Bastian revient à Shama Town… heu Udine ! Pour son compte rendu de la journée du 3 mai ! Au programme : pas de tables rondes, mais trois batailles de foules, et toujours de l’humour, des Pinkus et des comédies romantiques (dont une de Johnny To)… Par Bastian Meiresonne.
Mieux que Shama Town : Welcome to Udine, avec Bastian Meiresonne comme guide !
Mardi 3 mai.
Commis de situation
On m’a posé la question, pourquoi je ne me prenais pas le temps / la peine de retranscrire les tables rondes du soir. D’un côté, EFFECTIVEMENT à cause d’un problème de temps à courir les salles toute la journée, mener des interviews à l’occasion, boire pour reprendre des forces et dormir deux-trois heures… Et puis par un manque d’intérêt évident de ces dits-panels. Si j’ai rapidement résumé les propos du producteur chinois l’autre jour, c’est parce que les questions-réponses du réalisateur étaient du genre: “Quelle différence faites-vous entre la réalisation de vos films publicitaires et celle de votre premier long-métrage Welcome to Shama Town ?”. Réponse : “Pendant le tournage des publicités, j’étais surtout concentré sur le produit à vanter… Le long-métrage m’aura permis de travailler davantage avec des acteurs”. Il n’empêche, que Shama Town est une franche réussite, loin de l’hommage autoproclamé du réalisateur au cinéma d’ Emir Kusturica (il y a aussi peu d’affiliations entre ces deux univers, que celui d’Imamura Shoei par rapport à Bedevilled ), mais qui est un premier long prometteur. La critique ci-dessous : en deuxième partie du compte-rendu du quatrième jour de festival toujours placé sous le signe du soleil (de minuit) !
Début de journée à 9h15 pour la projection de Tomboy (aka Girl in disguise ) de 1936, premier long-métrage du chinois Fang Peilin, dont l’incroyable succès a réussi à sauver le studio de la Yihua de la faillite. Pourtant, le cinéaste débutant a dû faire face à des critiques très dures : le film a été décrit comme “frivole” et “inutile”. Le métrage se concentre sur l’histoire d’une fille obligée de se faire passer pour un garçon pour tromper la vigilance de son riche grand-père, à qui l’on avait toujours fait croire qu’elle était le futur digne héritier des affaires de la famille. Si la salle a moins retenu son souffle au lancement de la projection, impossible tout de même de rester de marbre devant cette comédie de transvestisme parfaitement maîtrisée, mais dont la copie (transposée en Digibeta) est dans un état extrêmement médiocre pour cause des ravages du temps. Le succès du film a encouragé plusieurs suites, dont la dernière réalisée à Hong Kong en 1956, vingt ans après l’original et huit ans après la mort du réalisateur, décédé prématurément dans un accident d’avion en 1948.
A man’s weak point a incontestablement été l’un des temps forts de ce festival. Second long (de trois) diffusé dans le cadre du focus dédié au réalisateur japonais Masaharu Segawa, il fait partie de la longanime (onze épisodes au total) série des “Kigeki”, aka “Journey” que le cinéaste a réalisé sous l’égide du studio de la Shochiku à partir de 1968 avec le comédien Frankie Sagai dans le rôle principal. Ce dernier, pendant nippon de notre Laurent Petit-Reynaud national, l’autosuffisance en moins et l’appétit en plus, incarne cette fois un policier chargé de veiller aux bonnes mœurs. Sur les traces d’un réseau porno, il est loin de se douter, que c’est son ami d’enfance Fujimura, qui gère toute l’affaire.
Cette comédie est absolument géniale, jamais facile, ni graveleuse. Frankie Sakai dépote une nouvelle fois dans le rôle de l’inspecteur, tiraillé entre les jolies filles dénudées, qu’il est censé arrêter et son épouse, qui l’excite de toutes les manières possibles pour lui assurer une descendance. Une réussite d’autant plus étonnante, que la situation du cinéma japonais était extrêmement tendue à l’époque avec – justement – le cinéma “pinku” s’attaquant aux vieilles bonnes valeurs traditionnelles et grignotant des sérieux parts de marché à des studios à la dérive. Masaharu a su mettre le doigt sur un sujet extrêmement sensible, mais il le fait avec une telle malice, que même les producteurs réussissaient à rire de leur propre malheur… La classe !!!
The drifters : Hey suckers !! Here we come !! , troisième long de la série “Segawa” passé l’après-midi et – du coup – hyper attendu par tous le public italien suite à la qualité des deux premiers était en revanche… une déception. Quinzième (et dernier) long en quelques années d’une bande de comiques, les “Drifters”, issus de la télévision, c’était le second de la série réalisé par Masaharu Segawa. Si le cinéaste a su insuffler quelques idées personnelles, il a également dû se plier à un univers codifié usé jusqu’à la corde. En résulte un “caper movie” (films de truands) autour d’un vol de bijoux avec un jeune caïd candide, qui a à la fois maille à un policier hargneux et une bande de gangsters. Comme souvent à cette époque, le film s’achève en une gigantesque bataille de tartes à la crème, où l’ensemble du casting en prend plein la “tranche” (Gaëlle, celle-là est pour toi et ce n’est pas une faute, mais un vilain jeu de mots 🙂 ).
