FFCP 2018 – Entretien avec Lee Hwan pour Park Hwa-young

Posté le 18 novembre 2018 par

Chaque année au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), nous avons la possibilité de voir dans la sélection un film indépendant sur la jeunesse tumultueuse coréenne, genre qui prolifère depuis l’excellent Tears de Im Sang-soo sorti en 2000. Fugue, prostitution, drogue, petits larcins, violence sont les ingrédients qui composent un genre qui dresse un portrait cru et alarmant de ces jeunes en perte de repaires. De nombreux talentueux acteurs ont fait leurs débuts dans ces films et se sont fait remarquer dans des prestations souvent à fleur de peau. Lee Hwan pour son premier long métrage ne déroge pas à la règle et nous livre un film coup de poing et révèle la jeune Kim Ga-hee dans le rôle titre : Park Hwa-young.

Pouvez-vous vous présenter brièvement et nous dire comment vous en êtes venu à la réalisation ?

J’ai commencé en tant qu’acteur en Corée, j’ai tourné notamment dans le film Breathless de Yang Ik-joon. Je ne souhaitais pas réaliser un film par pur amour du cinéma, ce n’est pas du tout ça.  Je sortais d’une période très difficile des suites d’une relation amoureuse douloureuse. Il fallait que je passe mes nerfs sur quelque chose, que j’exprime mes sentiments et mes émotions, et c’est dans le cinéma que j’ai pu le faire. C’est ainsi que je me suis lancé dans la réalisation de courts métrages, puis j’en suis arrivé à faire ce film.

Pourquoi avoir choisi un tel sujet ?

Personnellement, j’aime beaucoup les films qui traitent de l’adolescence d’un point de vue sociétal, je pense que je suis quelqu’un qui aime les gens et les relations humaines. J’avais réalisé auparavant un court métrage qui peut être considéré aujourd’hui comme un préquel de Park Hwa-young. On peut dire que dans ce premier essai je me suis concentré sur la composition, la structure du film. Dans mon long métrage, je me suis concentré sur les personnages. Je me suis basé sur mon vécu, quand j’étais moi-même adolescent, cela fait une vingtaine d’années maintenant. A l’époque il existait déjà ce type de situations et de problèmes, et dans mon entourage il y avait une jeune fille qui vivait dans les mêmes conditions que les jeunes de mon film et notamment Park Hwa-young. Je m’en suis beaucoup inspiré pour créer le personnage principal. Durant l’écriture de mon histoire j’ai fini par croiser de nombreux jeunes qui vivaient dans les mêmes conditions. Cela m’a aidé à raconter le vécu de ces personnes qui vivent un peu à l’écart de la société, qui sont un peu marginaux. Ce film est enveloppé de cette image d’adolescence et de génération perdue, mais je ne suis pas d’accord avec cela. Il s’agit selon moi d’un film qui parle plus de la nature et des relations humaines, mais aussi du symbole de la famille et du rôle de la mère. J’imagine que son rôle est un peu différent en France qu’en Corée. Chez nous, c’est très spécifique, et c’est sur cette symbolique que je souhaitais insister.

Cette Park Hwa-young existe. Du coup comment, avez-vous développé ce personnage et lui avez-vous donné vie au cinéma ?

Quand j’avais 18 ans en Corée, j’étais en terminale et j’avais une camarade qui vivait dans les mêmes conditions que le personnage de Park Hwa-young. A l’époque je m’en foutais d’elle, ce n’était pas quelqu’un à qui je m’intéressais, j’étais un peu comme certains de ces personnages dans le film, ceux qui ferment les yeux. Avec le recul, je me suis dit que cette personne devait avoir comme nous, des amis, une famille, son histoire, et je me suis posé la question de comment en est-elle arrivée là ? C’est ainsi qu’a germé le personnage. Il faut savoir qu’aujourd’hui en Corée, les crimes liés aux adolescents atteint des records. Ils font toutes les conneries possibles et imaginables. Pour le film j’ai codifié et actualisé au goût du jour les crimes perpétrés par les jeunes. Afin d’étoffer mon film, j’ai fait pas mal d’interviews de jeunes fugueurs, je me suis inspiré entre autres de leurs diverses expériences. Je ne pense toujours qu’il s’agit d’une histoire qui se limite aux adolescents. Je pars du principe qu’il s’agit d’un film sur les laissés pour compte. Dans le film, Park Hwa-young a 18 ans, elle est jeune, mais cela aurait très bien pu concerner de jeunes adultes mis à l’écart.

