A l’occasion de la sortie de l’ouvrage sur le Cinéma japonais contemporain, retour sur Les actrices chinoises, précédent livre des copains de chez écrans édition. Par Anel Dragic.
Inutile de tourner en rond, le livre dirigé par Damien Paccellieri se définit assez bien par son titre, et pour ceux qui souhaiteraient des précisions, le sous-titre vous aiguillera : « Du Shanghai des années 1930 à la Chine d’aujourd’hui, portraits de femmes exceptionnelles ». Au menu donc, des femmes (jolies), des films (bons), le tout porté par des textes et des photos agréables à lire autant qu’à admirer. La tâche aurait pu être ardue, l’entreprise encyclopédique, mais Les actrices chinoises préfère se dévoiler comme un ouvrage abordant sous différents angles les muses du cinéma chinois. Malgré tout, chaque partie est là pour constituer un fragment retraçant chronologiquement et en filigrane l’Histoire du cinéma chinois. Les différentes facettes évoquées nous parlent non pas seulement des actrices, mais aussi plus généralement de la place de la femme dans le cinéma chinois et dans la société chinoise plus généralement.
Le premier chapitre, 1920 à 1940, Profession : actrice, vie carrière et mort des actrices chinoises, que l’on doit à Anne Kerlan, revient sur une parenthèse révolue du cinéma chinois alors basé à Shanghai, et présente des actrices à la fois icônes à l’écran et victimes à la ville, comme le fût la tragique Ruan Ling Yu. Vient ensuite 1950 à 1960, Hong Kong et le deuxième âge d’or des actrices chinoises, signé Christophe Falin, qui s’intéresse aux divas du cinéma de ce qui était alors encore une colonie britannique. Quel que soit le genre où elles brillent (huangmei diao, arts martiaux, drames), ces actrices sont présentées comme des femmes de premier plan, volant souvent la vedette aux acteurs. Damien Paccellieri s’occupe du chapitre suivant : 1950 à 1980, Imagerie féminine en république populaire du Chine. L’auteur s’intéresse ici plus aux personnages qu’aux actrices à proprement dire, évoquant les exploits de ces femmes héroïques ou martyres, symboles de la nation. Ces trois chapitres font la grande force de l’ouvrage, d’une part en évoquant un patrimoine cinématographique moins connu que les parties plus récentes, berçant le lecteur dans une imagerie vintage très appréciable, d’autre part car ils constituent à eux seuls la moitié du livre en termes de volume, donnant au reste l’impression d’être traité de manière trop succincte.
Viennent ensuite deux chapitres consacrés au cinéma hongkongais récent. Arnaud Lanuque, confrère de HKcinémagic s’intéresse pour sa part aux déviances du métier d’actrices dans un contexte en crise au travers de son chapitre, 1980 à 2000, La catégorie III : Des actrices entre extase et souffrance. Afin de s’écarter des sentiers battus (on a déjà le bouquin de Julien Sévéon si l’on s’intéresse au genre), l’auteur analyse plus profondément la condition des actrices de catégories, en appuyant également le rapport de la population hongkongaise à la représentation du sexe. Suit 1990 à aujourd’hui, Les actrices de Wong Kar Wai, que l’on doit à Damien Paccellieri, une étape incontournable dans la thématique abordée puisqu’aujourd’hui Wong Kar Wai est peut-être considéré comme LE réalisateur des actrices chinoises (et il le restera tant que la critique internationale boudera des metteurs en scène tels que Stanley Kwan). Disposant de très belles photos, le chapitre nous présente biographiquement chacune des actrices en évoquant leurs rôles dans la filmographie du cinéaste. On regrettera cependant le manque d’un véritable angle d’attaque, donnant le sentiment que cela manque un peu de fond en comparaison des autres parties proposées.
Les derniers chapitres reviennent à la république populaire de Chine évoquant sa transformation depuis sa libéralisation au cours des années 1980. 1990 à aujourd’hui, Zhao Tao : Singularités d’une femme chinoise en cinq actes, d’Antony Fiant, évoque la muse en Jia Zhang Ke ainsi que ses rôles. Suit un Entretien avec Zhao Tao par Bastian Meiresonne (que l’on ne présente plus), qui complète avec intérêt le chapitre précédent. Pour finir, Actrices d’une jeunesse : Cheminements vers l’âge adulte, par Damien Paccellieri, fait un peu office de conclusion mais également d’ouverture sur un cinéma en phase de construction. Dommage que l’analyse soit trop brève car elle ouvrait de vraies questions de fond sur l’état du cinéma chinois actuel.
Les actrices chinoises évoque avec passion tout un pan cinématographique mondial au travers de ces femmes. Si l’idée peut paraître racoleuse, l’entreprise réussit son objectif de laisser entrevoir au lecteur ce que peut impliquer d’être actrice en Chine, lors des différentes époques. Un bémol en revanche : on regrettera l’absence du cinéma taïwanais, au profit d’une analyse centrée uniquement sur la Chine continentale et Hong Kong. Certes l’objectif n’était pas une encyclopédie, mais la manière de retracer l’Histoire de la Chine et de son cinéma aurait gagnée en diversité, d’autant que de nombreuses actrices taïwanaises tissent d’étroits liens avec l’industrie du cinéma hongkongais. Certains cinéastes tels qu’Edward Yang étaient tout indiqués pour évoquer les actrices locales et l’évolution du statut de la femme dans la société taïwanaise. En attendant la sortie du Cinéma japonais contemporain (qui devrait être disponible à l’heure où vous lisez ces lignes), vous pouvez toujours vous pencher sur cet ouvrage qui vous fera passer un bon moment en charmante compagnie.
Anel Dragic.
Les Actrices chinoises est édité par écrans édition et disponible en commande sur leur site ici.