Interview de Min Bahadur Bham, réalisateur de Shambhala, le Royaume des cieux

Posté le 5 décembre 2024 par

A l’occasion de la sortie de son troisième long-métrage, le délicat Shambhala, le Royaume des cieux, distribué en salles depuis le 4 décembre par Epicentre Films, le réalisateur népalais Min Bahadur Bham a accepté de se soumettre au jeu des questions-réponses.

Comment vous est venue l’idée du film ? 

Cela m’est venu à l’esprit il y a très longtemps. Quand j’avais 12 ans, j’ai commencé à pratiquer la méditation, et je faisais souvent le même rêve. Chaque nuit, je me voyais dans ma vie antérieure, en moine. Je voyais des membres de ma famille, le paysage d’un village, mon gourou. J’ai alors écrit quelques poèmes à propos de tout cela. J’étais hanté. Au lycée, quand j’avais 15-16 ans, j’ai rédigé une courte histoire sur cette vie antérieure, cette vie passée dans un monastère. A partir de là, je me suis dit qu’un jour, quand j’aurai de l’argent, je me rendrai là-bas. Je voulais vérifier si tout cela était vrai, ou si ce n’était qu’hallucination. Lorsque j’ai réuni l’argent, j’y suis allé. 

Une fois sur place, quelle ne fut pas ma surprise ! Tout était exactement pareil. Ce qu’il y avait dans mon rêve, dans mon imagination, tout était réel. Immédiatement, je me suis dis : voilà, c’est cette histoire que je veux raconter. 

Pourquoi avoir choisi un personnage féminin ? 

Au début, c’était un personnage masculin. Par la suite, j’ai réalisé qu’en tant que cinéaste ou artiste, et même en tant qu’être humain, pour grandir, je devais découvrir mon côté féminin, mon énergie féminine. Tout le monde a un peu des deux en soi. Pour cela, le personnage principal devait être une femme. Pouvoir s’explorer, c’est un des grands pouvoirs de l’art et du récit. Et au-delà de l’aspect spirituel, cela permet également de voir socialement comment sont traitées les femmes dans certaines régions du Népal, la façon dont elles sont jugées. 

Quelle est justement cette place des femmes aujourd’hui au Népal ? 

C’est une place enracinée dans notre histoire. Pas seulement au Népal, mais dans toute la région sud-asiatique, et même dans tout le continent. C’est une société patriarcale. Dans les montagnes toutefois, les femmes détiennent généralement plus de pouvoir et de force, même si elles sont bien sûr conditionnées par des normes sociales et culturelles, et toujours dominées par les hommes. Au Népal notamment, elles sont  plus indépendantes que dans n’importe quel autre territoire. Elles ne sont pas éduquées comme les filles ou les femmes occidentales, mais j’ai le sentiment qu’elles ont plus de force, plus de compassion. C’est une situation pleine de contradictions : d’un côté, elles subissent une importante pression, elles doivent se soumettre à un système, à des normes, et de l’autre, elles sont particulièrement fortes.

Comment s’est passé le tournage avec les acteurs non-professionnels ? 

C’était une expérience incroyable, quelque chose dont je me rappellerai toute ma vie. J’aime énormément travailler avec des non-acteurs, j’ai beaucoup d’admiration pour eux. Dans ces conditions, il était d’ailleurs évident de tourner avec des personnes locales pour donner un sens plus authentique au film. Avant le début du tournage, il y a eu six mois de préparation, dont quatre passés au village de l’histoire. La plupart des membres de l’équipe étaient également des non-professionnels, et beaucoup n’avaient jamais expérimenté le cinéma de leur vie. Je leur ai donc consacré beaucoup de temps.

Vous avez tourné dans des conditions météorologiques particulièrement compliquées, n’est-ce pas ? 

En effet, les conditions étaient très dures. Le village dans lequel nous nous trouvions est la plus haute installation humaine du monde, à plus de 6000m. Même si nous filmions en mai et juin, la température était basse, et le temps changeait rapidement. En quelques minutes, il pouvait neiger, ou il pouvait y avoir un grand soleil. Parfois, nous devions arrêter le tournage. Il pouvait être difficile pour l’équipe de marcher, de faire face au mal aigu des montagnes et nous avons dû faire appel à quelques occasions à des secours. Pour certaines scènes, nous devions recruter plus de figurants, ou avoir plus d’animaux, et nous avons dû faire appel à neuf villages différents, chacun situé à trois heures de marche. Le dernier où nous sommes allés était même à trois jours de marche ! Malgré tout, c’était de très bons moments. Nous avions prévu de tourner pendant 68 jours, et finalement tout était terminé en un mois. 

En ce qui concerne l’aspect spirituel du film, pouvez-vous m’en dire plus ? C’est une façon de raconter et de penser qui peut déstabiliser en Occident. Je suis particulièrement intriguée par l’usage de plans sépias à plusieurs reprises pour évoquer ce qui dépasse la pensée humaine…

Dans mes précédents films, j’ai toujours privilégié des plans longs, statiques. Le rythme a toujours été lent, car c’est le rythme méditatif des habitants de l’Himalaya. Ce n’est pas non plus la première fois que je me sers de séquences rêvées, avec un ratio, une vitesse et un color grading différents. Dans ce contexte, c’était particulièrement justifié afin de représenter la vie intérieure, spirituelle de la protagoniste. L’idée n’était pas d’enseigner quelque chose au public, mais de faire voir. 

Comment définiriez-vous le Shambhala ? Il semble y avoir de nombreuses interprétations.

Oui c’est vrai. Le sens littéral en sanskrit signifie “paradis mystique”. Ce que les bouddhistes croient, c’est qu’il s’agit du lieu de la dernière naissance de Bouddha. Cela serait quelque part en Afghanistan. Pour les hindous, c’est là où s’est produite la dernière réincarnation de Lord Vishnou, en Inde. C’est donc un endroit sacré, paradisiaque, où les souffrances n’existent plus. 

Pour moi, c’est plutôt une chose à envisager de façon spirituelle. Shambhala renvoie à un état d’esprit, à un éveil. C’est une énergie, une capacité qu’ont certaines personnes à s’élever moralement. Ces dernières n’ont pas toujours conscience de leur aptitude, comme Pema. Elles ne comprennent pas forcément ce qui leur arrive. C’est une chance en fait très rare d’y accéder. Nous nous concentrons beaucoup sur la médiation, sur le yoga, mais ces efforts ne déboucheront pas, pour la plupart d’entre nous, sur cette élévation. Le Shambhala, pour moi, renvoie donc surtout à l’idée de paix intérieure, d’indépendance.

Entretien réalisé par Audrey Dugast le 19/22/1024 par Zoom.

Shambhala de Min Bahadur Bham. Népal. 2024. En salles le 04/12/24.

Remerciements à Marie-Lou Duvauchelle ainsi qu’à toute l’équipe de Makna Presse et Epicentre Films.