VIDEO – Love & Peace de Sono Sion

Posté le 28 décembre 2020 par

Bien trop de films de Sono Sion, réalisateur japonais contemporain majeur, demeurent invisibles du public français, hormis quelques passages en festivals. L’éditeur Spectrum Films a témoigné de la volonté de combler ce manque en vidéo. Love & Peace, sorti dans les salles japonaises en 2015, est désormais disponible en combo DVD/Blu-Ray. Film par Anel Dragic. Bonus par Maxime Bauer.

Comment faire un film anti-establishment qui prendrait la forme la plus inoffensive qui soit ? Voilà la question que semble poser Love & Peace. Il y a de quoi se demander si l’ancien punk aurait renié sa radicalité pour verser dans une morale pacifiste plutôt hippie. Le film a tout d’une trêve de Noël, comme pour rappeler que derrière le réalisateur turbulent se cache encore une âme d’enfant, capable de s’émerveiller des artifices du cinéma.

Difficile de parler du film sans évoquer son contenu. Il est donc fortement conseillé de le voir avant de continuer la lecture.

Le cinéma japonais n’est pas avare en films improbables et Sono Sion mélange sans complexe l’histoire d’un salaryman mal dans sa peau qui devient une rockstar, le kaiju eiga et une storyline sur le Père Noël. Le charme de Love & Peace se trouve dans sa légèreté et sa simplicité. Sono Sion ne fait pas dans la nuance (pas qu’il ne sache pas, loin de là, mais ce n’est pas ici ce qui l’intéresse). Le réalisateur choisit une approche frontale et grand public, pour faire passer au plus grand nombre des idées qui laisseraient une partie du public sur le carreau s’il abordait le sujet avec l’approche radicale qu’on lui connaît. Il faut reconnaître quelques clichés (le salaryman introverti qui devient punk puis bascule rapidement dans la mégalomanie, et se met donc à faire de la soupe J-rock), mais il y a dans cette approche (faussement) naïve et (véritablement) sincère un parti pris d’aller à contre-courant d’une production cinématographique qui se prend décidément bien au sérieux ces temps-ci.

Le caractère imprévisible mais jamais gratuit du récit nous fait basculer de la comédie au merveilleux, s’approchant de Babe 2 : un cochon dans la ville (l’un des films de chevet de Sono Sion) et des Muppets, plus que des kaiju destructeurs. Sans pâtir du mélange des genres, le film se tient grâce à sa sensibilité constante. Et pourtant, sur le papier, ce n’était pas gagné. Imaginez un peu si l’on vous disait que vous seriez touché par une tortue en plastique aux yeux immenses qui passe son temps à gazouiller. Oui, hein ? Le réalisateur n’en perd pas non plus son identité, restant dans les thèmes qui lui sont chers, que ce soit en dépeignant des personnages brimés ou en évoquant la place de l’amour.

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Pour entrer dans le jeu de Sono, il faut inévitablement laisser son cynisme au vestiaire, retrouver son âme d’enfant, et accepter que le réalisateur nous enchante. Le film pourrait bien être le Hook de la carrière de son réalisateur (et c’est un fan de Hook qui vous parle). Il s’impose immédiatement comme l’un des sommets du kaiju kawaii, n’en déplaise aux amateurs de destruction gloumoutesque massive.

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Mais à l’instar du film de SpielbergLove & Peace n’oublie jamais d’être un film entièrement personnel… et punk. Parce que finalement qu’est-ce qu’un acte punk ? Sono a déjà fait savoir qu’il faisait des films transgressifs pour aller à contre-courant, mais que si cela devenait la norme, il se mettrait à faire de gentils films. On y est peut-être, mais lui n’a pas perdu son intégrité en changeant de registre.

Bonus du Combo DVD/Blu-Ray

La présentation du film par Constant Voisin (10 minutes). Monsieur Voisin est l’auteur du livre Sono Sion, l’exercice du chaos, et a participé dans le cadre de ses études au tournage de certains films de Sono Sion. De cette longue entente avec l’artiste japonais, il tire une expertise vaste de l’œuvre de ce cinéaste spécial. Il évoque ainsi en quoi l’année 2015 est une période charnière pour le réalisateur japonais, avec de nombreux films réalisés de ses mains sortant sur les écrans nippons, le rapport qu’il entretien avec les producteurs et sa façon d’aborder les échecs. Monsieur Voisin décrit aussi en quoi une violence moindre et la présence de toutes les obsessions de cinéaste font de Love & Peace le film idéal pour aborder la filmographie de Sono Sion.

La présentation du film par Sono Sion (7 minutes). Sono Sion lui-même intervient sur son rapport à ce film et à ce titre, il confirme certains propos de Constant Voisin. Il explique le pourquoi des effets spéciaux en mécanique à la façon des kaiju eiga traditionnels. Point intéressant, il revient sur la citation des Jeux Olympiques 2020 dans le film, et en quoi la crise du COVID-19 n’a pas rendu le propos anachronique, mais au contraire plus mordant qu’à l’époque, alors que l’ironie était de base l’effet recherché. Il évoque aussi l’ancienneté du scénario et le rocker japonais qui lui servait de modèle et à qui il rend hommage dans le film. Le décor en panneaux traditionnels, le cadrage étrange et le t-shirt rouge pétant de Sono à l’effigie de Red Post on Escher Street, son dernier film, donnent un certain cachet à ce bonus en termes de mise en scène.

Le making-of des effets spéciaux (24 minutes). Produit pour accompagner la sortie du film en 2015, ce making-of donne la parole aux différents postes de techniciens qui ont œuvré à la réalisation de la scène de kaiju eiga dans le film, et notamment Taguchi Kiyotaka, responsable SFX, en montrant directement le plan de travail, c’est à dire la maquette du quartier tokyoïte. Ce bonus permet d’éclaircir un point vis-à-vis de deux assertions, a priori contradictoires, de interventions des précédentes vidéos : Constant Voisin affirme que le budget de Love & Peace était limité, alors que Sono Sion indique qu’il a eu accès à un budget conséquent pour mettre en scène son scénario écrit dans les années 1990, alors qu’il s’imaginait réalisateur de petites productions. En voyant le plan de travail des techniciens, on constate que Love & Peace est un film de production moyenne, avec un assez gros budget pour manipuler de grandes maquettes tels des maîtres artisans, mais loin des moyens numériques des mastodontes hollywoodiens, qui servent de maîtres étalons. On retiendra surtout qu’avec ce qu’il lui a été donné, Sono Sion a peint la plus belle patine pour son histoire aussi grotesque qu’émouvante, sans faux pas artistique.

Les tortues géantes dans la culture-pop japonaise par Fabien Mauro (14 minutes). Fabien Mauro, spécialiste du tokusatsu et du kaiju eiga, auteur du livre Kaiju, envahisseurs et apocalypse – l’âge de la science-fiction japonaise, évoque l’avènement de la tortue géante dans le kaiju eiga dès les années 1960 avec Gamera, concurrent avoué de Godzilla. De ses origines anciennes dans les mythologies hindouistes et chinoises, jusqu’aux derniers films de kaiju eiga, en passant par d’importants mangas, la tortue géante est devenue une figure populaire au Japon, et Fabien Mauro termine d’analyser Love & Peace par le prisme de la séquence de destruction de Pikadon, qu’il estime être une parfaite synthèse de toutes les incarnations de ce monstre de la pop-culture.

Enfin est présente la bande-annonce du film.

Love & Peace de Sono Sion. Japon. 2015. Disponible en combo DVD/Blu-Ray le 20/11/2020 chez Spectrum Films.