Yaksha, un démon en mission est le second long-métrage de Na Hyun (The Prison). Sorte d’ersatz à la sauce sud-coréenne de la franchise Mission impossible et porté par le duo d’acteurs Sol Kyung-gu (La Mémoire assassine) et Park Hae-soo (La Traque), le film qui a fait coulé beaucoup d’encre quant à son statut hybride et déroutant réussit-il le pari de jouer dans la même cour qu’Old Boy ou Memories of Murder ? Réponse sur Netflix !
Chef impitoyable d’une équipe de forces spéciales, Yaksha se lance dans une mission périlleuse qui le confronte à une multitude d’espions et d’agents. Victime de nombreux pièges et trahisons, il prend à contrecœur le parti d’un inspecteur moraliste envoyé de Séoul.
Surnommé Yaksha en référence à un esprit dévoreur d’hommes, un chef d’une équipe d’agents secrets se voit donc confier une mission périlleuse dans une ville remplie d’espions iconoclastes. Polar plastiquement très travaillé (environnements, pluie battante, étalonnage sombre et étouffant par exemple), le film est de prime abord complexe à envisager quant à ses enjeux parfois confus (ou inutilement complexes). En réalité le « gardien de la foi bouddhiste » est une sorte de John Wick (ou Inspecteur Harry) incontrôlable, brutal et déterminé, soupçonné d’auto-destruction par ses pairs eu égard à ses méthodes expéditives et à son apparente absence de retenue. Dans la mégalopole magnifiée qu’est Shenyang (la ville d’un peu moins d’une dizaine de millions d’habitants au nord est de la Chine est ici particulièrement bien mise en valeur), le réalisateur choisit la ville pour en faire un théâtre de l’espionnage entre pays asiatiques frontaliers. N’étant pas sans rappeler le très réussi Hard Day de Kim Seong-hoon, le film plonge dès l’entame le spectateur dans une intrigue à tiroirs parfois déconcertante.
À la vie, à la mort
Côté intrigue et pour résumer au mieux et sans fioritures : un procureur mis au placard mais (car ?) intègre au nom de Ji-hoon (Park Hae-soo de Squid Game) débarque à Shenyang pour enquêter sur les méthodes peu conventionnelles d’un agent secret sud-coréen, barbouze du NIS : Ji Kang-in (Sol Kyung-gu). Entre courses-poursuites, fusillades, faux semblants et combats chorégraphiés avec un minimum de punch, la ville devient un nid de frelons et le magistrat est là pour y mettre enfin un peu d’ordre. Classique à n’en point douter dans son exposition et récit (une agence de voyage quelconque se meut ici en couverture pour une section des forces spéciales), le film est ici orienté vers la psyché de leur chef et sa vision de la moralité toute personnelle. Pour lui, la fin justifie visiblement les moyens : chantage, torture, assassinats sommaires, dissimulation de preuves ; la déontologie n’est malheureusement pas exposée avec la plus grande des finesses… Un grief récurrent que le spectateur habitué aux œuvres issues du pays numéro 1 en terme de polars fera de lui même.
Park Hae-soo campe donc un sénateur avide de justice et luttant dans un fossé empli de vipères contre les tentaculaires contaminations d’une fourmilière labyrinthique que sont la corruption et autres entraves à son idéologie. Les contagions internes (n’étant pas sans rappeler une autre de ses inspirations, le bijou Infernal Affairs) mettent en effet et sans relâche des bâtons dans les roues de l’idéaliste aux principes inébranlables. Les enjeux sémantiques des actes de chacun mettent eux, tout le film durant, les certitudes à rude épreuve. Plastiquement très abouti (les grandes villes du continent asiatique, filmées la nuit parmi les néons, les écharpes de lumière ou une nuit battante font toujours mouche), le film n’est que rarement mis en défaut en terme de mise en scène. Autant ses enjeux scénaristique sont parfois flous, autant on ne se lasse pas de ces errances nocturnes bien que déjà vues mille fois. Sans jamais arriver à la cheville des métrages précités (et trop rév(f)érencés), Yaksha n’est jamais indigeste car l’implication semble transpirer dans de nombreux plans. La direction d’acteurs, le travail du chef opérateur sont ainsi autant de tour de force à saluer, notamment pour un second long métrage.
Malgré une mise en scène trop classique, voir timide, une lecture des combats à mains nues ne jouant jamais dans la même cour que The Raid ou un montage sans éclat particulier : le film assume en réalité son statut de série B d’action poisseuse et un poil hard-boiled. Yaksha ne réussit toutefois jamais à surpasser son statut de film de gangs – espions – pourris. Le cul entre deux chaises, on cherche sans cesse le second souffle, la surprise, l’élément déclencheur qui nous mettra K.O ou le whodunit inattendu. En vain.
La binarité du propos est par ailleurs particulièrement embarrassante. La fin justifie les moyens contre la justice qui n’a de père (pair) que l’homme juste… Difficile de faire plus planplan… Une dichotomie qui ne joue jamais sur la nuance donc, un constat dommageable tant le combat contre la corruption et le crime, de chaque côté du miroir (le procureur intègre et le chef des services secrets prêt à tout) aurait pu trouver un propos bien plus impactant en jouant sur la frontière mince de la lutte contre le mal. Une nuance in fine trop peu effleurée pour devenir passionnante, à l’image même de l’enjeu principal : une exfiltration.
Un constat évident s’impose donc sur ces deux bras armés de la balance : le film méritait ambiguïté, subversion ou contradictions pour les deux protagonistes. Deux hommes au cœur du récit certes mais ne faisant jamais oublier les partitions très convaincantes de trois actrices au charme indéniable et à la justesse bienvenue. En effet, Jin Kyung (Lucky Strike), Yi Ti Yao (More Than Blue) ou Lee El (Heaven: To the Land of Happiness) méritent tellement mieux que ces rôles de seconds couteaux tant leur présence à l’écran est notable. Une constatation amère pour un autre acte manqué d’un réalisateur qui a fait le choix d’une aventure convenue, sans jamais chercher à mettre les pieds dans le plat ou renverser un tant soit peu les codes du film de gangsters.
Loin de devenir une nouvelle référence en la matière, Yaksha, un démon en mission demeure toutefois une réflexion intéressante sur la notion de justice et des imbrications politiques, sociétales et juridiques d’une société corrompue ou incarnée par des hommes/femmes jusqu’au-boutistes. Incarnation ou mégalomanie du bras vengeur de la justice, justification des moyens par hiérarchisation des fins, magnificence de l’intégrité et de la morale ou rôle assumé pour celui qui ne se salira jamais les mains sont ainsi autant de sujets de controverses mais éminemment pertinents. Le traitement réservé au film n’est donc jamais un porte étendard réflexif mais vaut la peine d’être entendu et respecté. Ce n’est déjà pas si mal pour qui le regardera avec un minimum de bienveillance.
Jonathan Deladerrière
Yaksha, un démon en mission de Na Hyun. Corée. 2022. Disponible sur Netflix.