 

Comment s’est passé votre rencontre avec vote actrice Kim Ga-hee ? Et comment l’avez-vous dirigée ?

Il s’agit de mon deuxième film avec elle, comme je vous l’ai signalé auparavant, j’avais réalisé une sorte de préquel en court métrage. Etant donné que nous avions déjà travaillé ensemble, je ne souhaitais pas qu’elle joue dans mon nouveau film. Paradoxalement, elle est venue me voir dans les bureaux de la société de production dans laquelle je travaillais. Je lui ai proposé de lire des lignes de dialogues pour voire comment elle avait progressé. J’étais très étonné parce qu’elle était hyper nulle. Je me suis demandé ce qui avait bien pu se passer entre temps. Et du coup le soir en rentrant j’ai regardé les images sur la caméra et je me suis rendu compte que sa prestation était normale puisqu’elle n’avait pas eu le temps de préparer son rôle et de l’assimiler. Et avec le recul, je voyais chez elle des expressions de visages que je recherchais et qui m’intéressaient beaucoup. J’ai fini par lui dire qu’elle pouvait intégrer le casting, elle a passée les cinq étapes durant trois mois et elle a au final été retenue pour le rôle. Nous avons travaillé durant trois mois sous la forme d’ateliers de répétition, une sorte d’internat nous a été fourni par la société de production. Nous avons pu travailler en groupe, nous avons beaucoup discuté, échangé sur nos sentiments. Ce qui était intéressant comme exercice était de comment élargir le champ d’émotions de chaque personnage. Une fois que le tournage a débuté, il était très difficile de jouer sur les émotions. Il y a une scène en particulier sur les trois que nous avons travaillé une journée entière, sous la forme d’un atelier. Il s’agit de la scène au café au cours de laquelle le personnage de Park Hwa-young doit s’excuser auprès des 12 autres jeunes de la bande. L’acteur principal Lee Jae-kyoon a proposé quelque chose, et je lui ai dit de tenter. Il a fait en sorte que Park Hwa-young s’excuse personnellement à chaque personne sur le plateau. Cela a duré pas moins d’1h30. Je ne m’y attendais pas du tout. Et aucun des personnages n’a accepté les excuses. A chaque fois elle se faisait rembarrer. A la fin l’actrice Kim Ga-hee a craqué, elle a pleuré. Au final c’est ce que je recherchais comme émotions. Pouvoir aller jusqu’à l’extrême. Je leurs laisse l’occasion de s’exprimer comme ils le sentent, tant qu’ils vont droit au but. C’est ce qui est le plus important pour moi et c’est ce que j’essaie de mettre en exergue dans ce film.

Comment représenter une telle violence sans tomber dans la complaisance ?

On peut dire que cela provient des caractéristiques de chaque personnage. Je ne voulais pas que la violence soit exprimée pour choquer les spectateurs. Je voulais que cette violence aussi bien physique que psychologique soit montrée de manière un peu indirecte. Dans ce cas particulier, il s’agit d’une personne qui est mise à l’écart dans un groupe. La question que je me suis posé est comment, en tant qu’individu, en tant qu’être humain, je peux me sentir libre alors que dans le groupe auquel j’appartiens il doit y avoir un bouc émissaire, quelqu’un qui va devoir porter le fardeau, et qui va se faire sacrifier. Comment je me sentirais face à une telle forme de violence ?

