Via son troisième volume de coffret cinéma indépendant japonais, Spectrum Films donne la part belle au réalisateur, ancien cascadeur et directeur des chorégraphies Sonomura Kensuke. Attardons-nous sur sa première réalisation : Hydra.
Après la mystérieuse disparition de son père, Rina se retrouve à diriger Hydra, un petit bar très amical qui attire les noctambules en tous genres. La propriétaire des lieux est épaulée par Kenta, un serveur que les clientes semblent particulièrement apprécier, et Takashi, un mystérieux chef qui décroche rarement le moindre mot. Son lien avec le passé de Rina et avec une organisation d’assassins feront basculer tout ce petit monde…
Né dans les années 1970, Sonomura Kensuke a un parcours particulier au sein de l’industrie japonaise. Il a d’abord été cascadeur puis chorégraphe, dans le cinéma et le jeu vidéo. Quand il réalise Hydra en 2019, son premier long-métrage en tant que cinéaste, il est sous l’influence de toute cette culture audiovisuelle, le cinéma d’action (japonais, américain ou hongkongais) de l’âge d’or des années 1980, ainsi que le médium vidéoludique. Hydra cite ces références, du générique à la graphie eighties jusqu’à la colorimétrie de certaines scènes, rappelant Blade Runner, en même temps que la musique façon Vangelis.
Au milieu de ces citations qui ciblent une frange importante des cinéphiles et créent un univers relativement « confort » – la nuit tokyoïte est d’ailleurs bien mise en valeur -, un scénario et des personnages trouvent leur existence, avec plus ou moins de réussite. Le monde d’Hydra consiste en une poignée de protagonistes ; son héros, un ancien tueur, se retrouve face à des organisations souterraines qui le ramènent à son ancienne vie, accompagnées de quelques flics corrompus – l’un d’eux, particulièrement écœurant, est un violeur en série – et deux « amis », la jeune patronne du bar Hydra, elle aussi rattachée à son passé, et le barman, un ami fidèle en devenir. Ce beau monde est assez prometteur en termes de développement et de caractérisation, si l’on regarde le film rétrospectivement. Leur caractère est net et bien défini, les rendant assez vite attachants pour les rôles positifs, leurs interactions évoluant le long de l’intrigue, en même temps qu’ils apprennent à se connaître face à l’adversité. Malgré cela, le tout reste quelque peu en surface, la faute sans doute à certaines contraintes de production – il s’agit d’un film indépendant – et la durée du film, courte de 1h17, qui sert pour la communication à évoquer la proximité du film avec les principes du V-cinema – le marché vidéo japonais des années 1990, spécialisé dans les films de gangsters et dont la durée n’excède que rarement l’heure de métrage – mais dont souffre malheureusement l’intrigue. On imagine, cela dit, une suite tout à fait possible.
Étonnamment, le film préfère justement s’attarder sur ses personnages et leurs interactions dans le scénario, plutôt que s’engouffrer dans un déluge d’action comme on aurait pu l’imaginer avec le profil de Sonomura. La principale scène d’action, dans le segment final du scénario, longue de dix bonnes minutes, se révèle d’excellente qualité. Parfaitement lisible, démontrant les capacités martiales de ses acteurs, filmée avec fluidité et agrémentée de sons « organiques » – les coups sifflent et les blessures se font sentir à travers l’écran, faisant sentir ainsi au spectateur un danger instinctif – on aurait vraiment aimé en voir plus, même s’il faut reconnaître qu’un réalisateur qui essaie de ménager à la fois le scénario, les personnages et les scènes de combat dans un film d’action indépendant, a quelque chose de louable.
Bien que flattant une fois encore le goût pour le rétro d’un pan de la cinéphilie et ne parvenant pas à faire maturer complètement son intrigue, on ressent à travers le rendu d’Hydra l’engouement des parties prenantes pour cette fête qu’est le cinéma, pour ces gangsters, ces anciens tueurs au grand cœur, pour la romance et l’amitié, quelque chose finalement d’un peu naïf, sans être niais, qui le rend le film aimable et dont, pourquoi pas, on espère une suite un peu plus consistante !
BONUS
Présentation du réalisateur (1 min). Courte introduction de Sonomura Kensuke pour annoncer le visionnage, sans informations particulières.
Commentaire audio de Frankie Diaz et Peter Glagowsky (durée du film). Les deux journalistes américains, spécialistes du cinéma d’action et du jeu vidéo, interviennent au fur et à mesure de l’intrigue avec des informations sur les acteurs et le tournage qu’ils ont obtenues en amont, ainsi que leurs interprétations quant à certaines symboliques du film (qu’ils avouent pouvant parfois relever de la surinterprétation). Le plus amusant dans leur commentaire s’avère lorsque l’un d’eux, ayant travaillé comme barman, fait part de son expérience et la met en perspective avec les scènes de bar du film, une comparaison loin d’être inintéressante.
Le V-cinema par James Balmont (30 min). Le journaliste britannique analyse de fond en comble le pan cinématographique qui aurait inspiré Sonomura Kensuke, du déclin des studios japonais à l’avènement de la vidéo grâce aux nouvelles pratiques des loueurs de VHS à la fin des années 1980. Il cite les auteurs et les acteurs phares du genre, qui connaissent pour certains toujours une large activité dans le cinéma et une reconnaissance artistique certaine, et décrit les données économiques qui ont accompagné le mouvement.
Maxime Bauer.
Hydra de Sonomura Kensuke. Japon. 2019. Disponible dans le coffret Spectrum Films Cinéma japonais indépendant vol. 3 Kensuke Sonomura : Hydra/Bad City en mai 2024.