Spectrum Films édite The Soong Sisters de Mabel Cheung, fresque historique et féministe évoquant le destin de trois femmes à l’importance fondamentale dans l’histoire contemporaine de la Chine.
On y dépeint la vie de trois sœurs au destin hors du commun, filles de Charles Song, missionnaire méthodiste devenu un riche entrepreneur et l’ami de Sun Yat-sen. La plus âgée, Ai-ling, va épouser l’un des hommes les plus riches de Chine, le banquier Kong Xiangxi. La seconde, Ching-ling, épouse le révolutionnaire Sun Yat-sen, premier président de Chine, et poursuivra son œuvre après sa mort. La plus jeune, May-ling, épousera Tchang Kaï-chek, le généralissime et leader nationaliste.
The Soong Sisters est une fresque historique qui s’attache à la vie des sœurs Soong, trois femmes chinoises au destin hors du commun puisqu’elles épousèrent chacune des figures historiques majeures de la Chine du XXe siècle et eurent une importance significative dans leurs agissements. Le film sort en 1997, année de la rétrocession de Hong Kong à la Chine et, sans atteindre la censure (ou l’autocensure) qu’impose l’actuel pouvoir chinois sur la production de Hong Kong, le film se montre à la fois critique et déférent sur plusieurs points et altérations historiques. La volonté d’entamer de manière sereine la coexistence avec la Chine explique cela, notamment avec une partie du tournage qui se fera à Pékin, et 14 minutes qui finiront coupées au montage.
Le film démarre comme un conte de fée à travers une ritournelle connue de la Chine populaire.
Il était une fois trois sœurs. L’une aimait l’argent, la deuxième la Chine, et la troisième le pouvoir.
Ces contours grossiers dessinent le caractère des trois sœurs même s’ils seront plus nuancés durant le film. Une scène l’explicite d’ailleurs fort bien par l’image, dès les premiers instants. Imprégnées dès l’enfance par leur père sur les préceptes de la révolution, les sœurs sont contraintes de brûler leurs jouets occidentaux lors d’une grande purge. Chacune agira selon la caractérisation que la comptine fait d’elle, Ching-ling (celle qui aime son pays) jette sa poupée sans hésitation, Ai-ling (celle aimant l’argent) fait mine de faire de même mais dissimule un jouet et Mai-ling (celle voulant le pouvoir) obéit la mort dans l’âme. La première partie s’attarde sur la conviction révolutionnaire de leur père Charles Soong (Jiang Wen) rêvant d’une Chine libre et moderne et qui inculque une culture occidentale à ses filles et les envoie étudier aux États-Unis. Ching-ling (Maggie Cheung) va devenir la secrétaire puis l’épouse Sun Yat-sen (Winston Chao) révolutionnaire, père de la Chine moderne et futur premier président du pays.
Le scénario endosse une veine romanesque pour poser son discours, l’amour intime se mêlant à l’amour de la nation dans le choix sentimental de Ching-ling qui défie alors son père (retrouvant des réflexes patriarcaux loin de ses idées modernes) qui s’oppose à cette union. La réalisatrice Mabel Cheung magnifie totalement Maggie Cheung, basculant de cette esthétique de conte initiale (la scène où elle fuit le domicile familial dans une lumière bleutée et féérique) à la figure iconique à travers quelques péripéties grandioses comme lorsque Ching-ling traversera les lignes ennemies pour retrouver à bout de forces son époux, ou quand elle testera le premier avion de fabrication chinoise. Son identité de femme s’estompe donc progressivement pour devenir d’abord la fidèle compagne du grand homme, puis la gardienne de son héritage politique après sa mort prématurée. Le romanesque s’entremêle à nouveau à la grande Histoire pour May-ling (Vivian Wu) qui va épouser Tchang Kaï-chek (Wu Hsing-kuo), militaire chef de file des nationalistes du Kuomintang qui deviendra président après Sun Yat-sen. C’est une figure impulsive et autoritaire que May-ling épouse par pure ambition, sur les conseils de sa sœur aînée Ai-ling (Michelle Yeoh) qui y anticipe l’influence et le profit financier à en tirer, elle qui s’est mariée à un riche homme d’affaires. Tout en se montrant très didactique sur les soubresauts de l’histoire de la Chine à cette période, le film ne nous égare jamais en revenant constamment à sa dimension familiale. La guerre civile entre communistes et nationalistes est ainsi également un déchirement intime entre Ching-ling voyant bafoué l’héritage de Sun Yat-sen et May-ling dont l’époux écrase l’opposition.
La caractérisation négative de Tchang Kaï-chek opposée aux figures communistes plus nobles et anonymes semble être un raccourci et une concession mais la veine intimiste parvient à surmonter ces écueils. Mabel Cheung croise à merveille les moments d’agitation sociaux-politiques qui se jouent à la fois dans la rue, l’alcôve des bureaux politiques et donc dans le cadre familial sorti de sa neutralité. Le récit retombe sur ses pattes dans l’unité qui se fera au sein de la nation face à l’envahisseur japonais qui profite de ces tumultes internes. L’interprétation est grandiose, notamment une Maggie Cheung qui endosse pleinement l’aura et l’autorité de son personnage tout en maintenant une vraie vulnérabilité. Michelle Yeoh paraît faussement plus effacée mais fait figure d’éminence grise ambitieuse à l’image des intérêts financiers de son personnage, et Viviane Wu impressionne en gagnant en une scène magistrale ses galons d’héroïne nationale. Le scénario avec le choix de ces trois stars appuie ses élans féministes puisque dans la réalité, les sœurs Soong avaient des frères qui jouèrent un rôle majeur aussi dans les évènements mais qui sont totalement absents du film (tout comme d’autres figures historiques comme Mao Zedong).
