est le cochon, qui est le serpent, et qui est le pigeon ? Pour ainsi dire personne, si l’on se détourne de la question pour explorer les symboles que portent ces animaux dans la culture chinoise. Des symboles souvent antinomiques qui reflètent les multiples facettes des personnages, considérant que le cochon renvoie tout autant au courage qu’à la cupidité, le serpent à la sagesse ou à la tromperie, le pigeon à la paix ou à la naïveté. Le film, lui aussi, ne cesse de vêtir différents styles et de convoquer des registres contradictoires qui feraient presque écho à l’état psychologique vacillant du personnage principal interprété par Ethan Juan. Il est en quelque sorte le cochon, le serpent et le pigeon à la fois.
Cette quête insensée, motivée par le désespoir, enrobe le film d’une aura crépusculaire où se joue la dernière danse macabre d’un homme prisonnier de ses illusions qui contrairement à ses dires, n’a peur de rien sauf de la mort. Cette même peur viscérale qui rend le protagoniste si pathétique qu’il s’abandonne à une secte lors d’une dernière partie complètement hors-sol. Là est la principale qualité du film de Wong Ching-po, parvenir à préserver la mélancolie du récit tout en laissant les évènements se produire avec une ironie latente. Ce décalage des tons, non sans rappeler une certaine aspérité du cinéma coréen, s’accompagne d’une réalisation au cordeau qui prend la notion de suspense très au sérieux. Le rythme lancinant du métrage est plusieurs fois rompu par ces sursauts de folie meurtrière où les origines hongkongaises du cinéaste se font claires à nouveau. Malgré ses longueurs et quelques dialogues exaspérants, on se réjouit qu’un tel film nous soit miraculeusement parvenu.
Richard Guerry.
The Pig, the Snake and the Pigeon de Wong Ching-po. Taïwan. 2023. Disponible sur Netflix.