VIDEO – Eight Taels of Gold de Mabel Cheung

Posté le 29 décembre 2023 par

Eight Taels of Gold est une œuvre poignante venant conclure la trilogie de l’exil au sein de la filmographie de Mabel Cheung, et offre une de ses plus belles prestations dramatiques à Sammo Hung en Chinois redécouvrant ses racines.

Après 16 ans d’exil aux Etats-Unis où il exerça le métier de taxi, Slim décide de retourner en Chine auprès de sa famille, et constate les changements arrivés durant son absence. Ce retour est aussi l’occasion de retrouvailles avec la belle Jenny…

Eight Taels of Gold vient conclure en apothéose la trilogie de l’exil de Mabel Cheung après Illegal Immigrant (1985) et An Autumn’s Tale (1987). On retrouve ici à travers Slim (Sammo Hung) une figure de migrant chinois voisine du Ching Yung-cho de Illegal Immigrant ou du Chow Yun-fat de An Autumn’s Tale. Après 16 années d’exil et de labeur, il dispose d’une carte verte et travaille à son compte en tant que taxi à New York. Mabel Cheung inverse ainsi la proposition des deux précédents films qui évoquaient les premiers pas et l’intégration difficile sur cette terre d’accueil en effectuant le chemin dans l’autre sens. Slim a décidé de retourner voir sa famille en Chine et l’histoire dépeint l’expérience de ces retrouvailles. Les premières scènes plutôt comiques aux Etats-Unis, puis celles du voyage et de l’arrivée en Chine, nous éclairent en partie sur le statut de Slim. Son existence en Amérique n’est tangible que dans son métier de taxi et son identité chinoise puisque l’on voit qu’il a encore des lacunes en anglais et (parce) qu’il fréquente surtout des membres de sa communauté (même problématique que les héros des précédents films). Étant venu chercher une forme de liberté et relative réussite matérielle à l’étranger, cela semble lui suffire mais tout n’est pas aussi simple.

On s’amuse du décalage de Slim dans les manières et le rapport aux autres, notre héros se montrant parfois explicitement ou involontairement condescendant dans ce contexte de la Chine rurale de l’ère Deng Xiaoping. Comme nombre de migrants revenant au pays, Slim souhaite affirmer sa réussite par son apparat et les biens qu’il va offrir à sa famille. La réalité sociale le ramène à ce qu’il a quitté, notamment le déménagement des siens à la campagne pour permettre à sa sœur d’accoucher discrètement de son second enfant (la politique de l’enfant unique régnant encore). Le voyage qu’il va effectuer de la ville à la campagne pour rejoindre sa famille va progressivement le délester de son snobisme, ses afféteries, pour révéler sobrement sa mélancolie. Parti précipitamment à l’adolescence, puis pris dans sa survie quotidienne à l’étranger, il n’a envoyé qu’une lettre en 16 ans à ses parents. La culpabilité et les doutes l’assaillent tout au long du voyage semé d’embûches plaisamment picaresques où il va trouver un appui auprès de sa cousine Jenny (Sylvia Chang) qui le guide. Celle-ci, fiancée à un riche Chinois établi aux Etats-Unis, s’apprête à migrer à son tour. Elle va réenchanter avec tendresse et humour le retour de Slim sur ses terres au fil des péripéties, tandis qu’il lui offre une fenêtre sur la vie qui l’attend. Les sentiments naissent peu à peu entre eux et font émerger un paradoxe. Slim livré à lui-même à l’étranger retrouve une chaleur et des sentiments qui ne lui avaient auparavant pas suffi à rester, tandis que Jenny est sous le charme de ce cousin qui est un bien moindre parti que la vie confortable qui se trouve devant elle. L’exil n’a pas suffi à l’un et ne suffira probablement pas à l’autre, puisque c’est avant tout le confort matériel qui était en ligne de mire pour chacun d’eux.

Les scènes de communion familiale sont merveilleuses de justesse, les retrouvailles tardives surmontant toute rancœur. Alors que Slim est hanté par toutes les frictions qui ont précédé son départ d’antan, il constate que ce sont des évènements largement oubliés par sa sœur et ses parents simplement heureux de le revoir. Mabel Cheung parvient à susciter l’émotion avec un rien, tel le chien de Slim mourant paisiblement après avoir revu et reconnu son maître 16 ans après alors qu’il n’était qu’un chiot. La réalisatrice offre un parfait mélange de pittoresque et d’émotion en faisant redécouvrir ses racines au héros, le plus souvent par la comédie (les villageois offrant de la volaille à Slim en échange d’un billet), même si une forme de spleen s’instaure peu à peu. Ce qu’ils ont été ou vont chercher à l’étranger est aussi ce qui sépare Slim et Jenny, amoureux silencieux mais soumis à la tradition. Slim est sollicité par sa famille pour épouser une Chinoise qu’il élèvera socialement, quand Jenny a déjà été choisie dans ce but.

