Cinéma du Réel 2021 – Inside the Red Brick Wall

Posté le 12 mars 2021 par

Entre les principales sélections du festival international du documentaire du Cinéma du Réel se loge depuis plusieurs années la programmation thématique « Front(s) populaire(s) ». En 2021, elle soulève la question : « À quoi servent les citoyens ?« . Parmi les 6 films proposés en réponse, l’un d’eux donne à voir le siège en 2019 de Poly U, l’Université polytechnique de Hong Kong, par la police. Inside the Red Brick Wall siège lui-même à l’intérieur de cette révolte citoyenne où les étudiants affrontent les forces de l’ordre pour défendre la démocratie hongkongaise. 

Signé par les Hong Kong Documentary Filmmakers, un collectif de vidéastes inconnus (anonymes pour leur propre sécurité), ce documentaire compile une série d’images de provenances variées pour témoigner de cet événement déterminant dans le rapprochement juridique, administratif (et a fortiori politique) entre la Chine continentale et Hong Kong. Petit rappel : autour de la loi d’extradition (symptôme pour les Hongkongais d’une perte d’indépendance et d’une annexion progressive par la Chine continentale) ont proliféré dans toute l’archipel des protestations populaires. Ces Anti-extradition bills protests ont cristallisé une tension croissante entre les citoyens et les autorités hongkongaises, accablées par l’influence rampante des pouvoirs chinois sur la législation locale. À la crête de ces manifestations, les révoltes étudiantes, dont celles survenues en novembre 2019 à Poly-U est la figure de proue.

Poursuivie par les projectiles et les jets d’eau de la police, une foule d’étudiants se réfugie dans l’enceinte de l’université et s’y voit cernée, assiégée sous peine de se faire violenter ou arrêter en sortant. C’est ici que commence Inside the Red Brick Wall.

Ce siège des étudiants par la police, advenu pendant 13 jours en novembre 2019, se divise en 3 temps : 1/ les manifestations autour de Poly-U, 2/ le lendemain des nuits de révolte et 3/ l’extradition de certains étudiants, obtenue par la requête de leurs parents. Au-delà de ce que cette foule d’images informe de l’événement, se dessine un précis pragmatique sur l’art de la révolte : comment négocier ses revendications ; organiser une rébellion en partage ; sous la pression, gérer l’épuisement psychologique.

Pas le premier ni le dernier à rendre compte des violences policières, le métrage éveille plusieurs canons du film de révolte : on y aperçoit quelques tags (« Chinazi« , « Revenge is not a slogan« , le logo de V pour Vendetta…), inscrivant à même les murs la colère étudiante, et des gilets jaunes évocateurs pour le public européen. On y découvre aussi des personnes contraintes de contourner le siège en fuyant, suspendues à une corde, du haut de 3 étages, ou passant par le tunnel souterrain de Cross-Harbour. En écho à Un pays qui se tient sage de David Dufresne (documentaire sur les violences policières accrues lors des manifestations des gilets jaunes en France), ce film-ci traduit la tragique universalité d’une mise au service des moyens policiers pour soumettre la population à une autorité sans visage. Cette abstraction de la violence se perçoit lors d’une séquence flagrante où les manifestants demandent aux forces de l’ordre de lever le siège en promettant de ne frapper ou d’emprisonner personne ; requête à laquelle la police répond en faisant résonner, avec cynisme, le morceau de musique « Surrounded » (« encerclé ») et « Ambush from 10 sides » (« embusquer de 10 côtés »).

De la télévision aux smartphones en passant par les caméras de surveillance et les images captées par les réalisateurs eux-mêmes, Inside the Red Brick Wall fait feu de tout bois pour dépasser le siège de la police en bouclant à sa façon l’événement. De ce point de vue, il rejoint le même processus esthétique de Dufresne : renverser la logique panoptique du pouvoir contre lui-même en l’assaillant d’images. Images amputées nécessairement, pour préserver l’anonymat des manifestants : la majorité des personnes filmées ayant le visage pixelisé.

Témoignage à vif, analyse de l’intérieur des dynamiques de révolte, ce qu’Inside the Red Brick Wall traduit de plus saillant et de singulier, c’est surtout la tragique impuissance apparente de la jeunesse hongkongaise face à un pouvoir sans visage, dont on pressent avec un peu de bagage géopolitique qu’il sert les intérêts de l’impérialisme chinois. Lors de la dernière partie, lorsque les proviseurs de l’université viennent secourir et escorter les étudiants réclamés dans les larmes par leur parents, les nerfs des manifestants craquent. Le visage flou, une étudiante crie sa détresse devant l’issue de la manifestation, prise de colère et d’angoisse sous l’épuisement et devant l’apparente inanité de leur résistance. Du point de vue d’un spectateur européen, entre les cendres et les cris, à travers la bruit numérique des images, c’est un cri sourd qui semble s’échapper de ce documentaire et le sentiment que la puissance économique de Hong Kong paraît désormais, à travers le symbole des étudiants de Polytechnique, soumise à l’autorité chinoise.

Tout cela a eu lieu fin 2019. Entre temps, une pandémie mondiale a redistribué les cartes. Et a consolidé l’hégémonie de l’Empire du Milieu. Mais ce documentaire est là, soulevant la judicieuse question du festival : « À quoi servent les citoyens ?« . À rendre le sentiment de liberté un peu palpable ? À créer du collectif ? À faire résonner dans la nuit la musique d’un idéal ? Puisque l’avenir géopolitique se passe, en grande partie, de ce côté du monde et que les rapports de force entre citoyens et forces de l’ordre sont aussi problématiques en France, autant jeter un œil éveillé à Inside the Red Brick Wall.

Flavien Poncet

Inside the Red Brick Wall des Hong Kong Documentary Filmmakers. 2020. Hong Kong. Programmé au Festival International du Film Documentaire Cinéma du Réel (du 12 au 21 mars 2021).