Spectrum Films sort en exclusivité Funky Forest, film à sketches surréaliste et bariolé, réalisé par un trio : Ishii Katsuhito, Ishimine Hajime et Miki Shunichiro et sorti initialement en 2005.
Difficile de résumer Funky Forest, tant le film assume le parti pris d’explorer, d’expérimenter et de multiplier les formes et les histoires. Il vaut d’ailleurs mieux se laisser porter par le film pour le découvrir que de lire un résumé descriptif. Nous trouvons pêle-mêle un professeur d’anglais-DJ qui est amoureux d’une de ses anciennes élèves et est persuadé d’avoir rencontré un alien, trois frères dont l’aîné organise des pique-niques pour célibataires, tandis que le cadet joue de la guitare et que le dernier (inexplicablement occidental et blond aux yeux bleus) tire la tronche, un club de musique où l’on joue d’instruments-créatures alien étranges et difformes, un club de tennis où l’on affronte du lait et des sangsues, etc. Chaque réalisateur tire parti des spécificités de son univers et nous retrouvons des sensibilités particulières qui cohabitent, sans pour autant se nuire. Il est également difficile de le catégoriser dans un genre : déjà en ce qui concerne le contenu, qui mêle science-fiction, drame, comédie… mais également dans la construction des séquences. Nous assistons à des scènes en animation, du théâtre filmé, du quasi-documentaire qui fait irruption lors du monologue d’Anno Hideaki sur le travail d’animateur, etc. Une large place est également attribuée à la musique et à la danse et l’on pourrait également sans problème qualifier le film de comédie musicale.
Toutefois, ce n’est pas pour autant que le film n’a aucune forme de trame narrative ou de fil conducteur et nous retrouvons des segments qui se renvoient les uns aux autres ou bien sont imbriqués de diverses manières pour aboutir à une œuvre qui, malgré son foisonnement, demeure très cohérente et lisible. Avec pareil objectif de repousser les limites de la créativité et de l’absurde, le film aurait pu rebuter ou même simplement lasser. Il n’en est rien : il y a une véritable poésie qui se dégage de ces expérimentations, même lorsqu’elles flirtent avec les limites du grotesque, de l’absurde, voire même de l’incompréhensible (que ce soit volontaire ou non, comme nous l’apprend le commentaire audio). Les jeux de contraste au sein de Funky Forest contribuent énormément à la grâce que parvient à atteindre ce drôle de film. Les trois réalisateurs alternent les ambiances et les tonalités de façon si efficace que l’on pourrait assister au double de contenu sans avoir l’impression de tourner en rond ou d’atteindre une limite Certains segments, comme ceux des « Guitar Brothers », qui ne visent presque rien d’autre que la retransmission d’un quotidien léger, contribuent à équilibrer le film. Ils apportent une émotion très pure, tout en rendant les passages plus expérimentaux encore plus forts dans leur irruption soudaine. Les performances des acteurs participent, elles aussi, à élever le film dans cette recherche permanente de contraste. Certains comédiens comme Asano Tadanobu, Kase Ryo, Nishikado Erika, Anno Hideaki ou même Shiga Kotaro (particulièrement impressionnant à cet égard au vu de son rôle) optent pour un jeu en retenue, plus réaliste et naturel, même lorsqu’ils font face à des situations absurdes. Ce parti pris épure le film, tout en rendant certaines scènes plus drôles encore. Bien évidemment, comme pour beaucoup de films à sketches, certains segments fonctionnent mieux que d’autres mais leur rapidité et surtout leur énergie constante empêchent de faire retomber l’intérêt, même lorsque l’on est moins conquis.