La lutte et la classe
C’était LA GUERRE en ce mardi avec trois batailles de foule : une aux pétards et fusées dans le taïwanais Night Market Hero de Yeh Tien Lun, une autre aux tomates dans Welcome to Shama Town du chinois Li Weiran et une ultime dans le thaïlandais Bangkok Knockout de Panna Rittikrai !
Night market hero est LE succès taïwanais de l’année 2010 et troisième plus gros succès local de tous les temps avec plus de 4 millions de dollars de bénéfices après la comédie romantique Cape N°7 en 2008 et le film de gangsters Monga en 2009. Il s’inscrit également dans la mouvance des deux autres titres en traitant d’un sujet typiquement local – en l’occurrence la lutte d’un marché de nuit menacé de disparition au profit d’un gros projet immobilier – qui parle à l’audience du pays.
En revanche, un succès international semble beaucoup plus compromis, surtout en raison de l’extrême simplicité de l’intrigue en plus des spécificités culturelles. Soit le “BON” groupe de gentils marchands versus la grosse société corporatiste, qui va finalement se retirer (oui, je “spoile” !) après avoir goûté aux bons petits plats typiquement locaux. Un sujet déjà traités à maintes reprises et notamment dans le supérieur hongkongais Chicken duck and talk en… 1988, soit plus de vingt ans en arrière ! Ajoutez à cela une romance à l’eau de rose, qui finira par le sempiternel petit baiser apposé sur la joue pour ne pas choquer le public (jugé) puritain, et vous obtiendrez le parfait divertissement familial asiatique, qui risque de rebuter le public occidental. En même temps, le réalisateur débutant Yeh Tien-lun sait comment emballer son affaire et propose un sans-faute dans ce type de comédie familiale, assurant le succès et prenant ainsi la revanche sur le mauvais sort, qui s’était abattu en 1999 sur ses pauvres parents producteurs, qui avaient perdu tous leurs biens en investissant dans le film d’auteur March of happiness de Lin Cheng-sheng.
La seconde bataille, c’est celle – d’ores et déjà mythique – de “la fête de la tomate” à Shama Town.
Petite bourgade perdue au fin fond du désert de Gobi, elle se destine à abriter un parc d’attraction pour attirer les touristes du monde entier – selon le maire Tang Gaopeng. Il pense finalement pouvoir assouvir son rêve, lorsque débarquent des investisseurs potentiels, en réalité des hommes d’affaires à la recherche d’un légendaire trésor. Pour comprendre, comment l’on puisse en arriver à la fameuse bataille avec plusieurs tonnes de tomates, il faut vraiment chercher à voir ce petit bijou de la comédie nonsensique, nouvelle preuve, s’il en est, que la Chine est en passe de devenir l’un des maîtres dans l’art de faire rire les habitants de leur pays… et de ceux du monde aussi avec des gags franchement universels. A Udine, le bouche-à-oreille a en tout cas bien fonctionné en assurant une salle pleine à l’ouverture, comme à sa reprise en ce soir du mardi au cinéma du Visionnario.
Bangkok Knockout aura mis tout le monde KO aux alentours de 2h30 du matin après son sacré lot de tatanes et coups de savates dans la tronche. Réalisé par Panna Rittikrai, premier chorégraphe d’action de l’Histoire du cinéma thaï à la fin des années 1970s, puisant son inspiration dans les kung-fu comedies de Jackie Chan et de Sammo Hung, et mentor de Tony Jaa ( Ong Bak ) et de Dan Chupong ( Pirates de LangGasuka ) pour n’en citer que quelques-uns.
Pour le présent film, il s’est à nouveau entouré de l’équipe de Born to fight pour imaginer une bande de cascadeurs et artistes martiaux kidnappés se battre devant les caméras (cachés) d’une bande de “farangs” (occidentaux) hyper méchants, qui parient beaucoup, beaucoup d’argent sur ces combats clandestins (au lieu de les dépenser dans les pensionnats pour orphelins ou des films thaïs à gros budget, par exemple). Les trente premières minutes sont totalement inutiles : il ne s’y passe absolument rien. En revanche, ensuite c’est de l’action non-stop avec quelques morceaux de bravoures (le combat dans la cage), mais aussi beaucoup de coups dans l’eau. Bangkok Knockout n’atteint certainement pas le niveau d’un Born to fight . J’en veux pour preuve la scène finale, qui n’est autre que celle du début de Born… sur et sous un camion, qui semble avancer au ralenti et qui ne réserve absolument plus le même effet de surprise que dans le premier film. Quant à l’intrigue, elle fait doucement rire, avec ces “méchants occidentaux”, qui payent pour voir des gentils thaïs risquer leur peau à se battre. Bref, tout ce que font justement les thaïs pour PLAIRE à un marché occidental avec leurs productions martiales de récente mémoire.
