VIDEO – Microhabitat de Jeon Go-woon

Posté le 3 octobre 2020 par

Petite sensation du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) en 2018, le film Microhabitat était mis en valeur dans la section Portrait, avec venue de la réalisatrice Jeon Go-woon et échanges avec le public. Spectrum Films nous en propose une belle édition vidéo, en combo Blu-Ray/DVD. Film par Justin Kwedi, Bonus par Maxime Bauer.

Burning de Lee Chang-dong avait montré, en 2018, dans une approche métaphysique, le désœuvrement des jeunes adultes coréens et leur dépit face à leur accomplissement personnel brisé. Microhabitat, premier long-métrage de la réalisatrice Jeon Go-woon, creuse le même sillon dans une approche différente. Si dans Burning la frustration du héros le poussait, selon l’interprétation, au crime ou à la paranoïa, Microhabitat dépeint, avec Miso (Esom), une héroïne aux antipodes de cette course à la réussite. Le bonheur consiste pour elle en des plaisirs simples comme fumer ses clopes et boire un bon verre de whisky. Ces deux agréments suffisent à supporter son dénuement matériel permanent et l’impossibilité de vivre avec son petit-ami tout aussi fauché. La réalisatrice eut l’idée du scénario en constatant que la crise économique que traversait la Corée se répercutait désormais également dans les échappatoires futiles au quotidien morose que sont justement les cigarettes et l’alcool dont les prix augmentaient. Lorsque son loyer grimpera également, Miso préfère renoncer à son logis plutôt que ses plaisirs et va voguer entre des logis éphémères chez des amis.

Ce renoncement symbolise en fait le choix d’un bonheur ponctuel plutôt qu’une frustration permanente. On pourrait y voir un refus des responsabilités de l’âge adulte, mais il s’agit surtout de tourner le dos au conformisme vers lequel nous guide la société. Une grande partie de l’intrigue voit Miso séjourner brièvement chez des anciens camarades de fac et membres d’un groupe musical commun. Chaque ami(e) représente un mal du monde moderne, que ce soit la dépression pour un divorcé pleurnicheur, l’usure pour cette femme au foyer dépassée, l’infantilisation d’un vieux garçon ou l’indifférence pour une grande bourgeoise hautaine. Chaque personnage est introduit par un rappel de leur ancien instrument pour montrer le fossé entre ce passé léger et la sinistrose du présent. Miso incarne un rappel de cette insouciance révolue qu’ils regardent avec nostalgie mais refusent dans leurs attitudes. La réalisatrice l’illustre dans une notion spatiale (le divorcé enfermé dans sa chambre d’ami), le traduit par la lassitude physique pour la femme au foyer, et le capture dans le surréalisme comique (la bienveillance trop prononcée de parents en quête désespérée d’une belle-fille) ou par un parallèle entre le luxe l’entourant et la facticité des sentiments avec la bourgeoise.

En s’accrochant au matériel, à leur statut et à leur mal-être, les personnages effectuent un repli sur soi absent chez la pourtant démunie de tout, Miso. Le personnage est attachant par son constant souci de l’autre et son flegme face aux déconvenues diverses. La relation avec son petit-ami évite d’en faire une figure abstraite fonctionnelle, le miroir placide qu’elle offre aux autres soulignant leurs failles. La réalisatrice n’associe pas cet individualisme à une classe sociale (l’hilarant zoom avant sur la femme de ménage quand Miso propose à son amie de l’aider dans les tâches quotidiennes), mais à la société coréenne au sens large, qui perd son âme dans les normes qui la régissent. Quelques révélations sur le passé familial de Miso expliquent ce qui l’amène à relativiser et s’attacher à des bonheurs simples, quand tous les autres (son petit-ami compris) finiront par se trahir pour ressembler aux autres.

L’humour désamorce pas mal la mélancolie de l’ensemble malgré la noirceur de certaines situations comme cette visite d’appartements insalubres ou ce renoncement à une coucherie car se déshabiller donne froid en hiver. Le spleen domine néanmoins la conclusion, le fossé entre Miso et son entourage se traduisant par une évaporation de sa silhouette à l’image. Elle reste un souvenir pour ses anciens amis, et une ombre fugace pour ce monde autocentré (très belle idée que cette chevelure prématurément blanchie pour la distinguer des autres). Heureusement, une clope et un petit verre de whisky suffiront pour oublier tout cela, un temps.

Bonus

Le master de l’édition de Spectrum est tout à fait net et rend à merveille le confort des séquences en intérieur : c’est ce que l’on attend de l’édition vidéo d’un film moderne, tourné en numérique.

Les bonus sont au nombre de 4 :

Le court-métrage Bad Scene de Jeon Go-woon (2012). La réalisatrice nous emmène dans les méandres des plateaux de cinéma avec le tournage d’une scène de sexe crue demandée à une actrice qui aspire, de base, à bien mieux. On y ressent parfaitement le stress absolu de l’héroïne et les dégâts psychologiques que cela lui cause. Ce simple court pose une grande question : peut-on demander tout aux acteurs et aux actrices ? Dans Perfect Blue de Kon Satoshi, l’évocation du tournage d’une scène de viol était très éclairante sur les procédés de réalisation, mais c’est un sujet, en fin de compte, assez rarement traité. Bad Scene est à voir absolument pour cette raison.

Le court-métrage Too Bitter to Love de Jeon Go-woon (2008) : le premier travail de Jeon décrit le flirt entre deux lycéens et comment un inconnu va profiter de l’absence du garçon pour violer la jeune fille. Ce court, absolument terrible, montre des choses extrêmement intéressantes, tel que le comportement du jeune homme, charmant auprès de son amoureuse au demeurant, mais qui va manquer d’empêcher un crime par lâcheté ou peur. On suit ensuite la lycéenne qui poursuit ses révisions pour entrer à l’université. Ce drame qu’elle a subit et la façon dont elle se tait, en dit beaucoup sur la perception de la société coréenne par Jeon Go-woon. Ces œuvres de jeunesse font ressortir un intérêt de la réalisatrice pour la condition féminine, intention qu’elle poursuivra dans Microhabitat, sur un ton mélancolique et finalement peu agressif.

La présentation du film par Antoine Coppola. Spécialiste des cinémas asiatiques, enseignant en Corée, Antoine Coppola nous administre un véritable cours de presque une heure sur la société coréenne et le positionnement des réalisatrices, à travers la lorgnette de Microhabitat qui synthétise toutes les facettes de sujet. En citant des éléments concrets, notamment historiques, le propos de Coppola est solide et se savoure bien au-delà du prisme du seul Microhabitat. Les FFCP de ces au moins quatre dernières années ont largement mis en avant les jeunes réalisatrices coréennes du cinéma indépendant, et pourtant, on en voit peu tourner plus de un ou deux longs-métrages. Ce complément de programme analyse ce fait et l’explique correctement.

L’interview de Jeon Go-woon par la chaine J-One lors de sa venue au FFCP 2018. Cette courte entrevue manque d’éléments contextuels (les questions du journaliste sont coupées). On ne comprend ainsi pas toujours l’angle auquel répond la réalisatrice. Il demeure quelques propos intéressants sur le tournage.

Microhabitat de Jeon Go-woon. Corée. 2017. En Combo Blu-Ray/DVD chez Spectrum Films le 30/07/2020