Funky Forest mérite le coup d’œil puisque rien ne lui ressemble (à part bien évidemment peut-être les filmographies de ses réalisateurs, et encore) mais plus encore, il mérite que l’on valorise son existence et ses intentions. Le film a malheureusement été un peu étriqué dans un cadre de support à blagues ou de « WTF Japon » assez réducteur alors que l’on pourrait davantage souligner l’intérêt de la production d’un tel film qui vise à déconstruire tout ce que le cinéma a mis en place. La liberté de Funky Forest est extrêmement communicative et le lâcher prise que demande le film récompense finalement le spectateur qui choisit de s’ouvrir à ces histoires, tout en lui prouvant qu’une autre façon d’envisager le médium est possible. De même, les innovations qu’il propose au sein des sketches ouvrent le champ des possibles. Miki Shunichiro explique en interview qu’il a toujours été frustré qu’il n’existe pas de chaînon entre le body horror organique de bel ouvrage tel que l’on le retrouve chez Cronenberg ou dans The Thing de Carpenter et l’humour, et qu’il a donc entrepris de réaliser cette entreprise lui-même. En voyant le résultat, on ne peut que l’en remercier. Il est d’ailleurs à ce titre intéressant et important de constater que Funky Forest a lui-même joué ce rôle de révélation et de transmetteur auprès d’autres cinéastes chez qui on retrouve des inspirations du film, comme chez Matsumoto Hitoshi (R-100, Symbol).
S’il risque peut-être de laisser les spectateurs adeptes de cinéma plus classique ou narratif légèrement de côté, Funky Forest est un incontournable absolu pour un public qui affectionne le surréalisme, l’absurde, l’expérimental ou simplement les propositions détonantes.
Bonus
Présentation du film par Fabien Mauro : Mauro revient sur la genèse du projet et les différentes collaborations passées des réalisateurs. On apprend notamment que le film a été très inspiré de Pulp Fiction de Quentin Tarantino dans la volonté de travailler sur un format non-linéaire, avec des personnages et histoires qui s’entrecroisent. Il détaille également d’autres inspirations et métaphores présentes dans le film telles que les références à la vie des réalisateurs ou d’autres œuvres comme la série Ultraman même s’il insiste sur le fait que la liberté de l’œuvre prime avant toute chose.
Making-of : Un making-of extrêmement complet et riche de plus d’une heure où nous retrouvons des interviews de chacun des acteurs et des réalisateurs.
Scènes coupées : Nous assistons à des scènes inédites et des versions longues de certains des segments présents dans le film comme celui du professeur-flic. La qualité est encore au rendez-vous et ces scènes auraient pu être insérées telles quelles dans le film.
Scènes alternatives : Nous assistons aux démonstrations par Miki Shunichiro de la danse à laquelle s’entraîne le plus âgé des frères et de ses instructions pour imiter un masque de démon, de même qu’une version animée du storyboard de la scène en animation « Le Nouvel Élève est Arrivé ! »
Commentaire audio des trois réalisateurs : Un commentaire audio très drôle et honnête dans lequel les réalisateurs reviennent sur leur expérience, leurs regrets et leurs inspirations. On y apprend même parfois qu’il y avait un contexte pensé par les réalisateurs autour de certaines séquences (quand ils s’en souviennent puisque certains avouent ne même plus savoir pourquoi ils ont écrit certains passages). Il est très agréable de les entendre discuter entre eux tout autant qu’ils commentent le film et cela donne des moments parfois assez absurdes comme celui où ils se lancent dans un mini-débat pour savoir ce qui est mieux entre Funky Forest et les films Avengers. Il est également très appréciable de les entendre être ouverts sur les défauts qu’ils trouvent désormais au film comme la longueur de certains passages ou certains jeux d’acteur qui auraient pu être améliorés selon eux, même s’ils n’y vont pas forcément avec le dos de la cuillère (leur exaspération extrême est très explicite devant les passages de stand-up des frères Mole, qu’ils ont l’air de beaucoup regretter d’avoir inclus).
+ La bande-annonce du film.
Elie Gardel.
Funky Forest de Ishii Katsuhito, Miki Shunichiro et Ishimine Hajime. Japon. 2005. Disponible en combo DVD + Blu-Ray chez Spectrum Films le 28/04/2022.