Wim Wenders - Perfect Days

LE FILM DE LA SEMAINE – Perfect Days de Wim Wenders

Posté le 29 novembre 2023 par

Près de 40 ans après Tokyo-Ga, son documentaire sur Ozu, Wim Wenders retrouve le Japon avec Perfect Days, une fiction empreinte de « japanéité », une vision assez zen et volontairement peu spectaculaire, comme chez Ozu. L’acteur principal, Yakushi Koji, a été récompensé du Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes.

Hirayama (Yakusho Koji), la cinquantaine, travaille à l’entretien des toilettes publiques de Shibuya à Tokyo. Ses journées sont routinières, presque ritualisées. Il se lève à 5 heures, arrose ses plantes, rejoint Shibuya en voiture, nettoie les toilettes publiques, prend sa pause-déjeuner dans un parc sans oublier de prendre en photo les rayons du soleil à travers les branches d’un arbre, se lave dans un bain public, dîne dans un izakaya et lit quelques pages d’un livre avant de s’endormir. Ses journées se suivent et se ressemblent, à l’apparente satisfaction de l’intéressé. Plusieurs rencontres inattendues vont agrémenter son quotidien.

Wim Wenders - Perfect Days

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Dans l’urgence

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La genèse de Perfect Days est intéressante : une commande japonaise pour tourner une série de quatre documentaires de 15 à 20 minutes sur des architectes ayant conçu des toilettes publiques high tech et bien intégrées dans leur environnement. À la place, Wim Wenders a proposé aux commanditaires de réaliser, pour le même budget et dans les mêmes délais (16 jours), un long-métrage de fiction qui mettrait en valeur ces toilettes « révolutionnaires ». Banco. Wim Wenders écrit le scénario en deux semaines. Pour respecter le budget et les délais, les lieux et personnages seront réduits au maximum. D’où un film largement axé sur le personnage principal, Hirayama, qui navigue entre son domicile et son lieu de travail, et interagit avec peu de personnes.

Yakusho Koji, acteur passé par les plus grands (Imamura, Kurosawa, Aoyama ou Nakashima), joue donc le rôle de Hirayama (un nom emprunté au vieux père de Conte de Tokyo d’Ozu). Il est de presque tous les plans du film. En plan large quand il déambule en vélo dans les rues, en plan moyen quand il travaille ou vit dans appartement exigu, en plan serré quand il conduit. On sait peu de choses de son histoire. Qui est-il vraiment ? Pourquoi est-il si mutique ? Pourquoi photographie-t-il chaque jour le même arbre ? Quel est son passé ? Quel est son but ? Est-il vraiment heureux ? Plusieurs clefs de lecture sont données au cours du film mais l’imagination ou les fantasmes du spectateurs doivent combler les nombreux non-dits. On comprend qu’il n’a pas toujours été nettoyeur de toilettes publiques et qu’il est même issu d’une famille aisée. Que lui est-il arrivé pour qu’il change de vie ? Nous ne le saurons pas.

La routine est souvent perçue de manière négative. Nos vies sont pourtant rythmées par les mêmes actions, les mêmes gestes, les mêmes besoins, les mêmes loisirs. Se satisfaire de cette vie répétitive, se contenter de peu et profiter du moment présent : voilà le credo de Hirayama. Peu importe qu’il vive dans un appartement minuscule, sans salle de bain, et que les seuls achats qu’il puisse se permettre soient des livres d’occasion. Hirayama vit dans son cocon, dans sa bulle. Ses interactions avec autrui sont limitées et il ne s’intéresse ni aux modes de son époque ni à son environnement, à l’exception de l’arbre qu’il photographie chaque jour. Il reste dans sa bulle dans différents lieux clos : son appartement, sa voiture (dans laquelle il écoute religieusement des cassettes de musique des années 60-70), les toilettes qu’il nettoie, le bain public et son izakaya préféré.

Vigie omniprésente, la Tokyo Skytree, tour la plus haute de la ville, jouxte le chiche appartement de Hirayama. Les plans panoramiques de Tokyo sont pourtant rares. On se souvient de cette scène de Conte de Tokyo dans laquelle les parents contemplent la ville depuis un immeuble, accompagnés de leur belle-fille Noriko. Rien de tel dans Perfect Days, même si Hirayama aurait pu monter dans la tour avec sa jeune nièce. Hirayama ne peut pas, ne veut pas, prendre de la hauteur. Il préfère rester ce modeste agent public qui nettoie les lieux d’aisance, dans la rue et dans les parcs. Il est cet « éphémère et point trop mécontent citoyen d’une métropole crue moderne » pour citer Rimbaud.

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Komorebi

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Cloué au sol de son plein gré, Hirayama n’en regarde pas moins le ciel. Plus exactement, il regarde la lumière du soleil à travers les feuilles d’un arbre ; une lumière douce et apaisée toute poétique et symbolique du côté éphémère et évanescent de la vie. Chaque jour, il tente de capter cette poésie avec un appareil photo.

Wim Wenders explique : « J’ai imaginé un homme qui avait un passé privilégié et riche et qui avait sombré profondément. Et qui a eu une révélation un jour, alors que sa vie était au plus bas, en regardant le reflet des feuilles créé par le soleil qui éclairait miraculeusement l’enfer dans lequel il se réveillait. La langue japonaise a un nom particulier pour ces apparitions fugitives qui surgissent parfois de nulle part : « komorebi » : la danse des feuilles dans le vent, qui tombent comme un jeu d’ombres sur un mur devant vous, créé par une source de lumière dans l’univers, le soleil. »

Wim Wenders - Perfect Days

Perfect Days est un film réconfortant au message rassurant : « Admire la nature qui t’entoure, profite de la vie et de chaque instant, sans trop en attendre. » On peut trouver cela mièvre, voire un peu niais, mais qui peut donner tort à Hirayama ? Ce réconfort un peu facile se matérialise parfaitement dans la musique du film, composée de classiques connus et appréciés de tous : Lou Reed, Rolling Stones, Animals, Kinks ou Nina Simone. Aucune prise de risque. Mais on aime écouter ce genre de chansons. Au cinéma ou ailleurs.

Marc L’Helgoualc’h

Perfect Days de Wim Wenders. Japon-Allemagne. 2023. En salles le 29/11/2023.

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