Toute la dernière partie offre un contraste entre la tristesse des personnages prochainement séparés et l’atmosphère festive des préparatifs de mariage, riche en rites bariolés dans ce cadre rural. On retrouve l’une des grandes qualités notamment de An Autumn’s Tale, à savoir la grande pudeur de Mabel Cheung dans l’expression des sentiments. Aucun rebondissement grossier, aucun dérapage mélodramatique dans les situations, où le jeu des acteurs ne vient pas forcer le trait des émotions. Les silences, regards, gestes retenus en diront toujours plus que les manifestations explicites pour nous faire comprendre ce qui se joue et c’est par son approche visuelle que la réalisatrice nous bouleverse. C’est à ce stade (avant la fastueuse reconstitution historique de The Soong Sisters) son œuvre la plus somptueuse formellement. La première partie nous offre des panoramas absolument magnifiques de la campagne chinoise, perdant ou isolant les personnages à la fois familiers et en pleine redécouverte de cet environnement.

La beauté de la nature devient source d’épanouissement ou d’inquiétude (le printemps et l’arrivée des feuilles de cerisiers signifiant le retour du fiancé de Jenny), et la photo de Bill Wong de façonner des écrins qui subliment les sentiments réprimés. On pense à la scène de baiser avorté où les personnages se font face dans une nuit teintée des éclairages mauves de feux d’artifices, une bulle éphémère laissant entrevoir ce qui aurait pu être. La bande-originale, entre instruments contemporains envoûtants et chansons chinoises immersives, participe aussi à cet enchantement et ce spleen, notamment la poignante scène finale où Slim suit à vélo le bateau de Jenny s’éloignant définitivement de lui. Sammo Hung dans l’un de ses rares rôles non martial révèle toute l’étendue de son registre, tout en nuance sensible et Sylvia Chang compose aussi un merveilleux personnage, devant ou derrière la caméra, elle ne brille jamais autant que dans le mélo. Un vrai accomplissement pour Mabel Cheung qui signe là son chef-d’œuvre.

Bonus

Présentation du film par Arnaud Lanuque (12 min), spécialiste du cinéma hongkongais habitué des éditions Spectrum Films. Il présente la réalisatrice comme faisant partie d’une seconde Nouvelle Vague hongkongaise apparue à la fin des années 80 aux côtés de Stanley Kwan, Clara Law, Wong Kar-wai. Il dépeint le profil de la réalisatrice, voisin des ténors de la première Nouvelle Vague (études à l’étranger et retour à Hong Kong), le duo créatif composé avec son époux Alex Law et son thème de prédilection de l’exil avec Illegal Migrant et le célébré An Autumn Tales. Eight Taels of Gold est une troisième variation sur ce thème qui en inverse la dynamique par rapport aux précédents films, et Arnaud Lanuque rapproche ce questionnement sur l’identité hongkongaise de l’imminence de la rétrocession. Il souligne la singularité du film pour l’époque d’être filmé en Chine continentale, notamment le risque commercial par rapport au marché de Taïwan, pays en conflit ouvert avec la Chine. Un choix rendu plus difficile encore par l’année de tournage, 1989, celle des évènements de Tian’anmen qui confrontera Mabel Cheung à la censure chinoise. Enfin, il vante la prestation dramatique de Sammo Hung, montrant l’étendue de son registre hors du cinéma martial.

Une interview de la réalisatrice Mabel Cheung (21 min) dont le début où elle évoque sa carrière et ses débuts est repris en partie de celle vue sur Echoes of the Rainbow également édité par Spectrum Films. Elle évoque ensuite plus spécifiquement Eight Taels of Gold, pensé comme une conclusion de sa trilogie de l’exil. Elle considère les personnages des trois films comme des variations, et le retour en Chine de ce troisième film comme une redécouverte pour eux de leurs racines. Elle justifie le choix de Sammo Hung après l’avoir côtoyé sur Painted Faces de son époux Alex Law et avoir apprécié ses qualités d’acteur dramatique. Elle s’amuse des différents aléas du tournage en Chine, des attitudes pittoresques des locaux et de l’évènement de la production dans ce cadre rural. Cette singularité du lieu influence la tonalité du film oscillant entre drame et comédie, l’ambiance se faisant peu à peu plus grave. Eight Taels of Gold fut le premier film tourné en Chine continentale autorisant l’emploi d’acteurs étrangers, et le fait qu’il arrivait au moment où Taïwan relâchait son véto de tourner en Chine. Elle revient sur la manière dont les évènements de Tian’anmen affectèrent la production, interrompant le tournage à une semaine de sa fin et l’attente que les choses se tassent avant de retourner en Chine.

Un entretien (10 min) avec le regretté Alex Law (disparu en 2022), coscénariste du film et compagnon de Mabel Cheung. Il raconte ses premiers émois cinématographiques, ses études à New York. Il développe ensuite sur l’approche voulue dans Eight Taels of Gold, l’originalité du film quant à sa problématique du retour en Chine. Tout comme Mabel Cheung, il se souvient avec humour des conditions de tournage et de l’attraction qu’il constitua pour les locaux.

Une bande-annonce (1min48) spécifique à l’édition Blu-Ray mais capturant bien l’atmosphère feutrée du film.

Justin Kwedi.

Eight Taels of Gold de Mabel Cheung. Hong Kong. 1989. Disponible en Blu-Ray chez Spectrum Films le 17/11/2023.

Imprimer


Laissez un commentaire


*