Il ne reste plus que quelques jours pour découvrir, sur MUBI, The Legend of the Stardust Brothers, la comédie musicale survoltée de Tezuka Makoto, fils de l’illustre Tezuka Osamu, réalisée alors qu’il n’avait que 22 ans et sortie en 1985.
Shingo et Kan sont deux chanteurs de groupes rivaux. Un jour, alors qu’ils donnent un concert au même endroit, le producteur le plus en vogue au Japon leur propose un contrat de 500 000 yens s’ils acceptent de former un duo. Ainsi débute l’histoire rocambolesque des Stardust Brothers. Le film ne ressemble pas tant à une comédie musicale qu’à un amoncellement de petits clips musicaux, probablement à cause de la contrainte à l’origine du film. Chikada Haruo, producteur du métrage, avait en effet composé une B.O. pour un film n’existant pas. Il demanda donc à Tezuka Makoto de réaliser ce film.
The Legend of the Stardust Brothers est indispensable aux amateurs de musique japonaise des années 80s. Il nous propose du punk, du rock, de la synthpop… en bref, il recouvre un large panel musical de son temps. Cette scène musicale de l’époque se retrouve tout autant dans le choix des genres musicaux interprétés, que dans le choix des acteurs, où l’on peut reconnaître notamment Togawa Jun, icône irrévérencieuse de la J-Pop, ou bien encore sa sœur, la regrettée Togawa Kyoko. Rien que les deux personnages principaux, Shingo et Kan, sont tout simplement interprétés par Kubota Shingo et Takagi Kan qui, en plus de partager le même patronyme que leurs personnages, partagent aussi leur carrière musicale. On ne pourrait citer tout le casting ici, tant il regorge de surprises à ce propos.
Le ton du film se rapprochant plus de la parodie que de l’hommage, il pourrait sembler être une sorte de satire extravagante de cette industrie. Le prendre tel quel, au premier degré, serait une erreur. La critique de l’industrie musicale dans le film ne va vraiment pas très loin, énonce simplement des faits (la construction totale de l’identité des idols par leurs producteurs, leur manque de contrôle sur leur propre vie privée, l’hypocrisie et le règne du faux dans l’industrie…) sans chercher à être plus incisive puisque ce n’est pas un enjeu important pour Tezuka Makoto. Le film ne se prend pas au sérieux, et ressemble plus à un pamphlet artistique et comique qu’à une véritable attaque envers les industries de masse. Cela peut s’expliquer une fois de plus par l’origine même du projet : l’intérêt pour le réalisateur est plutôt d’expérimenter le plus de choses possibles à travers l’illustration des musiques de l’album de son producteur, que de construire un véritable discours. D’autant plus qu’il joue autant avec ces médias de masse qu’il en pointe du doigt ses effets.
En ce sens, le film possède un certain esprit punk. Il transgresse pour le plaisir de transgresser. Cela ne veut pas pour autant dire que le film est sage. Au contraire, il n’hésite pas à aller assez loin dans la transgression. Comme notamment cette scène de course-poursuite complètement folle et imprévisible, où les personnages, travestis en mariées, fuient un idol diabolique cherchant à les assassiner avec sa horde de gardes du corps. La course-poursuite se termine par une téléportation dans le bureau d’un politicien japonais se révélant être Hitler. Dans cet exemple, la transgression n’est donc pas là pour remuer le spectateur, le questionner dans son appréhension de la morale, mais plutôt pour provoquer une sidération totale devant la radicalité avec laquelle il s’applique à mettre en scène le grotesque et l’invraisemblable.
Ce jeu se traduit dans la construction très chaotique du film, où les codes de la télévision sont mélangés aux codes du cinéma, les deux réunis par la musique servant de fil conducteur au film. Il y a bien une trame narrative (l’histoire du Duo), mais celle-ci est très gratuite et volontairement ridicule. On a donc plus l’impression de rester devant une chaîne musicale assez éclectique et surtout très étrange, plutôt que de suivre un véritable dénouement. Elle reste cependant loin d’être désagréable, si on accepte de se faire surprendre par l’inventivité de Tezuka Makoto à trouver une nouvelle idée saugrenue pour justifier une énième séquence complètement folle, empruntant tantôt à l’âge d’or du cinéma, tantôt aux productions télévisuelles dignes des séries d’AB Productions. Par exemple : l’arrivée d’aliens, de fantômes et d’autres créatures, le temps d’une séquence musicale rappelant les séries B les plus kitchs. Ou bien encore avec divers retournements de situation complètement abracadabrantesques, mais assurément très drôles.
Mais si le film est outrageusement gratuit, cela ne signifie pas pour autant qu’il est idiot. Dans sa gratuité, The Legend of the Stardust Brothers fait preuve d’une ingéniosité folle et aussi d’une grande intelligence sur la manière dont il manie les codes qu’il convoque. Par exemple, dans plusieurs séquences, Tezuka Makoto associe les codes du burlesque et du muet, afin de provoquer le comique au sein d’une séquence s’inscrivant plutôt dans le clip musical. Aller puiser dans un cinéma utilisant principalement le visuel comme moteur humoristique est d’autant plus fin que lorsqu’il l’associe au genre du clip, qui lui, soumet le son de sa diégèse à la musique qu’il met en images. Et ce n’est ici qu’une utilisation ingénieuse parmi tant d’autres.
Le film porte en général un intérêt tout particulier au visuel, ce qui ne pourra que ravir les amateurs de mise en scène tapageuse. Même les effets spéciaux les plus excessivement (et souvent volontairement) ringards sont la plupart du temps mis en valeur par la réalisation.
Cette petite perle rare du cinéma japonais, d’abord dépoussiérée par Third Window, puis mis à disposition par MUBI chez nous, vaut clairement le détour. Que ce soit pour les amoureux des étrangetés du cinéma japonais, des années 80s ou bien encore des comédies déjantées, il ne faut pas hésiter à se ruer sur MUBI pour profiter des quelques jours qui lui restent avant de partir de la plateforme, et donc de nos contrées.
Thibaut Das Neves
The Legend of the Stardust Brothers de Tezuka Makoto.Japon. 1985. Disponible sur MUBI