Présenté lors du dernier Festival du Film Coréen à Paris puis au Carrefour de l’Animation, Krisha et le maître de la forêt, troisième long métrage de stop-motion de l’histoire de l’animation coréenne, connaît une sortie en salles en France ce mercredi 17 janvier 2024. Réalisé par Park Jae-beom, épaulé de Lee Yun-ji, le film s’inspire du documentaire The Last Tundra et des inquiétudes d’enfance du réalisateur.
L’intrigue suit une famille autochtone dans la toundra sibérienne, au sein de laquelle une petite fille reçoit des visions d’un étrange ours aux yeux rouges, le fameux maître de la forêt. Pour aider sa mère malade, alors que son père est allé chercher des médicaments à la ville, la petite fille, accompagnée de son fidèle renne et, malgré elle, de son petit frère, va partir en quête de cet ours, sans savoir que des chasseurs sont aussi à la poursuite de la bête.
Ce qui frappe tout de suite est la beauté plastique du film, avec des marionnettes très expressives grâce à un système de demi-masques, qui permettent de transformer indépendamment le haut et le bas du visage. La flore et la faune du film, ainsi que les costumes de fourrure, permettent un très impressionnant jeu sur les textures. À l’inverse des tentatives des studios Laika pour gommer tout ce qui trahit le côté artisanal de ses images depuis plusieurs films, l’équipe d’animateurs coréens embrasse pleinement le statut de poupée des personnages et la joie de la stop motion traditionnelle.
Le lien du projet avec le documentaire est aussi bel est bien présent ; même si le film se range sans conteste du côté du conte, en n’insistant pas sur le lieu, il conserve une partie de ce qui a fasciné le réalisateur en visionnant The Last Tundra : le rapport au sang. Sans jamais tomber dans l’horreur (on retrouve une dimension organique mais qui n’a pas la radicalité monstrueuse de Mad God), le film est étrangement frontal sur cet aspect dans les rituels de la famille pour ce qu’on attendrait d’une œuvre visant en priorité le jeune public (mais en cela, n’est-il finalement pas plus proche de l’essence même des contes ?).
Le film n’hésite pas non plus à piocher dans l’imagerie du livre pour enfants avec des plans larges sur la fuite du traîneau sous la lune, poursuivi par des loups, ou les apparitions de l’ours. La thématique de l’opposition entre traditions et modernité est plus ambiguë que ce à quoi on pourrait s’attendre, que ce soit en ce qui concerne la guérison maternelle, ou la position des membres de ce peuple de la toundra face à la volonté de moderniser le pays.
Assez classique dans sa construction, il s’agit d’un récit d’apprentissage avec une héroïne qui doit s’approcher de l’âge adulte. Pour l’accompagner, le film nous propose un petit frère aventureux servant à déployer des péripéties, un renne élevé à l’école Jolly Jumper des animaux adjuvants sympathiques (mais moins envahissants qu’une mascotte Disney), une créature très réussie, un méchant colonisateur très méchant et son homme de main pris dans ses contradictions morales et identitaires, ainsi que des parents bienveillants mais, comme le veulent les règles du genre, assez tôt évacués du récit.
Il s’agit ici vraiment de permettre aux enfants de se faire peur, aussi bien avec le « monstre » qu’avec les fêlures des personnages humains, dans une forme cependant réconfortante, affectant une naïveté jamais niaise. Le film invite l’enfant à se confronter aux angoisses liées à la mortalité parentales et à l’incapacité des adultes à fournir les réponses qu’il voudrait entendre, dans une forme tellement charmante, au sens fort du terme, que tout ce qui pourrait rebuter est facilement dépassable, pris dans le pouvoir de fascination du conte.
Florent Dichy.
Krisha et le maître de la forêt de Park Jea-beom. Corée du Sud. 2022. En salles le 17/01/2024.