Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Il rend hommage aujourd’hui hommage à l’actrice Nakayama Miho (1970-2024).
Chanteuse, idole des années 80 et 90, actrice de feuilletons et d’un chef-d’oeuvre du cinéma japonais, Nakayama Miho est décédée le 6 décembre à l’âge de 54 ans, une vie qu’on aurait cru plus longue, faite de fulgurances et d’absences. Elle connut rapidement la notoriété en interprétant les chansons thèmes des films Be-Bop High School, dont elle devait rejoindre les castings en 1985-86. Elle enchaînera principalement des feuilletons avant d’être contactée par Iwai Shunji, l’invitant à tenir deux rôles dans l’un de ses plus beaux films, Love Letter, en 1995. Iwai s’était lancé sur un projet consistant à révéler le potentiel d’actrice chez des idoles de l’époque. Le terme talento apparaît plus tard et désignera une nouvelle stratégie issue des impresarios.
Iwai, qui était passé de la pub au clip à de premières fictions, réalise Undo en 1994, avec Tomoko Yamaguchi, belle actrice à l’aise dans la comédie, à la manière de certaines ayant tourné avec Howard Hawks, mais qui persistera à privilégier les séries télé. Il lui confie un rôle dramatique, exigeant, l’éloignant trop d’une nonchalance gaffeuse appréciée du public. Elle acceptera cependant un petit rôle de sniper dans une autre réussite d’Iwai, Swallowtail Butterfly (1996).
Le réalisateur transforme Nakayama Miho dans Love Letter ; elle y joue une jeune veuve de Kobe et une bibliothécaire célibataire sévèrement enrhumée, vivant toujours chez ses parents dans la ville de Otaru à Hokkaido. Elle remporte plusieurs prix d’interprétation, et se lie d’amitié avec le réalisateur, qu’elle acceptera de retrouver en 2020 pour le film Last Letter, dont le casting regroupe Toyokawa Etsushi de Love Letter, Takako Matsu de April Story, et le vieux complice d’Iwai, Anno Hideaki. Entre les deux, elle poursuit la chanson, se distingue pour la qualité des paroles qu’elle écrit, tourne dans peu de films, le dernier à retenir aura été Lessons in Murder de Shiraishi Kazuya en 2022. Mais elle s’en tint à de nombreux dorama pour les grandes chaînes japonaises, dont l’excellent Nemureru mori/Sleeping Forest, en 1998, aux côtés de Kimura Takuya.
Iwai regretta qu’elle ne fasse pas le choix du cinéma, tout en comprenant les mécanismes des agences au Japon, et la puissance des liens entretenus durant cette période avec les sponsors et la télévision. Nakayama Miho me confia combien elle fut surprise et intimidée au départ par la proposition du cinéaste, de tenir les deux rôles principaux du film, des personnages qui s’écrivent des lettres dans lesquelles se découvre le souvenir d’un homme qui fut le mari de la première et un camarade de classe de la seconde, avec laquelle il partageait le même nom. Un grand film proustien.
Elle mesurait le travail qui l’attendait, les investissements de temps, ceux de son agence, l’apprentissage d’une autre manière de faire du cinéma. Love Letter fut rapidement un succès au Japon, et son influence ne cessa de grandir, inspirant scénaristes et réalisateurs à travers l’Asie, ainsi qu’un innommable remake en Amérique.
Le film sera déterminant dans la carrière de Iwai, il annonce l’univers shojo manga de plusieurs films à suivre. Nakayama Miho en sera le premier visage, là où cela commence, sur un parcours qui comprendra également Takako Matsu, et la grande Aoi Yu.
A l’annonce de la disparition de l’actrice, Iwai posta ceci sur X (qu’attend-t-il pour résilier son compte ?) : « We had promised to make a pilgrimage to the snow-covered Otaru together in 2025… for the 30th anniversary of Love Letter. And then this news of your sudden passing… Tonight, though only in passing, I wish to be by your side« .
(Nous avions promis de faire ensemble un pèlerinage à Otaru enneigé en 2025… pour le 30è anniversaire de Love Letter. Et puis cette nouvelle de ton décès soudain… Ce soir, ne serait-ce qu’un instant, je souhaite être à tes côtés).
Il dira d’une des scènes clé du film, lorsqu’elle écrit dans un livre alors que la neige tombe, qu’il était incapable de lui donner des consignes, Nakayama s’en empara et la fit sienne.
Stephen Sarrazin.