Après Nezha Reborn, Ji Zhao continue de créer ce qui semble être un univers cinématographique inspiré des figures mythologiques chinoises, en animation. Ce deuxième opus de New Gods, intitulé La Guerre des Dieux en France (New Gods: Yang Jian à l’international), est donc une nouvelle interprétation, une nouvelle incarnation, du personnage de Yang Jian/Erlang Shen.
Dans sa logique d’une fresque cinématographique, Ji Zhao conçoit ce deuxième opus comme une origin story du personnage de Yang Jian. Ce qui nous porte, c’est la manière dont ces personnages sont réincarnés au cinéma. Depuis les débuts du cinéma, on assiste à des incarnations et des réincarnations récurrentes des personnages des Pérégrinations vers l’Ouest ou de l’Investiture des dieux. En 1927, le cinéaste Dan Duyu adaptait une partie des Pérégrinations vers l’Ouest dans Cave of The Silken Web et nous offrait la première incarnation de Sun Wukong au cinéma. Près d’un siècle plus tard et des dizaines voire des centaines d’adaptations/interprétations/références plus tard, c’est sous la forme du cinéma d’animation que cette partie de la mythologie chinoise revient enivrer l’imaginaire d’une nouvelle génération. Dans Nezha Reborn, le cinéaste faisait le choix d’une relecture cyberpunk dans un Shanghai au cœur d’une lutte pour l’eau dans un monde où la catastrophe écologique a déjà eu lieu. Cette fois, c’est une sorte d’univers pirate et steampunk qui accueille la nouvelle forme de Yang Jian dans le royaume des cieux. En réalité, ce sont les deux faces d’un même univers, car l’Empire du Milieu est une appellation verticale et mythologique de la Chine. Elle implique qu’un empire des cieux et un empire souterrain existent, et fonctionneraient en miroir, d’où la coexistence des personnages sur des plans différents d’un même monde. L’animation permet cette liberté de figuration de paysages, d’architectures et d’espaces singuliers qui sont les choses qui rendent des enjeux troubles ou abstraits accessibles. Si les formes longilignes propres à l’animation chinoise depuis quelques années ne font plus réellement événement, les fusions de décors traditionnels et futuristes autant que la (re)création de lieux connus des amateurs de mythologies chinoises en tout genre, sont assez passionnantes à voir. On se laisse bercer par ces visions étranges, comme dans une sorte de visite d’un lieu familier qui ne cache pas son altérité cependant. L’esthétique globale rend plus fluide les situations inhérentes à ces figures mythologiques, et aux situations, qui sont attendues, convenues, et reconnues.
Il y a un plaisir à retrouver ces échos et ces fantômes, d’images passées ou des incarnations précédentes au cinéma ou dans d’autres arts. Un peu comme dans les mythologies indiennes au cinéma, il y a un charme enfantin à suivre des variations esthétiques sur des figures omniprésentes dans les productions d’images de ces deux cultures semblables sur ce genre de considération. Et comme il est entendu de manière tacite que nous savons ce qui va se passer, le caractère onirique du geste esthétique est d’autant plus appréciable. Après tout, ces grandes mythologies sont, souvent, des tentatives de cartographie de la psyché, voire autant de l’univers que de la conscience une fois que l’on fait attention aux allégories, métaphores et analogies qui les constituent. Ainsi, les formes qui semblent simples de l’animation, peut-être parfois simplistes, de Ji Zhao, rendent disponibles aux enjeux beaucoup plus vertigineux de ses réincarnations. Dans Yang Jian, comme dans Nezha Reborn, les combats se font de manière abrupte. On pourrait soupçonner que Ji Zhao et son équipe créatrice veulent éviter la censure en ne mettant pas l’accent sur la violence des affrontements sur la durée ; ou qu’il s’agit également d’une vision commerciale pour que les œuvres soient vues par le plus de monde possible. Mais il y a également une cohérence propre à ses figures et aux philosophies qu’elles incarnent. L’affrontement final de Yang Jian se déroule en quasiment un échange après une montée en tension d’une dizaine de minutes. Ce qui est fascinant est justement cette montée en tension, cet enchaînement de révélations qui sont le véritable affrontement. C’est bien ce que mettent en avant les combats de wuxia et de fantasy chinois – pour ceux qui ont compris ce qu’ils regardent depuis près de 60 ans – le combat se déroule toujours dans l’esprit du combattant avant d’exister dans le plan physique. En réalité, la matière des affrontements au cinéma, aussi bien celui de Hong-Kong que celui du continent récent, conclut évidement que pour les spectateurs comme pour les combattants, les plans d’existences se confondaient dans l’action. C’est là que Ji Zhao s’avère pertinent dans son final psychédélique qui montre la violence physique comme la confirmation d’une victoire mentale. C’était déjà le cas dans A Touch of Zen de King Hu. Plus audacieux, c’est que très justement, il n’y a pas de distinction entre le physique et le spirituel, c’est là le cœur du mouvement et donc de l’action. Certes, cela ne prend pas les proportions vertigineuses d’une telle abstraction, mais Yang Jian a au moins le mérite de ne pas rompre avec cette subversion constamment renouvelée au cœur des mythologies chinoises. Nezha devait renouer avec la tradition pour affronter un futur corrompu, en retrouvant sa place dans l’univers. Yang Jian doit s’incarner par la découverte qu’au cœur de ce qui semble être immuable, un mythe fondateur, se cache un mensonge. Le film autant que le personnage vont donc incarner cette simple vérité, il n’y a rien d’immuable si ce n’est le changement. Petite réincarnation pour une grande ambition.
Kephren Montoute.
La Guerre des Dieux (New Gods: Yang Jian) de Ji Zhao. Chine. 2022. En salles le 23/08/2023.