Filmosa 2021 – Dear Tenant de Cheng Yu-chieh

Posté le 9 octobre 2021 par

Pas moins de quatre films de Cheng Yu-chieh, élu cinéaste de l’année par l’équipe de Filmosa, ont été sélectionnés lors de cette édition : Summer, Dream (2001), Yang Yang (2009), Unwritten Rules (2011), et le dernier en date, Dear Tenant (2017). Un mélodrame plus tragique et tourmenté que de coutume dans le paysage du cinéma romantique LGBT « Made in Taiwan ».

Jian-Yi est un jeune homme apprécié de tous. Il vit dans un appartement où il s’occupe d’une vieille dame souffrant de diabète ainsi que de son petit-fils, Yo-Yu. Au décès de cette dernière, une enquête est menée. Le passé nébuleux de Jian-Yi, ses relations et ses motivations, sont remis en question.

Alors que depuis quelques années se profile un nouveau cinéma romantique à Taïwan, mettant à l’honneur la communauté LGBT (sans doute depuis la récente légalisation du mariage pour tous sur l’île), Cheng Yu-chieh affronte ce renouveau florissant avec sa dernière réalisation en date, et une approche peu commune. Là où certains choisissent d’ancrer cet amour impossible dans un contexte historique fort, comme Ton nom en plein cœur (2020) de Liu Kuang-hui à l’abolition de la loi martiale en 1987, Dear Tenant conjugue ce que tout oppose, et prend le parti de conter son histoire sur plusieurs niveaux de perspective, afin que chaque personnage se munisse d’un droit au regard (quelque peu indiscret) sur la vie amoureuse secrète et controversée de Lin, incarné par Mok Chi-yee. Le premier niveau de lecture du métrage n’est donc pas tant l’homosexualité de Lin que le conflit intergénérationnel et sociétal qui en résulte. En effet, le film choisit avant tout de nous montrer les aléas du quotidien d’une petite famille dans laquelle s’insèrent des enjeux dirons-nous plus conséquents.

La grand-mère, merveilleusement interprétée par la grande Grace Chen Shu-fang, l’une des muses de Hou Hsiao-hsien, souffre de diabète, et rend la vie du foyer difficile, en marge de celle de Lin.  Nous découvrons ce dernier au tribunal en introduction, accusé du meurtre de la grand-mère et de possession de drogue. Mais à mesure que le métrage se dévoile, un drame domestique silencieux pointe effectivement le bout de son nez, et questionne l’amour comme le sacrifice en son sein. Lin s’occupe quotidiennement du petit Yo-yu, un enfant adorable qui viendra convoquer les plus douces émotions enfantines du Yi Yi (2000) d’Edward Yang. Nous apprenons que son père est mort, et que ce dernier s’avérait être l’amant de Lin (façon Dear Ex (2018) de Mag Hsu et Hsu Chih-yen). Cheng détourne alors habilement la thématique homosexuelle afin de la diriger vers le paradoxe, au moment de l’enquête sur la culpabilité de Lin : « m’auriez-vous accusé de la sorte si j’étais en couple avec une femme ». Une dure réalité souvent tabou à Taïwan, car c’est avant tout de cela dont il est question. Rien de ce film n’augure la romance LGBT, mais bien le portrait d’une île en pleine transformation, et c’est pour cela qu’il débute sur des plans aériens des reliefs taïwanais.

Derrière ses tournures de mélodrame réconfortant, Dear Tenant est donc une véritable tragédie, parcourue d’une myriade de sujets sociétaux complexes que Cheng met en images avec détachement. L’esthétique, non sans rappeler celle du Little Big Women (2020) de Joseph Hsu, témoigne d’un soin honorable apporté à la composition des plans, simple mais réfléchie, ainsi qu’aux différents régimes de couleurs tamisées. L’atmosphère générale est presque identique à celle que l’on ressent devant un film de Kore-eda Hirokazu, d’autant plus dans la carrière récente du réalisateur qui s’attache à harmoniser fiction consolante et gravité des faits. Dear Tenant se présente ainsi, pas toujours très fin ni parfait, mais proposant d’embarquer à bord d’un navire en pleine tempête, dans une cabine aux allures de cocon.

Une bien belle manière de clôturer Filmosa, avec ce qui, pour l’instant, est le magnum opus du réalisateur Cheng Yu-chieh, mis à l’honneur durant toute l’édition du festival 2021. Encore une fois, ne reste qu’à espérer que Dear Tenant soit un jour distribué dans nos salles obscures, ou soit au moins disponible en offres DVD et VOD.

Richard Guerry.

Dear Tenant de Cheng Yu-chieh. Taïwan. 2020. Projeté au festival Filmosa 2021.

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