EN SALLES – Trilogie Musashi I – La Légende de Musashi d’Inagaki Hiroshi

Posté le 4 août 2021 par

Près de 70 ans après sa sortie au Japon, la légendaire trilogie du samouraï Miyamoto Musashi, avec Mifune Toshiro en premier rôle et adaptée du roman éponyme de Yoshikawa Eiji, nous parvient au cinéma pour la première fois en version restaurée. Un triptyque composé de La Légende de Musashi (1954), Duel à Ichijoji (1955) et La Voie de la lumière (1956), tous trois réalisés par un maître du chanbara et du jidai-geki chez la Toho, Inagaki Hiroshi.

Japon, 1600. Jeune homme fruste rejeté par les siens, Takezo rêve de devenir samouraï pour recueillir gloire et honneurs. Avec son ami Matahachi, il part au combat mais se retrouve rapidement du côté des vaincus. Contraints de fuir, les deux hommes trouvent refuge chez la veuve Oko et sa fille Akemi. Alors que Matahachi décide de rester auprès d’elles, abandonnant par là sa promise Otsu, Takezo retourne seul au village où il sera très mal accueilli.

Ce ne sont pas les exploits du guerrier Miyamoto Musashi, de son vrai nom Shinmen Bennosuke, qui manquent d’alimenter l’imaginaire collectif de l’époque Edo au Japon. De son vivant (1584-1845), la vie du preux samouraï fut maintes fois détournée par les rumeurs et colportages dans les diverses circonscriptions du gouvernement Tokugawa, où l’on parlait déjà d’un mythe hagiographique autour duquel la société aimait à se construire. Edwin O. Reischauer nous dit bien, dans la préface de La Pierre et le sabre (premier volume du roman Musashi écrit par Yoshikawa Eiji en 1935) : « Miyamoto Musashi était un personnage historique réel ; mais grâce au roman de Yoshikawa, lui et les autres personnages principaux du livre sont devenus partie intégrante du folklore japonais vivant ».

De plus, la fictionnalisation de ce héros emblématique témoigne d’importants changements sociaux de l’époque (réunification du pays, ouverture du commerce Nanban avec les Européens, système hiérarchique fracturé…), ce qui fit de Musashi un modèle à suivre en période de troubles, autant pour les Japonais du XVI-XVIIème siècle que pour leurs contemporains, dont l’image qu’ils se font d’eux-mêmes est à bien des égards idéalisée par de tels récits épiques (Reischauer tisse en ce sens une analogie avec Autant en emporte le vent pour le peuple américain, ainsi que pour la naissance d’une conscience culturelle et nationalisante). Rien d’anormal, donc, que sa légende soit parvenue jusqu’à nous, de même qu’aux réalisateurs japonais désireux de l’adapter sur grand écran, d’Ito Daisuke en 1943 (A deux sabres) à Mizoguchi Kenji en 1944 (L’Histoire de Musashi Miyamoto) en passant bien sûr par la saga en 6 films d’Uchida Tomu, s’étalant de 1961 à 1971.

Concernant la version de Inagaki Hiroshi dont il est ici question, le cinéaste s’émancipe quelque peu du livre pour favoriser l’action à la stricte représentation de l’époque, en modernisant notamment la figure des samouraïs. De coutume, cette dernière respecte leur rang élevé dans la structure féodale japonaise, ce qui implique autorité politique, richesse, stature et obligations sociales, là où le Musashi du premier volet de cette trilogie s’avère être un jeune belliqueux, brute sur les bords, modeste et avide de pouvoir. Un acteur tel que Mifune Toshiro, reconnu chez Kurosawa Akira pour ses élans de colère et son penchant dirons-nous rustre voire primitif, ne pouvait mieux habiller ce rôle de « démon du village Miyamoto ». A celles et ceux qui auront lu Vagabond d’Inoue Takehiko, l’attitude désinvolte de Takezo au début de l’aventure a de quoi rappeler celle de ce film (la suite nous dira si la sagesse s’éprendra finalement de lui comme ce fut le cas dans le manga). Le développement du personnage de Mifune est cependant clair, il s’agit d’un homme viril, campé sur ses valeurs, plus adulte qu’il n’y paraît, caractérisation dont on se rend compte aux scènes d’éducation forcée par le moine.

A l’inverse d’un Kobayashi Makoto ou d’un Kurosawa Akira (auquel la trilogie est souvent confrontée), Inagaki Hiroshi semble privilégier l’aventure légère, désencombrée de pesants dilemmes intérieurs ou d’une dramatisation oppressante, ce qui n’était pas forcément le cas en 1954 quand sortaient Les Sept Samouraïs, L’Intendant Sansho ou Les Amants crucifiés pour les jidai-geki. Sont plutôt de mise les discussions simples et honnêtes entre les différents protagonistes, les belles couleurs au charme technicoloréen (film tourné en Eastmancolor), le souffle épique de la bataille introductive et une certaine frivolité, rattachant davantage La Légende de Musashi à la Trilogie du samouraï (2002-2006) de Yamada Yoji ou aux Kenshin le Vagabond (2012-2021) d’Otomo Keishi qu’aux films de sabre de son époque. Cela ne veut bien entendu pas dire qu’on ne retrouve pas des éléments propres aux exercices de style de Kurosawa par exemple, comme la pluie ou les mouvements de caméra pour découper et raccorder l’action. Peut-être n’a-t-il pas non plus l’éclat d’une grande pièce martiale et la mise en scène virtuose de ses pairs, la faute à un milieu de film sans grande ampleur ni enjeux significatifs (dans les moments de romance avec Akemi, interprétée par Okada Mariko), mais l’ensemble se suit avec plaisir pour la modernité de son approche dramatique et sa photographie indiscutablement somptueuse.

Sans être le triomphe escompté, ce début de trilogie fleuve s’annonce prometteur pour la suite, où l’on découvrira les motivations d’un Musashi porté avec raffinement par Mifune Toshiro, au sommet de son art, ce que l’on aimerait prochainement pouvoir dire d’Inagaki Hiroshi dans les deux opus restants qui nous attendent. Carlotta a eu la brillante idée de nous distribuer la splendide restauration de ces films, au cinéma dès le 4 août 2021, en attendant le coffret qui verra le jour en octobre.

Richard Guerry.

Trilogie Musashi I : La Légende de Musashi d’Inagaki Hiroshi. Japon. 1954. En salles le 04/08/2021.

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