 

C’est un film sur la culture du paraître où chaque personnage semble devoir interpréter un rôle dans sa environnement social, scolaire, familial…

En effet chaque personnage a sa propre communauté, dans la sienne, Park Hwa-young se prétend mère et se doit de protéger ses petites, de jeunes fugueuses qu’elle recueille. La petite gamine Se-jin, la petite dernière dans la famille, a déjà connu une expérience antécédente au sein d’un groupe et elle essaie de reproduire ce qu’elle a appris. Elle a repéré un mec qui s’appelle Yong-jae, qui est le mâle alpha. C’est une arriviste et elle a de suite compris que si elle devient sa compagne elle jouira de pleins de bénéfices. Quant à Mi-Jung, qui gagne sa vie en faisant des shooting photos, on pense au premier abord qu’elle est le membre de la famille qui s’en sort le mieux. Mais en dehors du groupe, elle n’est rien. Elle se fait humilier et mettre à l’écart par ses collègues modèles issues des milieux huppés de Gangnam. Pareil pour Yong-jae, au sein de son groupe de copains, il doit se comporter en tant que chef. Il impose ses règles que l’on ne peut enfreindre. Dans la scène qui se passe dans la salle de karaoke, il ne frappe pas uniquement Park Hwa-young, il s’en prend à tout le groupe et notamment aux autres garçons. C’est ainsi qu’il affirme son statut de chef au sein du groupe.

Il y a travail sur le cadre, le film est tourné dans un format 4/3 et les flash forward sont en 1:85. Pour quelles raisons avez-vous opéré de tels changements ?

Effectivement j’ai utilisé les différents formats, je ne voulais surtout pas mettre de vieux sous titres, je trouve ça tellement ringard ! Je voulais que les spectateurs ressentent cette différence de façon très naturelle et fluide. J’aimais bien l’idée de monter le présent en 4/3, cela donne l’impression que les personnages sont confinés dans un cadre étroit. Cela crée un effet qui plonge le spectateur dans l’histoire, on a du coup l’impression que l’on fait parti de la bande, on est obligé de voir ce qui se passe, on est plongé dedans. Contrairement à l’emploi du format 1:85, cela donne une ouverture, cela donne une énergie un peu différente aux personnages, du temps a passé, ils se sont assagis. Le fait d’avoir ouvert cet angle m’a permis de souligner ce côté-là.

Que pensez vous de l’industrie du cinéma coréen actuellement ?

Nous en avons discuté justement avec les autres réalisateurs invités au festival cette année. Dans l’industrie cinématographique coréenne, il y a, je pense, un problème majeur concernant la structure et la distribution des œuvres. Nous n’avons pas la possibilité de rencontrer le public, il y a comme dans le festival de gros films qui sont sortis en salles : 1987 et The Great Battle, ainsi que mon film Park Hwa-young qui est issu du circuit indépendant. Pour vous donner un exemple, mon film est sorti en salles le 19 juillet dernier, et il n’a été distribué au niveau national que dans 16 salles uniquement. Au bout d’une semaine d’exploitation, ils l’ont réduit de moitié. Et plus que 2 salles la semaine suivante. Et pourtant le film n’a cessé de faire salles combles à chaque séance. Il a été porté par les spectateurs, et grâce à leur soutient, il est resté à l’affiche pendant pas moins de 20 semaines, jusqu’à mon départ pour Paris. Il s’agit d’un record de longévité pour un film indépendant cette année, même pour les films commerciaux. Je pense que c’est un problème de contenu, il faut réaliser des films qui peuvent intéresser le public afin de garder cet échange avec lui.

  

Propos recueillis par Martin Debat à Paris le 01/11/2018.

Traduction : Ah-ram Kim.

Remerciement : Maxime Laurent, Marion Delmas, ainsi que toute l’équipe du FFCP.

Park Hwa-young de Lee Hwan (2017). Projeté lors de la 13e édition du Festival du Cinéma Coréen à Paris.

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