Une journée de cinéma relativement enragée, attitude qui s’est retrouvé jusque dans la présentation du premier pinku du soir, Last bullet de Sano Kauhiro (1989). Acteur ayant démarré sa carrière sous l’égide de Sogo Ishii ( Crazy thunder road ) et Kazuo Komizu (aka Gaira, Entrails of a beautiful woman ), il devient l’un des quatre piliers des “Four kings of pink” ayant dominé la scène des pinku eiga des années 1980s.l Last Bulet (aka Capturing: Dirty Foreplay ) est en fait la transposition en 35 mm d’un autre long, qu’il avait tourné en 8 mm en 1982, Song of the earth worm . L’histoire s’intéresse à l’ouvrier ultra timide, So, passionné par les armes à feu, qui va finalement prendre confiance en lui, le jour où il s’offre un vrai revolver. Mais du coup sa vie va totalement basculer.
Sano Kazuhiro fait partie de ces réalisateurs, qui s’intéressent davantage à la dramaturgie et à la psychologie de ses personnages, plutôt qu’aux scènes de sexe. Ce n’est pourtant pas ce qui manque, mais elles sont les conséquences des actes des personnages et tout sauf franchement excitantes, comme celle d’un So totalement possédé après l’acquisition de son arme à feu, qui va littéralement aller jusqu’à violenter une prostituée pour calmer ses ardeurs. Un film foncièrement déprimant, jusque dans son issue fatale, mais qui n’en demeure pas moins l’un des titres phares pinku de la fin des années 1980.
Romans tics et toc
Et pour finir sur une note de douceur dans un monde de brutes :le dernier Johnnie To, Don’t go breaking my heart , le coréen Romantic Heaven de Jang Jin et le pinku Slow Motion d’ Enomoto Toshiro pourraient être pour vous !!!
Bien que’appartenant à la génération qui a suivi les “Four Kings of pinku” et les “Seven Lucky Gods”, Enomoto Toshiro a tendance à imiter les issues quelque peu fatalistes de ses personnages. Son Slow motion démarre donc pépère avec le jeune Shingo, qui a pour passe-temps de prendre les sons de la Nature pour les écouter chez lui, jusqu’au jour, où il entend la voix d’une femme, qui chante une étrange comptine, alors qu’il pensait être seul à se baigner et à enregistrer le bruit des vagues à la mer. Après quelques recherches, il s’avère que c’est la voix d’une stripteaseuse d’un club du coin, dont Shingo va tomber raide dingue.
Alors que l’histoire démarre sur les meilleurs auspices, la fin est incroyablement cruelle en contant une histoire d’amour non pas seulement impossible, mais littéralement cruelle, lorsque Shingo ne pourra plus faire l’amour à son amie que sous les yeux médusés des autres clients du bar où elle se produit…
Rien, mais absolument rien à voir avec les histoires d’amour de Zixin, qui se retrouve avec deux amants aspirants à la fois: le trader Shen-ran et l’architecte accro à l’alcool (et guéri le temps de deux pages de scénario) Qihong. Ouvertement destiné au marché chinois, Johnnie To réalise une bluette signée Wai Ka-Fai ( Mad Detective ) et Yau Nai-hoi ( Filatures ) sans aucune originalité, ni charme. On suit donc une grande enfant totalement indécise à pouvoir entre deux hommes d’un niveau social plutôt élevé, ce qui donne lieu à tout un tas de scènes dans tout un tas de lieux branchés et néo-bourgeois. Le dénouement est à l’image de tout le film avec l’un des deux prétendants, qui s’en va d’un simple geste de la main, en souriant, comme si toutes les tentatives de conquête des deux heures passées ne comptaient finalement que pour des prunes. Affligeant, à défaut d’être vraiment mauvais.
Pour son dixième film, le coréen Jang Jin voit les choses en grand. Fraîchement marié, il imagine trois histoires d’amour, de vie et de mort, qui vont finalement concourir dans un ultime quatrième segment.
Le premier, Mom traite d’une femme, qui a besoin d’une transplantation de la moelle pour combattre un cancer. Or, le seul donateur possible disparaît après des ennuis avec la police.
Dans Wife , un avocat désespère de retrouver le journal intime tenu part sa femme décédée dans un hôpital.
Enfin, dans Girl , une grand-mère raconte à son petit-fils, que son mari – sur le point de mourir – n’a jamais pu oublier son premier amour.
Trois histoires foncièrement différentes, mais qui tournent tous autour du thème de la Mort et de Dieu, qui viendra faire un tour au cours du quatrième épisode.
Jang Jin, talentueux réalisateur de Guns & talks et considéré comme étant l’un des meilleurs scénaristes de la nouvelle génération a toujours aimé s’entrechoquer les éléments les plus diversifiés. Il en va de même dans le présent Romantic Heaven , qui semble curieusement beaucoup trop larmoyant et romantique pour pouvoir concourir avec les meilleurs films du cinéaste, La ligne sacrée ou Murder Take One .
Bastian Meiresonne.