Le budget pharaonique est bien visible à l’écran à travers une reconstitution soignée, des scènes de batailles spectaculaires et surtout la ferveur de ses séquences nationalistes. L’atterrissage d’un avion offre donc un moment épique qui associe l’union nationale, l’unité familiale et le pouvoir de l’argent (les possesseurs de voiture ayant été grassement payés par Ai-ling pour éclairer une piste de fortune et faire atterrir l’avion où se trouve sa sœur). Belle épopée donc malgré quelques raccourcis (qui seraient sans doute plus grossiers aujourd’hui avec la plus grande mainmise chinoise ou en tout cas l’autocensure dans la production hongkongaise) portée par trois magnifiques actrices.
Bonus :
Présentation de Arnaud Lanuque (11min30) qui fait un petit point historique afin de situer le contexte du début du film et les protagonistes que nous allons observer. Il replace les trois sœurs Soong dans l’environnement géopolitique contemporain de la Chine, Hong Kong et Taïwan, chacune incarnant ces trois tendances, angle déjà choisis par Tsui Hark ou Stanley Kwan dans Peking Opera Blues (1986) et Full Moon in New York (1989). Lanuque évoque les difficultés de Mabel Cheung face à la censure alors que cette dernière se resserre, et les longues négociations qui aboutiront à la coupe de 15 minutes du montage initial. Il replace le film dans la carrière de Mabel Cheung qui prend un autre tournant avec cette fresque tout en continuant à réfléchir à l’évolution de la Chine.
Entretien avec Mabel Cheung (41 min) qui s’ouvre sur une reprise d’une partie de l’entretien avec la réalisatrice vu sur Eight Taels of Gold et Echoes of the Rainbow où elle évoque ses débuts, ses premiers émois cinématographiques. Elle explique sa motivation à réaliser The Soong Sisters par le fait de signer, dans le contexte de la rétrocession, une œuvre importante sur l’histoire de la Chine alors assez méconnue par une population ayant grandi dans une colonie britannique. Elle voit dans les trois sœurs des figures mythiques aussi importantes pour la Chine que les Kennedy aux États-Unis. Elle revient sur les recherches approfondies nécessaires qui prirent cinq ans afin d’avoir un script satisfaisant. La réalisatrice explique le choix de ses trois stars féminines, la manière dont Maggie Cheung sauva la production après le désistement de l’actrice initiale, la volonté de Michelle Yeoh de s’extraire du cinéma d’action avec ce rôle. Le contexte d’alors semblait plus permissif pour autoriser un tel film quand aujourd’hui un tel sujet historique serait produit directement en Chine plutôt qu’à Hong Kong. D’autres aspects sont évoqués comme les costumes, la bande-originale, la logistique du tournage à gérer…
Entretien avec Alex Law (13 min), scénariste et époux de Mabel Cheung. Le début recycle également le bonus de Eight Taels of Gold avant de parler plus directement de The Soong Sisters. Il aborde les difficultés à financer le film, ses choix de scénariste sur les éléments à garder dans le film et l’équilibre à trouver avec la réalité historique, puis la manière dont celle-ci pouvait être censurée par la Chine. Il estime que 28 minutes du film furent coupées et espère un jour voir sortir une version longue (le Japon ayant bénéficié d’un montage plus long).
Entretien avec Matthew Tang (31 min) aujourd’hui producteur à succès et assistant-réalisateur sur The Soong Sisters. Il explique la manière dont il fut impliqué sur le film, les difficultés notamment climatiques durant le tournage, la chance de tourner dans certains lieux historiques réels en Chine. Il parle des limites des équipes chinoises d’alors dans la rapidité et la prise de décision, et certaines injustices envers les petites mains dans une industrie cinéma chinoise pas encore pleinement professionnalisée. Il revient sur la manière dont Mabel Cheung et Alex Law travaillaient ensemble, les échanges avec les acteurs et les ajustements du script sur place, vantant notamment l’exigence de Jiang Wen, lui-même venant de passer à la réalisation avec In the Heat of the Sun. Il est admiratif aussi de Vivian Wu, sa compréhension du script et sa vue d’ensemble quand Michelle Yeoh et Maggie Cheung semblaient davantage centrées sur leurs personnages. Rétrospectivement, il trouve avec franchise le script initial plus réussi que le film final. Un entretien intéressant qui apporte un regard de l’intérieur bienvenu après les réflexions plus artistiques des autres interviews.
Justin Kwedi
The Soong Sisters de Mabel Cheung. Hong Kong. 1997. Disponible en Blu-Ray chez Spectrum Films en novembre 2023.